La déportation Ch.27

loulourna

28-Les déportations-Ch.27

En gare de Bonn, un périmètre, entouré de fil de fer barbelé, entre une voie de chemin de fer et quelques baraquements. À l’origine cet ensemble servait d’entrepôt pour des marchandises en transit, aujourd’hui réaffecté pour le regroupement des juifs. Ethel évalua la population à environ 300 personnes. Des hommes, des femmes, de tous âges, résignés, passifs, acceptaient leur sort en silence. Des enfants d’habitude espiègles, aujourd’hui craintifs et silencieux, adoptaient instinctivement une gravité acquise par des générations de persécutés. Il fait froid, il fait faim. Tous ces malheureux dépassés par la tragédie, dont ils sont les acteurs ressentent instinctivement l’instant dramatique. Ils ont pénétrés un monde régit par une logique schizophrène où le réel a changé. Ils sont désarmés devant des lois dont les règles ne sont connues que des exécuteurs des hautes œuvres. Les cercles de l’enfer nazis pour des millions d’innocents sacrifiés par la haine raciale. Dantes, lui-même faute d’inspiration, n’aurait jamais imaginé une telle montée vers ce monde infernal. À quel moment eut lieu la rupture entre l’Allemagne ; pays évolué, civilisé et l’Allemagne nazie dont le seul but était la guerre, le racisme, le pillage et l’anéantissement de communautés européennes. À quel moment a commencé le délire qui mène à l’horreur. À quel moment a commencé la montée vers l’infamie d’une loi qui vous désigne comme inapte à la vie ? D’avoir été, opprimés, spoliés, chassés pendant des millénaires, avaient préparés les juifs à supporter la progression de chaque degré des persécutions nazi et accepter l’intolérable marche vers leur infernal destin par des échelons dégradants, avilissant : plus le droit d’exercer son métier, l’école interdite aux enfants. Par des lois iniques on vole leurs biens. Il ne reste plus qu’a les désigner pour le travail obligatoire dans des ghettos en Pologne et de là être transporté vers l’ultime étape : les camps de la mort.

Progression vers une mort certaine rendue possible par le silence de la communauté internationale. Les minorités sacrifiées n’intéressent personne. Ca se vérifiera encore par le futur. Des hauts responsables de la RSHA (Reichssicherheitshauptamt) organisent le transport et traitent directement avec la Reichsbahn le prix du transport. Tarif de base : 4 pfennigs par personne et par kilomètre de voie

Enfants de moins de 10 ans : demi-tarif.

Enfant de moins de 4 ans : gratuit

Tarif spécial de groupe pour au moins 400 personnes.

Aller simple, évidemment !

Des hommes capables de discuter sérieusement du prix du transport d’êtres humains dans des wagons à bestiaux vers les chambres à gaz, qui sont-ils ? de quelle planète arrivent-ils ? de quel monde de détraqués se sont-ils échappés ?

Essayez, essayez une fois seulement de vous mettre à la place de ces pauvres gens, déshumanisés avant de faire leur voyage sans retour. Non ! peine perdue, vous n’y arriverez pas. Essayez de vous mettre à la place des bourreaux.

Vous verrez c’est beaucoup plus facile. Que celui qui n’a jamais souhaité la mort de quelqu’un jette la première pierre. Pour un holocauste d’une telle ampleur, il est nécessaire d’avoir la coopération des suppliciés. Dans la gare de Bonn, nos misérables en sont à l’échelon où on leur fait croire que tout s’arrangera dès qu’ils arriveront sur les lieux de travail. Jusqu’au bout les bourreaux leur laisseront l’espoir d’une vie meilleure. Que peuvent-ils faire d’autre que d’espérer ? Éthel savait que cette voie à sens unique allait bientôt arriver à son terme. Elle n’espérait plus rien pour elle-même. Sa satisfaction, était d’avoir réussi à mettre de la distance entre elle et sa fille. Pour l’état-civil, elle n’était pas la mère d’Erna. Cette pensée la rendait forte pour elle-même, mais sa compassion était infinie pour les malheureux qui subissaient les humiliations, vexations de toutes sortes. Il était évident que les SS patrouillant avec leurs chiens, des bergers allemands, dressés pour tuer du juif, ne considéraient pas ces exclus comme des êtres humains. Cette idée l’horrifiait. Elle avait imaginé le pire, mais pas celui-là. Elle n’arrivait pas à effacer l’image de cet homme, qui hier, se croyant encore dans un monde civilisé, s’était adressé à un garde pour se plaindre du manque d’hygiène. Le soldat l’attrapa par le col de son manteau, le traîna jusqu’aux latrines et lui mit la tête dans une lunette pleine à ras bord. Cet homme abandonné du genre humain venait de comprendre que les nouveaux seigneurs germaniques étaient des monstres sadiques et barbares et que plus rien ne pouvait le sauver.

Dix jours passèrent ainsi. Les gardes s’amusaient d’humilier, de rabaisser au niveau de l’animal ces malheureux se précipiter sur de La nourriture et l’eau distribuée avec parcimonie. Vos chiens n’en auraient pas voulu. Ils furent dirigés vers un train de marchandises, où ils furent entassés, 50 par wagon. Le convoi s’ébranla après plusieurs heures d’attente. Les déportés étaient debout serrés les uns contre les autres. L’odeur ; mélange de sueur, d’urine et de matière fécale. La faim, était supportable, pas le manque d’eau. À Berlin, d’autres wagons furent accrochés et le train parti vers l’est. Après trois jours de voyages il arriva en gare de Lodz. Encore des heures d’attente, puis les portes coulissèrent enfin. Le spectacle de tous ces pauvres gens, sales, crevant littéralement de soif, se ruant sur les seaux d’eau mis à leurs dispositions, sous l’œil goguenard des gardes SS était une mise en scène pensa Ethel pour montrer à tous ces sous-hommes, qu’ils étaient incapables de se conduire comme des êtres humains. La bousculade était à son comble, lorsque les SS et leurs chiens y mirent bon ordre à coups de fouets et d’aboiements. Sur des charrettes à bras furent entassés plusieurs enfants et vieillards morts étouffés, morts de soif pendant le voyage. La misérable cohorte d’environ 1000 juifs, portant sacs, valises et baluchons se dirigea vers le ghetto. Éthel marchait près d’un jeune couple et leur petite fille de 5 ans. Elle avait fait leur connaissance dans le centre de rassemblement. Elsa et Walther Greenspan, mariés depuis 6 ans tenaient une échoppe de cordonnerie à Bonn. Dans un monde parallèle, rien ne les destinait à cette situation dramatique. Dans cet univers leur crime était impardonnable, ils étaient juifs. La jeune femme, et son mari n’avaient rien compris de ce qu’il leur arrivait. Persuadés qu’il s’agissait d’une erreur et qu’ils rentreraient bientôt chez eux, Walther avait confié ses clés à un commerçant, un voisin,--- Surveille ma boutique, nous serons bientôt de retour. Il était impensable, inimaginable, pour eux, comme pour beaucoup d’autres qu’ils allaient disparaître dans un néant définitif. Leur foi en la vie et la certitude de leur innocence leur donnaient l’espoir que ce cauchemar allait bientôt cesser. Éthel avait été attiré par ce couple et leur fillette de 5 ans. Le même âge qu’Erna. Ils traînaient pitoyablement dans le centre de rassemblement. La petite fille serrait contre son cœur une poupée en chiffon. Elle ne lâchait pas la main de sa maman. Éthel, émue à la vue de cette touchante famille, les avait aidés au mieux de ses possibilités. Dans le train elle avait aménagé un espace pour la petite Greta, afin qu’elle ne fût pas étouffée.

---C’est Dieu qui vous a mis sur notre chemin, pour nous aider à supporter cette épreuve. Merci, merci mille fois.

--- Si Dieu y était pour quelque chose, nous ne serions pas ici. Je vous ai vu dans la détresse, je suis seule, je n’ai pas de famille et Greta m’a fait penser à Erna...une petite cousine du même âge. C’est aussi simple que ça.

Les juifs marchaient au milieu de la rue. Sur les trottoirs, les Polonais raillaient et plaisantaient sur leur passage. Certains les insultaient, crachaient leur haine. Très peu d’entre eux, impuissants, avaient honte devant le spectacle de cette procession de misérables.

Les SS remontaient et redescendaient sans arrêt la colonne en criant << schnell ! schnell ! >>

Le meurtre des juifs de Pologne et le pillage de leurs biens avaient été amorcé dès le début de la guerre. En septembre 1939, les envahisseurs de la Pologne rebaptisèrent la ville de Lodz du nom du général qui conquit la ville durant la première guerre mondiale ; Litzmann. Ils rajoutèrent stadt et l’incorporèrent au Reich allemand. Que ce soit un nom ou l’autre, ça ne changeait pas grand-chose pour les 150 000 juifs, soit un tiers de la population de la ville, qui eut l’honneur d’être entassés dans le premier ghetto concentrationnaire dès février 1940, sur une surface de 4,13 km2 délimités par des fils de fer barbelés. À la suite du départ vers les camps de concentration, principalement Chelmno et Auschwitz, de nombreux morts dus à la malnutrition, au froid et surtout au typhus, le ghetto fut réduit et ne mesurait plus que 3,41 km2 en août 1944. Simple soustraction : O,72 km2, ça fait combien de morts. Les premiers convois partis d’Allemagne, arrivèrent le 16 octobre 1941. À un rythme accéléré, le 4 novembre, 20 trains avaient transporté 20000 juifs venant de Berlin, Vienne, Cologne, Düsseldorf, Francfort et Hambourg. Que la fin du voyage soit Chelmno ou Auschwitz le résultat final était le même. À chelmno, dans des camionnettes aménagées fermant hermétiquement, étaient entassées environ 70 personnes. Le temps nécessaire pour rouler jusqu’à la forêt de Rzuchow : 10 minutes de voyage, suffisant pour qu’il n'y ai plus de survivant grâce à un astucieux système qui acheminait à l’intérieur du compartiment le gaz d’échappement. Dans le deuxième camp, des fosses et des bûchers étaient prêts à recevoir les corps déchargés, par des déportés juifs entravés par des chaînes, afin d’éviter toutes fuites.

À Auschwitz la technique d’extermination était différente, les trains arrivaient le long d’une rampe, où le tri de ceux qui devaient être gazés immédiatement était organisé par les médecins du camp. Sous le prétexte d’être désinfecté, on les dirigeait vers des douches, en réalité des chambres à gaz camouflées, capables de contenir jusqu’à 3000 personnes. Ensuite les corps brûlaient dans des crématoriums. On pourrait se demander qui sont les hommes capables d’imaginer de tels plans. Ne cherchez pas, ce sont des êtres humains.

Lorsque le convoi d’Ethel arriva le 12 décembre, le ghetto de Lodz était archi-plein. Difficile si non impossible de trouver un endroit où se loger.

Le ghetto ne ressemblait à rien, c’était nouveau. La rue principale fourmillait d’hommes, de femmes et d’enfants circulant dans les deux sens, indifférents aux mourants allongés à même le sol. Dans chaque maison où Walter entrait, des gens couchés sur des matelas, parfois plus de dix par pièce. Agglutinés, ils formaient une masse compacte ; la seule façon de lutter contre le froid intense. Par manque de moyen de chauffage, beaucoup de portes avaient été arrachées pour faire du feu. De toute façon, il n’y avait pas grand-chose à voler. Au bout de 2 heures de recherche, Walther revint tout excité,--- Nous avons de la chance, des gens m’ont indiqué une pièce juste libérée. Les occupants retournaient travailler en Allemagne.

---Comment tu sais ça ? Demanda Ethel, éberluée.

---Je les ai vu s’entasser dans un camion.

---Et comment savaient-ils ou ils allaient.

---Les gardes et des membres du Junderäte qui les aidaient à monter ont dit, ---vous avez de la chance, vous partez travailler dans une usine de vêtements à Munich.

Ethel ne dissuada pas Walther. Peut-être fallait-il cette naïveté pour survivre dans ce monde de fou. Elle avait peur d’avoir encore une fois raison et se demandait si elle était la seule à comprendre que le seul but des Allemands était d’éliminer les juifs...tous les juifs.

---Demain, je vais aller voir le Junderäte, pour trouver du travail. Comme cordonnier ce ne doit pas être difficile, dit Walther.

Ethel réalisa qu’elle ne savait rien faire, et que ses qualités intellectuelles, ne servaient probablement à rien dans un endroit pareil.

--- Je me demande à quoi je peux leur servir, dit Ethel.

Elsa, protectrice la prit par le bras,--- Ne t’inquiète pas, dit que tu es couturière. Coudre n’est pas difficile, tu apprendras vite.

Leur optimisme et leur bonne volonté étaient touchants. Aider du mieux possible cette petite famille restait l’ultime but d’Ethel, sa dernière raison de vivre encore un peu. Un semblant de vie s’organisait au fil des jours. Dans cet univers insolite, singulier, les juifs s’étaient rapidement intégrés. On peut imaginer que sans la Solution Finale, ils auraient peut-être développé une nouvelle économie et auraient trouvé le moyen de prospérer.

Le lendemain de leur arrivée Walther, Elsa et Ethel avaient obtenu leur certificat de travail. Sans ce papier c’était la mort certaine, il suffisait d’un contrôle SS, pour être arrêté et disparaître définitivement. La sécurité n’était que provisoire, le certificat de travail changeait souvent. Et ainsi allait la vie dans le ghetto, d’incertitude en incertitude. Courir pour un papier, très vite remplacé par un autre et ainsi de suite. Jusqu’au jour où même ces certificats de travail n’étaient plus une garantie de survie. Une autre grande question, était quel métier choisir. Certains étaient considérés comme meilleurs que d’autres. La semaine suivante, c’était le contraire. La vérité, était que toutes ces fausses préoccupations n’intéressaient que les juifs. Une nourriture minimale, juste pour ne pas mourir de faim était le salaire de longues journées de travail. Walther et Elsa travaillaient dans un atelier ou on fabriquait des bottes pour l’armée allemande. Ethel, 12 heures durant, devant une machine à coudre confectionnant des vêtements fourrés pour les combattants en Russie. Différentes rumeurs couraient dans le ghetto. Certaines provoquaient des moments de panique. D’autres donnaient de l’espoir. Ainsi, Walther, revint un soir, prit Elsa par la taille et fit quelques pas de danses en chantant, ---Nous allons rentrer chez nous ! nous allons rentrer chez nous !

Il eut beaucoup de mal, à expliquer, qu’il était question de renvoyer tous les artisans chez eux, au plus tard dans 15 jours. Walther et Elsa parlaient d’avenir. La rumeur colportée se propagea avec des variantes avant de disparaître, et le ghetto reprenait sa vie normale... si l’on peut dire. Penser le quotidien, la maladie, la malnutrition, ne laissait à personne, le temps d’imaginer le futur. Jusqu’à sa disparition totale en 1944, régulièrement, les Allemands demandaient à la police juive du ghetto, un contingent de population pour des convois qui partaient on ne sait où, mais laissait aux malheureux la porte ouverte à tous les espoirs. Ca ne pouvait pas être pire. Lentement le ghetto se vidait. Parfois, les rumeurs provoquaient l’épouvante. Brutalement les mères apprirent que les enfants allaient être enlevés à leur famille pour une réinstallation vers un endroit inconnu mais qui garantissait leur avenir. Encore des coups, des cris et des larmes. Ceux qui refusaient étaient désignés pour le prochain départ.

Dans le bureau du Junderäte la liste du prochain départ était sur le point d’être close. À la lettre B et G on pouvait y trouver Ethel Birnbaum et la famille Greenspan. Être victime d’un pogrom, ça faisait partie des risques. Pillages, meurtres, maisons et synagogues incendiées, ça un juif pouvait comprendre, mais l’organisation bureaucratique du transport, l’exécution par le gaz, la crémation des corps, femmes, enfants et vieillards dépassait l’entendement. La plupart faisaient donc la sourde oreille aux rumeurs invraisemblables qui prédisaient qu’à leur arrivée, les juifs étaient gazés et brûlés. Qui pouvait être suffisamment sadique pour faire courir de tels bruits ? Ils étaient rares ceux qui savaient que la mort les attendait au bout du voyage. Ethel le savait. Elle se souvenait encore de l’autodafé du 10 mai 1933, place de l’Opéra à Berlin, perpétré par les étudiants eux-mêmes. Ce jour-là, elle avait compris que des gens capables de brûler la culture d’un pays, étaient capables de tout.

Le départ de la famille Greenspan et Ethel Birenbaum eut lieu le 9 juillet 1942. Ce deuxième voyage, fut plus pénible que le premier ; Les 250 km de Lodz vers Auschwitz furent un véritable calvaire de plusieurs jours. L’extrême faiblesse des déportés,la chaleur et le manque d’eau rendaient ce voyage infernal. Des jours... des siècles, sans eaux, sans nourriture, sans moyen de faire ses besoins autres que comme des animaux. Le 12 juillet les portes des wagons s’ouvrent sur un ciel bleu...serein...La promesse d’une belle journée d’été. Le personnel au complet, des gardes aux détenus chargés de la maintenance en passant par les médecins, qui participaient au traitement du convoi attendaient sur la rampe d’accès d’Auschwitz. On fit descendre rapidement les déportés, par des ordres brutaux et des coups de sifflets. Le comble de l’horreur, ceux-ci étaient visiblement soulagés d’être arrivés, réjoui d’être devant les portes de l’enfer. Ils devaient immédiatement abandonner leurs maigres bagages. Ethel et les Greenspan restèrent groupés. Elle remarqua très vite qu’une sélection s’opérait dès la sortie des trains. Un semblant de visite médicale formait deux groupes. Les vieillards, les mères et les enfants étaient séparés des autres. Walther fut désigné pour une file et Elsa et Greta pour l’autre. La séparation fut déchirante, Greta criait — papa ! papa ! — en tendant les bras vers son père, son visage baigné de larmes.

--- Vous serez réunis plus tard dit l’un des médecins.

Ethel n’en croyait rien et lorsque vint son tour, elle fut désignée pour le groupe des futurs travailleurs... esclaves pour des entreprises telles que Krupp, Siemens-Schuckert ou IG-Farben. Elle choisit de rester avec Elsa. Le médecin haussa les épaules et laissa faire. Il vit dans le regard d’Ethel, qu’elle savait n’avoir plus que quelques heures à vivre. Les femmes et les enfants furent dirigées, séparément des hommes, vers un bâtiment ou un garde leur dit de se déshabiller. Les vêtements seraient récupérés après la douche. À quel moment comprirent-elles que cette salle de douche était en réalité une chambre à gaz ? Lorsqu’elles s’aperçurent que les douches factices ne fonctionnaient pas ? Ou le comprirent-elles à la dernière minute, lorsque les cristaux de zyclon B, jetés par des regards du plafond, passaient à l’état gazeux. Ce poison était supposé avoir un effet rapide. La notice d’emploi disait que la dose mortelle était d’un milligramme pour un kilo d’être vivant et que l’agonie durait deux minutes. Lorsque les suppliciées comprirent qu’elles étaient dans une chambre forte qui distillait la mort, ce fut des cris de panique. Les plus fortes escaladèrent les plus faibles, pour prolonger leur vie d’une ou deux minutes. La notice se trompait, il fallait entre dix et quinze minutes pour qu’il n’y aie plus de survivantes. Lorsqu’elles comprirent que c’était la fin, Ethel serra Elsa et Greta dans ses bras. Elles ne résistèrent pas au gaz. Autant quitter au plus vite ce monde de détraqués. À la vision de ce rituel cauchemardesque, l’ange de la mort ferma les yeux pour ne pas voir. Il mit les mains sur ses oreilles pour ne pas entendre. Il serra les lèvres pour s’empêcher de hurler. Pour la première fois de sa longue vie, Satan s’adressa à Dieu. ---Pourquoi m’as-tu créé ? Tu n’avais pas besoin de moi, tu avais les hommes.

Il n’y eut pas de réponse.

Il ne fallut pas longtemps à Walther pour savoir ce qui était arrivé à sa femme et sa petite fille. Le seul acte de liberté du camp, c’était choisir de mourir. Quelques jours plus tard, il n’évita pas une des sélections routinières. C’est sereinement qu’il entra dans la chambre à gaz.


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