La dernière église
Jo Todaro
Qu'ont-ils fait pour les cieux et qu'a-t-on fait pour eux ?
Honorant de nos vœux un ciel qui semble creux
Et de porter aux nues un vieillard farfelu
Que je n'ai jamais vu, que tu n'as pas connu
Et jeter nos caprices dans les derniers solstices
L'absurde paradoxe d'une ultime équinoxe
Il était une fois, qu'ont-ils fait de nos fois ?
Et de ce sombre roi qui ne nous connaît pas
Et de nos larmes froides couvrant les jérémiades
De quelques vieux malades et leur sombre croisade
Des livres mal écrits, des quatrains obscurcis
Des promesses non tenues et ce soleil perdu
Ami, qu'on se le dise, c'est la dernière église
Les dernières pierres dressées et prêtes à s'effondrer
Des clochers titanesques qui auront touché presque
Et des cloches bâillonnées pour le dies irae
Mais même les statues, tu vois bien n y croient plus
Elles lèvent leurs mains nues et leurs regards perdus
Leurs grands yeux assombris à jamais engourdis
Leurs couleurs affadies et leurs lèvres meurtries
Implorant les peintures qui recouvrent les murs
Demandant à la lune d'effacer les rancunes
Mais qu'a-t-il fait du sang, mais qu'a-t-il fait du vent ?
Ce mirage si distant, ce magicien absent
De ces milliards d'offices, ces milliers de supplices
De nos corps qui pourrissent couverts de cicatrices
Cette procession d'espoirs menés à l'abattoir
Défilé de soupirs qu'on a laissés mourir
Ami, qu'on se le dise, c'est la dernière église
Derniers cierges brûlés, des volutes envolées
Toutes ces tours immobiles devenues si fragiles
Et le glas trop sonné pour le dies irae
Mais ami entre donc, entre dans ta maison
Ce château de visions laissées à l'abandon
Résidence trop immense aux couleurs de l'absence
Bien trop sinistre manse, théâtre de tant d'offenses
Parfum de moisissure, odeur de pourriture
Cette étrange résonnance où hurle le silence
Alors ami suis-moi, ami viens avec moi
Il est grand temps je crois de remplacer les bois
Par de nouveaux miroirs bien éloignés du noir
Des crasseux urinoirs et des sombres mouroirs
Regarder l'homme en face, cet homme couvert de crasse
Et se laver les mains, enfin croire en l'humain
Ami, qu'on se le dise, c'est la dernière église
Dernier Pater craché, dernières prières cachées
Au son du dernier orgue nous trainant vers les morgues
Les portes refermées pour le dies irae
Ami qu'on se le dise, c'est la dernière église
L'heure du dernier hymen, l'heure du dernier amen
C'est le dernier hiver, dernière heure éphémère
Nos dernières volontés pour le dies irae