La dernière escale phase 2

darklulu

Première partie ici : http://www.welovewords.com/documents/la-derniere-escale

Le canot de sauvetage tanguait au rythme des flots. Seul témoignage d’un drame qui s’était déroulé ailleurs, sur un autre rivage que ce monde.

Howard regardait cette frêle coque avec ce sentiment mitigé, où l’excitation d’avoir eu raison se partageait avec la peur… d’avoir eu raison.

Dans la passerelle, tout le monde était à la manœuvre. Il fallait accoster le canot doucement pour pouvoir le hisser à bord. On savait depuis un moment déjà que personne n’était à bord, aussi n’était-ce pas une mission de secours. Mais les relevés que l’on pourrait faire seraient peut-être assez clairs pour enfin obtenir une idée de l’endroit où il était allé.

-         Nous l’avons, monsieur, lança enfin le capitaine.

-         Très bien, répondit Howard. Que personne n’y touche tant que je ne l’ai pas examiné.

Sur le pont, l’esquif semblait grossier hors de son élément, comme un dauphin échoué.

Howard s’en approcha avec le même respect que s’il s’agissait de la mythique Arche d’Alliance.

Une des premières choses qu’il remarqua fut les traces de sang. On s’était battu à bord du canot. Quoique vu la quantité de sang, il aurait été plus juste de dire qu’une mise à mort avait eu lieu…

Howard, avec mille précautions, gratta un peu de sang séché qu’il fit tomber dans une éprouvette. Il fit la même chose sur les œuvres vives. Il rangea précautionneusement les échantillons qui seraient méthodiquement analysés.

Puis, enfin, il regarda à l’intérieur du canot.

Ses yeux s’agrandirent, et la fébrilité l’envahit.

Il y avait le journal de bord.

Peut-être y aurait-il un témoignage direct de ce qui s’était passé.

Comme s’il prenait la relique d’un saint, Howard se saisit du livre. Il se refusa de l’ouvrir ici malgré l’envie mordante qu’il avait de parcourir ses lignes, mais il le rangea au contraire dans une pochette étanche.

Il continua d’examiner le canot scrupuleusement pendant plus d’une heure.

Quand il estima en avoir fait le tour, il retourna en passerelle.

-         Capitaine, notez soigneusement notre position. Il nous reste combien d’autonomie ?

-         On a de quoi tenir une semaine. Après, il faut rentrer.

-          D’accord… on va rester au mouillage cette nuit. Briefez vos hommes de quart : je veux qu’ils rapportent tout événement sortant un tant soit peu de l’ordinaire, même si cela semble anodin. Et personne ne doit sortir à la nuit tombée, sauf nécessité. Vous connaissez le poisson que je cherche à pêcher…

-         Oui, monsieur. Moi je sais… mais ce n’est pas le cas de mes hommes. Si je les empêche de sortir, ils vont se demander pourquoi. Il faut trouver quoi leur dire.

-         Hum. Vous en avez à qui vous faites absolument confiance ?

-         Je dois pouvoir trouver ça…

-         Mettez-les dans la confidence. Vous pourrez ainsi vous appuyer sur eux pour surveiller le pont si des hommes s’y trouvent.

-         Comme vous voulez.

-         Je suis dans ma cabine. Je vais étudier le journal de bord du « Perle de l’Orient ». Si j’y trouve des éléments nouveaux, je vous le ferai savoir.

Howard referma le livre de bord.

Ainsi l’abduction se faisait-elle en douceur. Une transition entre ce monde et celui des profondeurs tout en douceur.

Il avait déjà entendu parler de ces étranges feux de Saint-Elme. Mais la description qu’en faisait le capitaine du Perle de l’Orient les éclairait sous un jour nouveau. Jusque là, Howard avait pensé qu’ils n’étaient que la manifestation physique des énergies utilisées pour ouvrir la brèche et faire passer la proie.

Mais il semblait qu’ils fussent beaucoup plus que cela. Des genres d’éclaireurs. Leur comportement laissait penser qu’ils étaient doués de volonté, et de la faculté d’agir par eux-mêmes. Et également des prédateurs.

Voilà qui était nouveau.

Un coup d’œil à la pendule lui confirma ce qu’il savait déjà. Six heures du matin avaient sonnées. Il avait passé la nuit à lire le journal de bord et à comparer les informations qu’il contenait à ses propres notes.

Il sortit de sa cabine et se dirigea vers la passerelle.

Après un salut de pure forme à l’équipage de quart, il parcourut le compte-rendu de la nuit.

Rien.

Frustré, mais il s’y attendait, il demanda néanmoins à la cantonade :

-         Rien à signaler, cette nuit ?

-         Non, monsieur. Une véritable mer d’huile cette nuit. Se sont encore gourés aux prévisions météo.

Howard sentit son cœur louper quelques battements, et il fit de son mieux pour n’en rien montrer.

C’est comme cela que les choses avaient débutées pour le Perle de l’Orient. Une mer calme, que pas un clapotis ne venait troubler.

Si cette nuit les feux de Saint-Elme apparaissaient, cela voudrait dire qu’ils étaient sur la bonne voie.

Mais il fallait s’y préparer. La cale était pleine de matériel que Howard estimait nécessaire pour une telle expédition. Dans tout le fatras embarqué, il y avait une cage de faraday. Voilà qui ferait parfaitement l’affaire.

En quittant la passerelle, il passa par la cabine du capitaine, auquel il demanda de mouiller la balise de repérage, qui, espérait-il, leur permettrait de ne pas s’égarer si ses doutes étaient fondés.

Howard s’arrêta un instant aux cuisines prendre un en-cas. La journée allait être longue jusqu’à ce soir. Puis il réquisitionna deux matelots qu’il embrigada pour trimballer sa cage et l’installer sur l’endroit le plus dégagé du pont.

Il peaufina son piège, prépara un plan de secours, et attendit que le soleil se couche. L’océan avait toujours cette platitude si rare, et en ce qui le concernait, de si bon augure. Il essaya bien de rattraper sa nuit de sommeil, mais l’excitation l’empêcha de fermer l’œil.

Enfin ce fut la nuit.

Howard était posté sur la passerelle. Il guettait.

Puis il en vit un. Et un autre, et encore un autre.

Les feux de Saint-Elme arrivaient.

Il prit le micro et activa la diffusion générale.

A tout l’équipage. Veuillez quitter le pont. Je répète veuillez quitter le pont et rentrer dans le bâtiment. Une expérience scientifique est en cours. Je vous demande également de verrouiller tous les accès à l’extérieur, à l’exception de la coursive donnant accès direct sur le pont principal. Merci de votre coopération.

Ensuite, il fit exactement le contraire que la consigne qu’il venait de donner.

A pas mesurés, il quitta la passerelle, et se dirigea vers la cage de faraday. Une trentaine de mètres le séparait de son objectif. Une distance couverte en moins d’une minute, même en tenant compte des escaliers qu’il devait descendre. Pourtant le malaise qui l’envahit dès qu’il fut dehors lui fit paraître cela une éternité.

Howard avait l’impression qu’une multitude d’yeux le guettaient, le scrutaient. Et dans ces regards qu’il croyait s’imaginer, il sentait de la malveillance, une cruauté latente qui lui donna la chair de poule.

Néanmoins, il ne se retourna pas.

Quand enfin il fut devant la cage, il se permit un regard circulaire. Ce qu’il vit le tétanisa pendant plusieurs secondes. Les feux de Saint-Elme s’étaient rapprochés, et il aurait juré qu’ils avaient entamé une manœuvre d’encerclement.

Ce fut avec la main tremblante qu’il ouvrit la cage de faraday. Il ne l’activa pas, mais y pénétra simplement, et attendit.

Il n’eut pas beaucoup à patienter. Un feu de Saint-Elme, plus téméraire que les autres pénétra à sa suite.

Howard avait soudain l’impression de se retrouver dans la même cage qu’un fauve affamé. Le feu de Saint-Elme frôla son bras et il ressentit une vive douleur. Il y avait maintenant sur son membre une morsure sanguinolente.

Entre la détermination et la panique, il sentit que le moment était venu. Il se précipita hors de la cage. Il en referma rapidement la porte, et, dans le même geste, l’activa. Et sans chercher à savoir si cela avait fonctionné, il courut comme un fou se réfugier dans la coursive qu’il avait laissée ouverte, et dont il verrouilla fébrilement l’accès.

A l’extérieur, il lui semblait entendre des cris étouffés, des grognements de rage et de colère.

Aussi vite qu’il le put, il rejoignit la passerelle.

Il y pénétra sous le regard médusé de l’équipage.

Ils étaient pour l’instant trop pétrifiés pour dire quoi que ce soit, mais les questions – et les reproches – viendraient rapidement, il n’en doutait pas.

Puis enfin, Howard put contempler le spectacle qui avait figé les marins.

Un feu de Saint-Elme était enfermé dans la cage de Faraday. Il s’agitait en tout sens, menaçant de la renverser. Les autres tournaient autour, comme pour trouver une ouverture pour le libérer. Et baignant cette terrifiante vision, il y avait ces voix. Les paroles étaient inaudibles, mais cela ne faisait aucun doute.

Les feux de Saint-Elme communiquaient.

Howard, cette fois, était pris de court. Il ne savait absolument pas ce qu’il allait faire de son prisonnier.

Il pressentait désormais que la douleur lancinante de son bras blessé n’était que la première épreuve qu’il aurait à affronter pour obtenir les réponses qu’il désirait tant.

A suivre…

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