La dernière rose d'Epona
Caïn Bates
Les dieux sont si puérils, il vous suffit de les titiller pour obtenir d'eux ce soupçon de fureur, cette envie dévorante d'obtenir réparation. C'est précisément quand ils sont dans tout leur états qu'ils deviennent prévisibles, presque manipulables.
Un matin, je fut las d'errer dans ce monde dans lequel plus rien n'avait de sens, ni la vie, ni la mort. Une idée taquine a alors germée dans mon esprit, peut être est ce finalement l'heure. Non loin de mon exil, il y avait cet attroupement d'agneaux dont le berger est si fatigué qu'il n'y prête pas attention. Au sein de ce troupeau vit un agneau aux allures d'électron libre, le berger passe son temps à le chercher alors je choisit de l'aider. L'amas de laine s'éloigna à mon approche, laissant ce petit être seul, couché dans l'herbe fraîche, me dévisageant de ses yeux vides. Je m'agenouille alors devant lui, arrachant quelques brins d'herbes pour les lui tendre, il les pioche sans crainte et les mâchonne paisiblement. Je m'assois alors à ses côtés en tendant ma main le sommet de son crâne pour qu'il s'y frotte, ce qu'il fît presque aussitôt.
Cet agneau me ressemblait autant qu'il me faisait penser à mon frère, rebelle mais tendre, agité mais paisible. Je ne pouvais pas me tromper en le choisissant, il sera parfait... Après quelques caresses et quelques poignées d'herbes de plus, l'animal me suivit sans crainte, bien que s'attardant à droite et à gauche mais, nous n'étions pas pressés, seul m'importait que cette boule de poils se sente bien. Sur le seuil de ma caverne, l'animal s'arrêta subitement de marcher et se coucha sur le flanc. Non pas qu'il avait peur, je pense plutôt qu'en lui se cachait une part d'intelligence, de lucidité. Au fond de moi je sentais qu'il le savait, qu'il était prêt. Alors, j'ai sorti la lame d'os, celle qui avait eue raison de mon frère, et je la lui ai planté en plein cœur de manière à ce qu'il ne souffre pas. Après tout, cette pauvre bête n'était qu'une victime innocente de son fléau. Je me suis ensuite couvert de son sang, me suis nourri de ses entrailles en ne me focalisant uniquement que sur la haine qui me rongeait, ces pensées blasphématrices qui me parvenaient encore, me maudissant plus encore à la mort de cette seconde victime. Finalement, j'avais réussi, la terre s'est mise à trembler, à rugir, à se fissurer.
Quelques jours plus tard, une tête couronnée vint à ma rencontre. C'était un homme grand à la silhouette élancée, paré de beaux atouts et portant au dos un immense arc d'If et un carquois doré rempli de longues flèches argentées. Il chevauchait sa monture immaculée comme un seigneur tentant d'impressionner un concurrent lors d'une joute et d'attirer le regard des belles. Il exigea, en réparation, que je verse un pécule au berger ainsi qu'un repas dans ma demeure pour les repaître tout les deux. J'accepta volontiers et tout deux repartir le lendemain, l'air apaisé. Le ciel grogna tout le long de la semaine, j'étais fier de moi.
Une froide matinée inexplicable en cette belle saison, on pouvait voir au loin des flammes dévorer la forêt et la fumée s'élever dans les cieux avant de retomber sur la terre en un épais brouillard. La brume semblait habitée par des âmes torturées, des cris jaillissaient de toute part quand s'approchèrent des bruits de sabots et des hennissements de fureur. Une silhouette flamboyante se dessinait peu à peu au bas de la colline, suivie d'un léger éclat de lumière qui dissipait la brume à son passage. Les sabots de feu embrasèrent les lys qui sillonnaient l'allée de ma tanière et le cavalier bondit face à moi, la main sur la poignée de son immense flamberge. Derrière lui, toujours en selle, sa Majesté tentait de l'apaiser de sa voix lumineuse. Le visage du guerrier, maculé de sang, crachait quand à lui des mots incompréhensible semblable à des tirs de canons dévastateurs. N'attendant pas la fin de l'affrontement verbal (à sens unique), je sortit ma dague et la planta au plus profond de ma chair pour y tracer ce symbole que l'a m'a obligé à porter tout ce temps. Par trois fois, Vav a paré mon bras ensanglanté. Irrité, le flamboyant gaillard se remit en selle et disparu dans la fumée dans un éclair aveuglant.
Dévasté par la guerre, le royaume ne tarda pas à augmenté ses prix et de toutes part, on entendait les gémissements des affamés et les cris désespérés des familles découvrant qu'un des leurs avait succombé le ventre vide. Nos terres n'étaient approvisionnées que par un unique marchant, un homme vêtu de vert accompagné d'une mule anormalement maigre et de sa fidèle balance qui déterminait la vitesse de votre ruine et du nombre de jours qu'il vous restait à souffrir. Quand vînt mon tour de puiser dans ses marchandises, j'offrît ma part au berger à qui j'avais prit une bête. Le pauvre avait vu son troupeau périr petit à petit et n'avait plus ni nourriture ni moyen de gagner de l'argent. Le marchand avait l'air étonné qu'un ermite choisisse de céder sa part au profit d'un autre et refusa le marché prétextant que cela viendrait à encourager les affrontements entre les rationnés. Je lui proposa alors de m'offrir sa mule pour sa nourriture, une modeste part pour un modeste ermite, voilà qui était équitable. Il grommela des mots entre ses dents avant de déposer sur la clôture du berger mon sac à provisions.
Alors que tout devenait sombre dans le ciel et dans le cœur des gens, de nombreux rayons de lumière vinrent un matin inonder le château de sa Majesté. Toute la cité fut baignée dans la lumière tandis que le reste du royaume sombra dans une nuit noire inhabituelle. La terre se remît à nouveau à gronder, à craqueler avant de s'ouvrir dans le pré où vivait autrefois mon voisin. Du cratère béant jaillit un cheval squelettique chevauché par une silhouette encapuchonnée qui tenait à bout de bras une immense faux. À son passage, tout se mit à mourir: arbres, plantes, petits animaux, gros bétails, hommes et femmes. Les rayons se mirent à briller plus intensément et le canasson fît demi-tour, chargeant désormais vers ma direction. Des flèches sifflaient autour de lui mais aucune ne purent l'atteindre, des parterres de feu venaient lui barrer la route mais les flammes ne faisaient que lui caresser le visage, embrasant finalement sa cape pour exposer cette créature cadavérique.
Mais, une fois à mi hauteur de la butte menant à mon abri, le cheval s'arrêta net avant de gravir le petit chemin de terre brûlé au pas. C'est là que j'ai reconnu mon plus vieil ami, Mort. Nous avions un compte à régler lui et moi mais, malheureusement pour lui, ni aucun homme ni aucun envoyé céleste ou infernal ne pouvait avoir raison de moi. Celui qui l'avait envoyé ici s'était donné tout ce mal pour rien. Et, quand il ordonna à sa monture de charger vers un ultime assaut, les trois autres canassons foncèrent à sa rencontre et ruèrent simultanément. Mort avait fait périr la dernière rose d'Epona, leur maitresse. Mort désarçonné, je m'approche de lui en brandissant la lame qui lui avait donné sa toute première mission, l'arme ultime qui a fait coulé le sang du premier condamné. Le cavalier ressent désormais la peur de toutes ses victimes, lui qui va maintenant les rejoindre.
Que cette histoire soit dite à tout les peuples, Caïn n'obéit à aucun dieu, Caïn ne reconnaît la puissance d'aucun maître. Caïn ne connaîtra ni la peur, ni la mort. Telle est sa malédiction.