La dune orange

loinducoeur

Le soleil vient de se montrer entre deux formes arrondies par le vent. Nous ne sommes pas les seuls à avoir fait ce voyage, à être là, en attente d'un moment de plaisir intense. Alors les premiers pas, nous les posons dans ceux des autres, comme pour éviter de réveiller cette masse imposante et pourtant fragile. Ne pas souiller de nos empreintes, ce refuge de la nature, cette immensité de sable dont nous ne connaitrons qu'une infime parcelle. Il faut suivre la crête sinueuse de la dune. Ce chemin à la file indienne, nous l'empruntons avec respect. Respect de ceux qui nous précédent, de ceux qui l'ont parcouru avant nous, en songeant que d'autres viendront bientôt. Aucun d'entre nous n'oserait presser le pas. Le temps n'existe que par la lente ascension de l'astre chaud et lumineux, qui creuse déjà nos ombres.

Car tu as cru, enfant de la terre, qu'il te serait facile de pénétrer dans ce sanctuaire. Tu mesures à l'instant, que tu n'as parcouru que quelques dizaines de mètres, qu'il te faudrait des jours, des semaines, peut-être pour percer le secret de la dune orange.

Avance !

Il me vient l'envie d'aller plus loin. De sortir de la trace. Là-bas, il n'y aura plus personne pour me suivre et je goûterai à la liberté. Le premier sommet atteint, je me sens plus fort, empli d'une satisfaction surévaluée, prêt à en découdre. Pourquoi cette embellie intérieure ? Faut-il que je m'éloigne de la compagnie d'autrui pour me sentir libre de mes mouvements, libre d'esprit ?

J'accélère le pas.

Devant moi, une intersection me surprend. Je n'avais pas imaginé que même ici, surtout ici, je dusse encore choisir. A l'instant de monter plus haut dans les dunes, d'être tenté de me perdre enfin, me voici confronter au doute existentiel. Une goutte de sueur perle de mon front et me rappelle à la réalité. La dune orange semble s'en divertir. Espiègle, elle attend, encore assoupie d'une courte nuit sans homme, que je me décide, que je renonce. J'entends au loin derrière moi, les murmures des autres marcheurs contemplatifs. Ils profitent de la vue, dans une sagesse paresseuse. Retourner vers eux paraît tout à coup inévitable. N'y a-t-il pas d'autre route ? L'humiliation me guette. La fatigue m'envahit. J'étais bien parti, tu sais.

Dégringolade.

Je prends la courbe vers la droite et je me fixe un but. Atteindre ce creux un peu plus loin, et puis me lancer dans la pente vierge. Ah, la belle sensation remontant sous mes pieds lorsque je glisse dans le sable fluide qui crie son désir de se sentir foulé. Une joie enfantine me donne le frisson. Expérience beaucoup trop courte, quasi fugitive, qui me laisse un souvenir à peine chaud. En bas, il n'y a plus d'hésitation à avoir. En bas de la dune, je retournes vers les autres, vers la piste qui m'a mené si près de l'aventure, que j'y ai cru. En bas je sais où aller, et c'est tellement trop simple.

Derrière nous, la dune orange a souri.

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