La famille des Gordini. (3)

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La véritable histoire.

L'année où Neil Armstrong a mis les pieds sur la lune, dans ma famille on pensait que tout était désormais possible sur la terre. Les voitures avaient été changées et les maisons repeintes, les femmes se baignaient nues dans les rivières et les hommes allaient le samedi soir aux putes devant tout le monde. Moi, le samedi soir, j'avais mon Docteur Maboul pour parfaire mon habilité et la connaissance du corps humain.

C'est juste avant Noël, alors que je m'apprétais à chasser le Dahu avec mon grand-père dans le bois au loup, que retentit le téléphone en bakélite du petit bureau...

- Allo ? Quoi ? Qui ? J'y comprends rien, j'vous passe ma femme... (mon grand-père n'aimait pas le téléphone, il préférait que les choses lui soient dites en face et à la maison de préférence, pour se donner l'occasion de boire un coup !).

- C'est qui ?

- J'en sais rien... ça parle pas comme par chez nous !

- Allo ?... Yes !... Hello aim Happy aussi !... Of course ! Yes toumoro !... Toumoro after moon ?... OK... Yes toumoro after moon... free o cloque... ouère ?... Orly ?... Ah  OK ! Iam Happy ! Yes ! Toumoro Orly after moon free o cloque ! Baille baille...

- C'aité ki ? !!! C'était qui ?

- C'étaient les Gordini... ils viennent pour les fêtes, à 3 heures demain ils arrivent à l'avion d'Orly-nord.

Ma grand-mère avait ce jour-là dans les yeux un bleu différent de celui d'habitude... un bleu robe Yves Saint-Laurent, un bleu Jardin Majorelle.

Depuis le panoramique de l'aérogare, les avions semblaient me venir dessus. Plus je m'approchais de la grande vitre et plus j'avais l'impression qu'ils allaient m'écrabouiller la gueule comme une mouche de salon et finir dans l'aspirateur à pépé. Pour me sortir de ce piège, je me suis mis à courir à l'envers, me raccrochant comme je le pouvais à la Main courante du grand escalier, où tel dans un ralenti Américain, je sautais plusieurs fois une série de plusieurs marches, sans que pour autant tout cela me soit plus difficile que de les prendre une à une. Surpris de cet exploit et de ce retournement de situation, je balbutiais minablement à ma grand-mère dans ses bras, un reste de peur:

- Mémé... mémé... mémé !

- Qu'est-ce qu'il y a mon P'tit ?

- Rien...

Je venais d'échapper à une névrose aérienne et n'osais le lui dire... à mon âge, le Docteur Maboul il s'occupait pas de la tête.

- Il fait froid, ferme ta moumoute, tu vas finir par tousser tout à l'heure...

A cette époque, je ne sais pas comment les gens faisaient sans réseau 3G pour se retrouver. Les Gordini sont arrivés sur nous  au bar central sans trop de difficulté, alors que je tirais sur ma paille les dernières bulles en mousse de mon cacao. Il était grand et de style mafieux, pas le genre de mec à pousser une poussette sous la neige. Elle, portait de grandes boucles d'oreilles en plumes et avait dans ses bras un petit enfant dans un plaid couleur orange Pan Am.

- Oh comme elle est Veri Nyce ! Comment elle s'appelle ? The nem is ?

- Betty... Betty Gordini.


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