La Faute à la vie - Chapitre Dix

Julie Vautier

Peter Bailey est avocat, éternel commis d'office pour les jeunes délinquants. Il n'attendait plus rien de la vie. Jusqu'au cas Killian Murray.

L'endroit était sale. Des graffitis bouffaient les murs de part et d'autre. Une odeur constante de sueur et de crasse viciait l'air alentour. Des herbes folles envahissaient l'endroit. Tout comme les junkies, étendus à même le sol. Certains dormaient. D'autres fumaient ou sniffaient leur dose. D'autres encore regardaient au loin avec des yeux hagards. Tout était malsain dans cet endroit.

J'ai déambulé pendant de longues minutes sous le regard paumé des drogués. J'ai examiné chaque recoin. Parfois, un rat s'en échappait. Même lui était moins sale que les toxicos qui vivaient là. L'odeur qui émanait du lieu me donnait la nausée. J'avais hâte de partir. Mais pas avant d'avoir retrouvé Killian.

C'était le commissaire Perez qui m'avait donné cette adresse. C'était le lieu de rendez-vous, le lieu de vie et souvent le lieu de mort de la plupart des junkies de la ville. Killian avait souvent été vu ici. J'avais des chances de le retrouver ici. En mon for intérieur, j'espérais qu'il n'avait jamais amené ma fille ici.

J'ai voulu continuer à chercher. Une gamine m'a barré la route. J'ai observé son visage. Malgré la fatigue, malgré l'addiction, elle restait une jolie fille. Elle devait avoir à peine seize ans. Nous nous sommes toisés. Sans un mot. J'ai voulu passer. Elle m'en a empêché. Un gars est venu l'épauler. Pas plus de vingt ans, le gars.

-          Je cherche quelqu'un, ai-je dit.

-          Qu'est-ce qui te fait croire que ton quelqu'un est ici ?

J'ai observé la jeune fille. Sa voix aussi était fatiguée.

-          C'est un toxicomane. Vous le connaissez sûrement. Il s'appelle Killian Murray.

La jeune fille a regardé son acolyte. Il a secoué la tête. Elle a secoué la tête.

-          Connais pas.

-          Vous permettez que je cherche par moi-même ?

Le gars s'est avancé vers moi. Il faisait une tête de plus. Il était maigre et pâle. Il faisait peur à voir.

-          Non, je te permets pas.

La jeune fille s'est éloignée. Je suis resté avec le type.

-          Je veux juste le retrouver. Après, je m'en vais, c'est promis.

-          Va-t'en.

-          Je ne resterai pas longtemps.

-          Mais t'es bouché ou quoi ? Casse-toi !

J'ai insisté pour chercher Killian. Le gars refusait de me laisser passer. Il était maigre mais la drogue aurait pu lui faire faire n'importe quoi. Je ne voulais pas en arriver aux mains. J'ai essayé d'argumenter. Il s'est énervé. Le ton a commencé à monter. Je crois qu'il m'en aurait collé une si Killian n'était pas intervenu.

-          C'est bon, Jeff, je m'en occupe.

Le-dit Jeff s'est éloigné. Killian s'est approché. Il avait le regard plus sombre que jamais. Les cernes lui donnaient cinq ans de plus.

-          Qu'est-ce que tu fous là ?

-          Rentre à la maison.

Il a ri. D'un rire amer.

-          Tu me fiches à la porte et maintenant, tu me supplies de revenir ? Va te faire foutre, Pete. Je suis bien ici, j'y reste.

-          Rentre à la maison, s'il te plaît. C'était une connerie de te mettre dehors.

-          C'est trop tard. Laisse-moi tranquille.

Il a voulu tourner les talons. Je l'ai attrapé par le bras.

-          J'ai fait une connerie, Killian, et je te demande pardon.

Killian ne s'est pas débattu. Il m'a fixé. Avec ses grands yeux bleus.

-          J'ai promis que je t'aiderais et je vais t'aider mais je ne peux pas le faire tout seul. Tu dois m'aider, toi aussi.

J'ai lâché son bras. Il n'a pas bougé. Je n'ai pas bougé non plus.

-          Je vais être honnête avec toi, Pete. J'apprécie que t'essayes de m'aider. Non, vraiment. J'apprécie. Mais il y a un truc que tu comprends pas.

Il a ménagé un silence. Il cherchait ses mots. Il voulait que je comprenne. Il voulait être très clair. Je l'ai fixé.

-          Je sais que c'est mal, ce que je fais. Je le sais. Je sais que c'est mal et que ça me tuera. Mais qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ? J'ai rien dans la vie. J'ai pas de famille, pas d'amis. J'ai lâché le lycée et la seule fille que j'ai jamais aimée est morte par ma faute. J'ai pas de diplôme, pas de compétence. Je sais rien faire à part me droguer. J'ai aucun moyen de m'en sortir dans la vie. J'ai pas d'avenir et j'ai cette putain de culpabilité qui me bouffe depuis que Cassie est partie. La coke, c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour oublier ma vie de merde. Pour oublier Cassie. Pour m'oublier moi. Ça dure que dix minutes mais ces dix minutes, je les savoure parce que ce sont dix minutes pendant lesquelles je ne suis rien. Dix minutes pendant lesquelles je ne suis personne. Parce que je suis personne. Mais il y a une différence entre être personne et être personne sous l'influence de la drogue. Et, crois-moi, je la vois, la différence. Tu veux m'aider, c'est tout à ton honneur. Mais je sais déjà comment je finirai. Je crèverai d'une overdose, comme ta fille, et je l'aurais bien cherché.

Ses yeux brillaient. De désespoir, de souffrance, de culpabilité. Ils brillaient. Et ça m'a fait mal de le voir comme ça. Parce que tout ce qu'il venait de me dire s'appliquait à moi. Je n'avais plus d'avenir depuis la mort de Cassie. Je n'avais plus rien. Je me plongeais dans le travail pour oublier ma vie. Pour m'oublier moi. Pour n'être plus qu'un simple avocat. Ça m'a fait tellement mal de l'entendre dire ce genre de choses. De penser ça de lui. Parce que ce qu'il pensait de lui, je le pensais de moi. Lui et moi devions sortir de cette spirale destructrice.

Je n'ai pas trouvé de mots assez forts pour lui dire tout ça. Je ne savais pas comment formuler ça. Alors, je me suis simplement avancé vers lui. J'ai posé mes mains sur ses épaules. Killian m'a regardé un long moment. Puis, il a laissé tomber sa tête contre moi. Il n'a pas pleuré. Sa fierté l'en a empêché.

-          Je vais te sortir de là, Killian. Je te le promets.

Il y a peu, je pensais avoir pris la mauvaise décision en acceptant le cas de Killian. Je ne savais pas comment faire. Je ne sais toujours pas comment faire. Je sais seulement qu'aujourd'hui, il n'était plus question d'abandonner. Parce que j'avais dans mes bras un gosse détruit, un gosse perdu. J'avais dans mes bras un gamin complètement bousillé par la vie qui demandait une chance de s'en sortir. Cette chance, c'était moi. Et cette fois-ci, je ne le laisserai pas tomber.

  • Vous décrivez ces endroits de perdition comme si vous les aviez fréquentés vous même, je m'inquiète pour vous douce Julie...

    · Il y a environ 7 ans ·
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    enzogrimaldi7

    • J'ai beaucoup lu et vu de films sur le sujet, notamment "Moi, Christiane F.", qui m'avait profondément marquée.
      Je ne sais pas vraiment à quoi ressemblent les repaires de junkies, mais je les ai toujours imaginés sales et tagués de partout.

      · Il y a environ 7 ans ·
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