La Faute à la vie - Chapitre Treize

Julie Vautier

Peter Bailey est avocat, éternel commis d'office pour les jeunes délinquants. Il n'attendait plus rien de la vie. Jusqu'au cas Killian Murray.

J'ai toqué à la porte de la chambre de Killian. J'ai regardé ma montre. Je me suis impatienté. J'ai retoqué. Pas de réponse.

-          Killian, on va être en retard !

Pas de réponse. J'ai voulu ouvrir la porte. Elle était fermée à clé. J'aurais dû lui confisquer cette clé. Je l'ai appelé. Une fois. Deux fois. J'étais prêt à défoncer la porte quand j'ai entendu la clé tourner dans la serrure. Surpris, j'ai attendu quelques secondes. Il m'avait ouvert la porte. Je suis entré dans la chambre. Killian était assis devant sa fenêtre. Un rail de coke devant lui.

-          Killian, il faut qu'on y aille ou on va être en retard.

Il n'a pas répondu. J'ai soupiré. Je me suis assis à côté de lui. Je l'ai empêché de sniffer sa coke. Il n'a pas bronché.

-          Il faut qu'on y aille.

-          T'as déjà eu envie de mourir ?

La question m'a déstabilisé. Je ne m'y attendais pas.

-          Parce que moi, oui.

Il a regardé droit devant lui. Ses grands yeux bleus sur l'horizon. J'aurais voulu lui répondre que moi aussi, j'avais eu envie de mourir. Quand les flics m'ont appelé il y a deux ans. Quand ils m'ont dit qu'ils avaient trouvé un corps. Que ce corps ressemblait à celui de ma fille. Quand je suis allé à la morgue pour l'identifier. J'ai eu envie de mourir à ce moment-là. J'aurais donné n'importe quoi pour ramener mon enfant. J'aurais donné ma vie. J'aurais pu mourir pour elle.

-          Non, jamais.

Je me suis levé. Je lui ai demandé de se dépêcher. Il ne bougeait pas. Finalement, il a tendu la main vers son rail. Je l'ai empêché de le sniffer. Il a grogné et a rangé sa came.

-          Tu viens maintenant ?

Il a haussé les épaules. Pas très motivé. Pas très motivant.

-          Pourquoi tu ne me laisses pas t'aider ?

-          Je t'ai déjà dit pourquoi.

-          Redis-le-moi.

Killian a regardé fixement par la fenêtre. Il a replié ses jambes en tailleur. Il a posé ses coudes sur ses genoux.

-          J'ai rien dans la vie qui me donne envie de me battre.

Je me suis rassis à ses côtés.

-          On trouvera. Une chose à la fois. D'abord, on te fait décrocher. Le reste, on verra après.

-          Mouais.

J'ai soupiré. Il y avait des jours où ce gamin me désespérait. Un défaitisme pareil. A son âge.

-          Tu sais quoi ? ai-je dit. Je te propose un marché.

Killian a tourné la tête. Il était intrigué.

-          On va à ce rendez-vous et, après, je t'emmène voir la tombe de Cassie.

-          On y va juste après ?

-          Juste après.

Le ton de sa voix se voulait décontracté et détaché. Lui ne l'était pas. Il bouillonnait intérieurement. Il crevait d'envie d'aller voir Cassie.

-          On a un deal ? ai-je demandé.

-          On a un deal.

Nous sommes allés à ce rendez-vous. Ça s'est bien passé. Le spécialiste nous a parlé des différents centres. Il nous a parlé des procédures. Des papiers à remplir. Des papiers à fournir. Des papiers à garder. J'ai noté tout ce que je pouvais noter. Killian est resté calme. Mais il n'écoutait pas. Il ne pensait qu'à Cassie. Il était encore fou amoureux d'elle. Même après deux ans.

J'ai vu ses mains commencer à trembler. Légèrement. Imperceptiblement. Il ne disait rien. Il est resté calme. Il a serré les mâchoires. Il a serré les poings sous la table. Il est resté calme. Le spécialiste s'est absenté quelques secondes. J'ai posé ma main sur son épaule. Je l'ai serrée. Il ne m'a pas regardé mais il était réceptif.

Le spécialiste est revenu. Il m'a donné d'autres brochures. Il m'a expliqué les procédures que je pouvais faire. Il m'a donné le prix de la consultation. J'ai payé et Killian et moi sommes sortis. Il était temps que le rendez-vous se finisse. Dans le couloir, il tentait de marcher le plus normalement du monde. Les mains dans les poches. Mais ses poches tremblaient.

-          Je me sens pas bien du tout.

-          Tiens bon, on est presque sortis. Essaye juste de ne pas gerber.

Il a serré les dents plus fort.

-          Putain, j'ai laissé ma dose à l'appart…

-          Elle est dans la boîte à gants.

Il m'a jeté un regard en coin.

-          Je me suis douté que tu en aurais besoin.

Il n'a rien répondu. J'ai passé mon bras dans son dos. Il a voulu résister.

-          Laisse-moi t'aider. Tu es au bord du malaise.

Il s'est laissé faire. Nous avons rapidement quitté l'hôpital et avons rejoint la voiture. Il s'est assis et s'est jeté sur la boîte à gants. Il était tellement mal qu'il en suffoquait. Je l'ai regardé faire, impuissant. Ses mains tremblaient tant qu'il n'arrivait pas à ouvrir la boîte à gants. Il s'est violemment appuyé contre le siège, une main sur le front. Haletant.

J'ai ouvert la boîte à gants à sa place. J'ai préparé son rail à l'abri des regards. Je suis resté auprès de lui tandis qu'il le sniffait. J'ai attendu qu'il aille mieux. Ça a pris quelques minutes.

-          C'est bon, c'est passé. On peut y aller.

Il est resté au fond de son siège. Les yeux fermés.

-          Tu as vu dans quel état ça te met ? Tu ne crois pas que ça serait une bonne idée d'arrêter cette merde ?

-          Emmène-moi voir Cassie, a-t-il dit du bout des lèvres.

Je me suis assis à la place du conducteur. J'ai entendu Killian jurer. Je me suis tourné vers lui. Il saignait du nez.

-          Ça m'arrive parfois.

Il a renversé sa tête en arrière.

-          Garde la tête en avant et bouche-toi le nez.

-          Je vais avoir du sang plein les mains.

-          Tu préfères cracher du sang, peut-être ?

Il a baissé la tête et s'est bouché le nez. Ce gosse m'aura tout fait. Je me suis penché pour attraper un paquet de mouchoirs dans la portière de la voiture. Je lui ai tendu un mouchoir. Il n'a rien dit.

-          Regarde-toi, sérieusement. Tu as du sang sur la tronche à cause de la coke que tu viens de prendre.

-          J'irai pas dans un centre.

-          Ok. N'y va pas et meurs.

-          Emmène-moi voir Cassie.

Je n'ai rien ajouté. J'ai démarré la voiture. Le cimetière était à quinze minutes de l'hôpital. Je n'y avais pas été depuis un long moment. Mais je me souvenais du chemin. Le nez de Killian ne saignait plus quand je me suis garé. Je suis sorti le premier.

-          C'est joli, a dit Killian.

J'ai ouvert la marche. Nous avons longé les tombes en silence. Un enterrement se finissait non loin de nous. Ça m'a rappelé des mauvais souvenirs. J'ai pressé le pas. Killian a ralenti. Je n'y ai pas prêté attention. Il avait peur de revoir Cassie. Moi aussi. Mais je refusais de le montrer.

J'ai reconnu la tombe. Un bouquet de fleurs blanches y était posé. Les fleurs préférées de Cassie. C'était sans doute sa mère qui était venue. Je me suis arrêté devant la tombe. Killian m'a rejoint.

            CASSANDRA ANN BAILEY

            1994 – 2014

Killian s'est agenouillé. Je l'ai imité. Il a longuement fixé les lettres dorées qui composaient le nom de ma fille. Il a fixé les deux dates. Surtout la dernière. Ses mains ont commencé à trembler. Pas à cause de la drogue cette fois-ci. Il a cherché à se contenir.

-          Laisse aller, ai-je murmuré.

Il a fondu en larmes. J'ai passé mon bras autour de lui. Il a posé sa tête sur mon épaule. Il a pleuré. Comme un enfant. J'ai laissé couler quelques larmes. Je ne saurais dire combien de temps nous sommes restés ainsi. Les genoux dans la terre. Les yeux rougis. Les joues trempées. Je ne saurais le dire.

Killian a fini par se redresser. Il a essuyé son nez du revers de sa manche. Il a essuyé ses larmes du dos de sa main.

-          Tu sais, Pete, quand elle est…

Il a profondément inspiré.

-          Quand elle est partie, j'ai voulu arrêter la coke. Je te jure que j'ai voulu arrêter. Mais à chaque fois que j'essayais, je me rappelais que c'était de ma faute et que je méritais de mourir.

-          Il n'est pas trop tard, Killian.

-          A quoi bon ? Ça la ramènera pas.

Il s'est relevé. Il a essuyé ses genoux couverts de terre.

-          Est-ce qu'on peut rentrer ?

J'ai hoché la tête. Je me suis levé à mon tour. Nous sommes retournés à la voiture. J'ai regardé Killian s'installer.

-          Tu as encore un peu de sang, là.

Il a essuyé son nez.

-          Merci.

-          Pas de quoi, tu avais l'air con.

-          Pas pour ça.

-          Je sais.

J'ai démarré la voiture.

  • J'ai trouvé! Vous avez, non pas un ''nègre'', mais un ou une amie avec qui vs discutez de la trame et qui est sûrement de bon conseil quelquefois. Passionnant.

    · Il y a plus de 6 ans ·
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    enzogrimaldi7

    • Même pas! Je suis seule avec mon ordinateur et mes pensées ! Mais, pour l'instant, ça a l'air de me réussir :)

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Julie vautier profil

      Julie Vautier

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