La Faute à la vie - Chapitre Vingt-Trois

Julie Vautier

Peter Bailey est avocat, éternel commis d'office pour les jeunes délinquants. Il n'attendait plus rien de la vie. Jusqu'au cas Killian Murray.

 -          Tu veux des céréales ?

Killian a secoué la tête. J'ai haussé les épaules. Ça m'en fera plus pour moi. J'ai regardé l'heure. J'avais encore un peu de temps avant de partir bosser. Il fallait que je me rase. Que je me brosse les dents aussi. Que je retrouve cette fichue cravate. Mes dossiers étaient encore éparpillés sur mon bureau. Je n'avais pas tant de temps que ça, en fait.

Je me suis levé. J'ai pris mon bol pour aller le laver. Killian m'a arrêté.

-          Je ferai la vaisselle.

J'ai haussé un sourcil. Killian. Vaisselle. Equation impossible.

-          Tu sais que le principe de « faire la vaisselle », c'est de la laver, pas de la casser ?

-          Je suis au courant, merci.

J'ai souri en le regardant. Je lui ai tendu mon bol.

-          C'est gentil de t'en occuper.

Killian s'est emparé du bol. Il a attrapé son assiette et a posé le tout dans l'évier. Il a commencé à ranger la table. J'en ai profité pour finir de me préparer. Je ne savais toujours pas où était cette maudite cravate noire. J'ai cherché dans ma chambre avant de fouiller dans les divers placards de l'entrée. Je suis même allé jusqu'à vérifier entre les coussins du canapé. J'avais encore la tête dans les coussins quand je me suis adressé à Killian.

-          Dis-moi, tu n'aurais pas vu… ai-je demandé en me redressant.

Je me suis interrompu.

-          C'est ça que tu cherches ?

J'ai hoché la tête. Killian m'a lancé ma cravate. Je l'ai attrapée au vol.

-          Où est-ce que tu l'as trouvée ?

-          Derrière ton robot-mixeur.

Ça, c'était la preuve que je ne m'en servais jamais. J'ai noué ma cravate. J'ai regardé ma montre, que je venais d'attacher autour de mon poignet. Encore un peu de temps. J'ai filé dans la salle de bains. Je me suis rasé en vitesse. Je me suis coupé. J'ai pesté et j'ai quitté la salle de bains. Killian était en train de faire la vaisselle. Je l'ai regardé faire un instant.

-          Bon, tu te souviens qu'on a rendez-vous à seize heures ? ai-je demandé.

Killian a acquiescé. J'ai acquiescé à mon tour. J'ai attrapé ma veste et ma serviette et me suis dirigé vers la porte.

-          Et merde, mon portable…

J'ai levé la tête vers Killian.

-          Tu ne l'aurais pas vu par hasard ?

Il s'est tourné vers moi.

-          Regarde mon front, a-t-il dit. Qu'est-ce que tu y vois ?

-          Rien… ?

-          Voilà, il y a pas écrit « Géo Trouvetou ».

J'ai secoué la tête. J'ai posé ma serviette et mon manteau et ai repris mes recherches.

-          Mais si j'étais toi, a repris Killian, je regarderais à côté de la plante moche.

J'ai froncé les sourcils. J'ai examiné chacune de mes plantes. Et il y en avait peu. J'ai fini par trouver mon téléphone. J'ai soupiré en le récupérant. J'ai voulu répliquer que la plante n'était pas moche. Juste desséchée. Je n'ai pas la main verte. Je me suis ravisé. J'ai rangé mon téléphone. C'est vrai qu'elle était moche.

Quelqu'un a sonné à la porte. J'ai regardé l'heure. Sept heures cinquante. Qui était assez fou pour venir à cette heure-ci ? J'ai glissé un regard vers Killian. Il avait cessé de laver l'assiette qu'il avait à la main. Il fixait la porte, perplexe. Je me suis dirigé vers la porte d'entrée. Je l'ai ouverte. J'ai littéralement buggé en reconnaissant mon ex-femme.

-          Il est là ? a-t-elle demandé de but en blanc.

-          Lily, qu'est-ce que tu fous ici ?

-          Est-ce qu'il est là ?

-          Mais de qui tu parles, bon sang ?

-          Du tueur de ma fille.

Une assiette est tombée derrière moi. Je l'ai entendue se briser au sol. Lily l'a entendue, elle aussi. Elle a compris. Elle a voulu entrer. J'ai voulu l'en empêcher. La colère la rendait très forte. Plus que moi. Je n'ai pas pu résister longtemps. Elle a pénétré comme une furie dans l'appartement. Elle a aperçu Killian. Elle l'a fusillé du regard.

-          Alors, c'est toi…

Killian était parfaitement immobile, au milieu des bris d'assiette. Il respirait à peine. Je me suis avancé vers Lily.

-          Laisse-le tranquille, Lily.

Elle s'est violemment retournée vers moi.

-          « Laisse-le tranquille » ? Tu veux que je le laisse tranquille ? Ce salopard a tué ma fille ! Il a tué Cassandra ! Et tu voudrais que je le laisse tranquille ?

J'ai voulu répondre. Elle m'en a empêché.

-          Il a tué ma fille.

-          C'était aussi ma fille, je te rappelle.

-          Ce junkie a tué ma fille !

-          Ce n'est plus un junkie, je l'ai aidé à s'en sortir.

-          Super, tu veux une médaille, Pete ?

Elle m'a longuement toisé de haut en bas.

-          Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ? Tu sais ce qu'il a fait à Cassandra et tu l'accueilles chez toi ? Mais qu'est-ce qui ne va chez toi ?!

-          Je ne le savais pas à ce moment-là !

-          Mais je m'en fous de ça ! Je m'en fous complètement !

Elle m'a repoussé et s'est avancé vers Killian. Lui a vivement reculé jusqu'à heurter un meuble. J'ai attrapé Lily par les épaules. Elle s'est violemment débattu et s'est rué vers Killian. Arrivée devant lui, elle a flanqué une gifle des plus sonores. Killian n'a pas protesté. Il s'est contenté de regarder le sol. Au bord des larmes.

-          C'est toi qui aurais dû crever d'une overdose, a repris Lily. Tu n'es qu'une petite raclure, le pire enfoiré que j'ai jamais vu. Tu mériterais que je t'éclate la tronche contre le mur. J'espère que tes parents sont fiers de toi au moins. Un brave petit tueur. Un pauvre drogué qui finira crevé dans une benne à ordures.

-          Lily, ça suffit.

-          Non, toi, ça suffit ! a-t-elle hurlé.

Je me suis avancé. Elle pleurait.

-          Ce sale type a tué la seule belle chose que j'avais et toi, tu l'accueilles chez toi ? Tu le nourris, tu lui offres un lit ? Tu le laisses salir l'endroit où Cassandra a grandi ?

-          Tu ne peux pas comprendre, Lily. Tu ne sais pas tout.

-          C'est ton patron qui te l'as demandé, c'est ça ? C'est pour avoir une augmentation ? Pour quitter ton poste de petit commis d'office ? Tu ne seras jamais un grand avocat, Pete. Fais-toi une raison et rachète-toi une dignité.

J'ai respiré le plus calmement que je pouvais.

-          Sors de chez moi.

Lily m'a toisé. Sans bouger.

-          Sors de chez moi, tout de suite.

 Elle a lancé un dernier regard de haine vers Killian avant de se diriger vers la porte. Elle s'est arrêté près de moi au passage.

-          J'espère que toi et ce salopard, vous irez pourrir en enfer.

Elle est sortie de l'appartement. J'ai entendu ses talons claquer sur le carrelage. J'ai refermé la porte. Bien sûr que je comprenais sa colère. J'avais ressenti la même. J'avais jeté Killian à la rue. Puis, j'avais pardonné. Parce qu'il n'était pas le seul responsable de la mort de Cassie.

J'ai regardé Killian. Il n'avait pas bougé. Sa joue était rouge. On voyait la trace de la main de Lily. Je me suis approché de lui. J'ai pris sa tête entre mes mains et je l'ai forcé à me regarder.

-          Ne l'écoute pas, Killian. Tu n'es pas comme ça. Tu n'es plus comme ça. Tu as changé. 

Il s'est retenu de craquer.

-          Elle a raison, Pete.

Je lui ai dit d'aller se reposer. Il est parti dans sa chambre. Je pense qu'il est parti pleurer dans sa chambre. J'ai maudit Lily et les dégâts qu'elle faisait toujours sur son passage. Elle m'avait détruit un peu plus en me quittant pour son psy.

J'ai ramassé les débris d'assiette, un à un. Je les ai jetés à la poubelle. J'ai voulu parler avec Killian. Il s'était enfermé à clé. J'ai toqué une fois. Pas de réponse. Je n'avais jamais de réponse. Je n'ai pas insisté. Je suis parti bosser.

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