La femme crocodile

saharienne

 Deux mains qui se tordent allant à l'encontre du sens naturel de leurs articulations, les défiants sans cesse, elles si inflexibles, elles se tordent comme deux araignées à l'agonie, tantôt sur le dos les doigts repliés à l'intérieur le pouce déchirant, repoussant, les cuticules des opposables jusqu'au sang, tantôt sur le ventre pianotant un concerto imaginaire probablement dégueulasse.

La main la plus remarquable est celle de droite, à demi recouverte, du pouce au cœur de la paume, d'une carapace immonde, noire et grise, faisant penser aux écailles d'un crocodile. A force de se mordre, encore et encore, la peau, à force de gratter, oui, à force de mordre et remordre sous l'effet dont ne sait quel remord la peau s'est recouverte d'une croute semblable à un cuir putride dont la limite forme la trace d'une mâchoire.

Si l'on gratte, et l'on gratte souvent, car cette sur épaisseur démange énormément, alors une peau trop fine laisse entrevoir sous elle une auréole menaçante de sang et la démangeaison se transforme en douleur fine et persistante sur de longues journées.

D'un mouvement vif la main s'abat sur la table en bois trois fois, en plein sur la croûte qui craque en silence. D'aucun pourrait croire que la personne cherche à se rompre les phalanges, en fait il s'agit de calmer la douleur et d'éviter d'en venir à la lame de cutter. Tout d'un coup elle saisit le rebord de la table, on aperçoit au passage des doits fins, féminins, aux ongles bien entretenu, la main se crispe et dans un seul et imprévisible élan renverse la table qui s'écroule au sol emportant dans son passage les papiers, les carnets, une plume et un flacon d'encre de chine qui se fracasse et se brise au sol un peu plus loin. Le vieux plancher aride absorbe immédiatement le liquide noir qui imprime définitivement sa marque exotique au sol. Un gros chat obèse se traine mollement à elle, trempe sa langue, est saisit d'un spasme de la moustache à la queue et s'effondre au sol la langue pendante entre ses canines.

La jeune femme se lève calmement, va remplir une coupelle, faite d'une canette de soda coupée en deux, d'eau, et pose sans délicatesse la tête du chat à l'intérieur, son cou repose sur le métal tranchant mais quelques secondes plus tard la bête reprend conscience, lape un peu du précieux liquide et s'en va poser son ventre énorme et son cul considérable un peu plus loin.

Pour beaucoup l'appart en bordel où s'ébattent les cafards jusqu'à baiser et se manger entre eux sur Elle la nuit pendant qu'Elle dort, pour beaucoup la tonne de paperasse en colonnes dont les bases sont si vieilles et si humides que la pourriture les escalade doucement, pour beaucoup son physique si sale que ses cheveux hébergent, à l'odeur, quelques champignons nichés au creux de noeuds immémoriaux, seraient les symptômes évident d'une forme de folie rare. Mais pour une fois peut être pourrions nous oser penser qu'elle soit la seule à avoir raison.

 Depuis 20 ans une rumeur court, une rumeur folle certe mais néanmoins persistante, une rumeur qui obsède cette femme jusqu'à la folie... Elle cherche, cherche, mais ne trouve pas... 

Cette rumeur raconte qu'il fut un temps, un temps très lontain, à l'époque où il existait encore des pays, à l'époque où l'on mangeait encore des animaux, à cette époque là il existait des textes....

De fiction. 

Qui racontent des choses qui n'ont pas été, qui ne seront jamais. 

Si aujourd'hui je peux raconter l'histoire de cette femme c'est qu'il fut un temps où elle eut le courage de prendre une feuille et de raconter une histoire, une histoire sans aucun rapport avec ce monde réel. Et qui pourtant le boulversa. 

A suivre.

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