La Femme de mes rêves

Dominique Chailan

Une femme rêve toutes les nuits d'un endroit merveilleux alors que sa vie est sordide. Et une autre femme a des rêves angoissants dans une autre ville. Vont-elles se retrouver ?

1er matin, lundi

Je suis bien au chaud au fond de mon lit, encore douillettement enveloppée de la douceur de ma couette quand le voisin claque sa porte d'entrée et me réveille.

Il est 8 heures du matin et je n'ai réussi à m'endormir qu'à 5 heures. Autant dire une nuit qui n'en est pas une. Je sens que ça va encore être une journée déprimante. Je n'ai pas de boulot, pas de mec, pas d'amis, pas de fric et je n'arrive pas à dormir. Résultat, je suis fripée comme une vieille pomme et si jamais j'ai un entretien d'embauche, je dois quasiment mettre un demi-centimètre de maquillage pour être présentable.

Pour couronner le tout, mon rêve de cette nuit était angoissant. J'étais seule, perdue dans une forêt noire, obscure et froide quand je me suis réveillée juste avant d'étouffer complètement. Puis j'ai ressombré dans le sommeil pour un deuxième rêve où j'étais dans la même forêt quand un homme m'a demandé, comme le loup de l'histoire, où j'allais et que je lui ai répondu « chez ma mère, lui porter quelques douceurs ». Inquiète, je ne savais pas quoi faire quand une femme à peine plus âgée que moi s'est matérialisée, m'a souri et m'a serrée contre elle. Je me suis blottie entre ses bras et sa douceur apaisante m'a fait du bien.

C'est à ce moment que je suis réveillée en sursaut et qu'elle s'évanouit. Vous comprendrez que je maudisse mon voisin !

Aujourd'hui, comme je n'ai pas de rendez-vous d'embauche, je sens que, si je reste ici, je vais tourner en rond dans mon studio minuscule qui me donne le cafard. Alors je m'habille vite fait d'un vieux jogging informe et d'un pull encore moins reluisant et je file au centre social où je fais des recherches internet pour un emploi. Au centre, les conseillères prodiguent de la chaleur humaine à la misère et ça me convient bien.

Il est près de midi quand je pars grignoter un sandwich sur un banc dans le parc mais tous les gens qui passent, affairés, seuls, pressés, à la mine lugubre, sans un regard pour ce qui les entoure, me dépriment.

Le reste de la journée, je le passe à errer dans les rues en retardant le moment de rentrer chez moi où rien ne m'attend. Il me reste du pain dur et une boite de pâté qui me font mon dîner, accompagné d'un verre de lait. Je somnole devant la télé et me réveille par à-coups quand je décide de me coucher vraiment. Il est 3 heures du matin.

La femme de la nuit précédente est là sur un chemin vers lequel elle me guide en me prenant la main. Elle ouvre la bouche et je dois me pencher vers elle pour comprendre qu'elle dit s'appeler Anna. Son prénom évoque la douceur et ça me plait bien. Elle m'emmène jusqu'un village de chalets en bois où elle vit. J'y vois un puits, des éoliennes, des paraboles solaires. Sitôt arrivées, des personnes de tous âges se pressent autour de nous, me sourient, m'embrassent et me parlent gentiment avant de retourner à leurs châlets. Plus loin dans une clairière, des enfants se poursuivent en riant. Une paix bienfaisante y règne. Il me semble même voir parmi eux ma mère décédée il y a vingt ans.

Anna me guide vers un magnifique chalet de bois et me fait comprendre que c'est chez moi avant de s'évanouir dans les airs.

2e matin, mardi

Je me réveille optimiste et ragaillardie après cette nuit et surtout, avec la vision amie et bienveillante d'Anna. Même mon minuscule studio me semble un palace. Je choisis un jean moulant et le plus joli pull que j'ai puis je nettoie mes bottes pour leur redonner un semblant de dignité avant de me faire un maquillage discret.

Mais au centre social, je déchante au fur et à mesure que la journée se passe. À côté de moi, les cas sociaux se succèdent à l'accueil et, assise derrière mon écran, j'entends leurs complaintes qui me font froid dans le dos. Une maman qui n'a pas le permis et qui se retrouve avec deux enfants en bas âge alors que le père a disparu dans la nature se débat pour avoir un boulot de femme de ménage. Un homme, que sa femme a mis dehors au moment du divorce, vit dans son camion, aménagé en camping-car.

Puis ce soir-là, après un zapping des programmes télé insipides, accompagnés d'une assiette de pâtes bas prix sans saveur, je me couche vite – minuit – et je m'endors aussitôt puis je rêve.

Anna, ma douce vision de la nuit dernière, est encore là qui me tend les bras comme si je n'étais pas « partie ».

Le village, identique à celui de la nuit passée et tous ceux qui y vivent – je les reconnais parfaitement, aussi clairement que s'ils faisaient partie de ma vie depuis toujours - sont au bord d'une route où passent peu de voitures. Je prends un temps pour observer le paysage. À perte de vue, la nature est omniprésente à côté de la forêt de conifères.  Je suis face au soleil couchant quand un homme s'approche de moi et mes sens s'éveillent, me laissant tremblante.

Anna vient poser sa main sur mon épaule. Ce contact m'apaise. Elle me guide vers mon chalet, le même que celui de la nuit précédente et me met d'autorité un pot de sauce tomate dans les mains en souriant.

3e matin, mercredi

Je me réveille euphorique mais perplexe comme après une soirée passée avec des amis. Le visage de mon  "amie" Anna s'est imprimé en moi, bien qu'encore flou.

Comateuse devant mon thé du matin, mes yeux errent machinalement sur les étagères de ma kitchenette, désespérément vides, quand je remarque un pot de sauce tomate qui n'était pas là hier soir, je peux le jurer ! Je me lève et le prends. Il est vraiment réel et en l'ouvrant, je respire cette odeur de tomates fraichement moulinées et délicatement parfumées que faisaient ma mère. Prudente tout de même, je le repose sur l'étagère et continue de l'observer comme s'il allait me sauter à la figure.

Cette après-midi, je vais faire un tour au parc mais absorbée par mes pensées, je bouscule un jeune ado que je remarque à peine. Il se met alors à m'insulter et rouge de honte face aux regards autour de moi, je m'enfuis, muette.

Indifférente au paysage d'hiver qui m'entoure et dont le froid pénètre ma polaire amincie, je rentre.

La fin de la journée s'étire lentement et je reste sous mes couvertures, plongée dans un livre policier que j'ai déjà lu, rêveuse et perplexe. Pour mon repas, je vide prudemment - on ne sait jamais ! - le pot de sauce tomate dans mes pâtes qui prennent un goût de paradis.

Cette fois, sitôt couchée, je m'endors et je me retrouve immédiatement au cœur du village dans les bois.

Anna, fidèle guide, me montre le paysage autour de nous. Stupéfaite, je ne reconnais plus rien du joli panorama bucolique et apaisant de la nuit passée. Ce ne sont plus que boue et labours où pataugent des tracto-pelles et des machines en tout genre

Autour de moi, les occupants du village sont catastrophés, les bras chargés de leurs maigres biens. Je ressens leur détresse comme si elle était mienne.

Tandis que je contemple ce désastre, la main amie d'Anna se pose sur mon épaule et son sourire serein m'apaise. Elle me charge les bras d'une épaisse chemise cartonnée bleue, d'un nouveau bocal de sauce tomate, de friandises et d'un tas d'autres choses dont je ne sais pas quoi faire. Puis elle désigne du doigt, sur une hauteur derrière moi, des pavillons flambants neufs aux vastes jardins paysagers où certaines familles se sont déjà installées.

Là où nous trouvons, ce n'est qu'une mince bande de terre où les arbres ont été épargnés et dont le sol est couvert d'une moelleuse couche de feuilles. Pour échapper aux engins qui se rapprochent, je cherche à rejoindre les jolies maisons. Anna me suit mais à la limite des arbres et par un effet d'optique, une falaise nous en empêche. Retournant en arrière, le problème est le même. Nous sommes isolés sur un espace délimité par des précipices qui me font vaciller !

4e matin, jeudi

Je me réveille en sueur, angoissée et désorientée. Puis les yeux tout à fait ouverts, je vois ma table de cuisine encombrée : un bocal de sauce tomate, des friandises, une chemise cartonnée bleue… Je me lève et je chancelle. Je me retiens au bord de ma minuscule table mais je n'ose toucher à rien. Puis une lueur se fait en moi : ce vertige est le même que celui de mon rêve…

D'abord effrayée puis hésitante mais emportée par la curiosité, j'ouvre la chemise. Dedans, des tas de photos de paysages tous magnifiques mais qui me sont totalement inconnus. Des paysages vides sans humains. Une seule photo montre une silhouette floue, à contre-jour, difficile à identifier. Je les remets précipitamment dans la chemise comme s'ils me brûlaient.

Sur le chemin du centre social, je ressens encore un peu plus la morsure du froid et je pense à la douceur de l'air dans mon rêve. Au vestiaire solidaire, je cherche un joli blouson mais rien n'est à ma taille quand j'aperçois un petit manteau d'enfant fuchsia adorable, qui m'attire. Je ressens un besoin impérieux de le prendre, aussi je le glisse discrètement sous ma doudoune car tout le monde sait ici que je n'ai pas d'enfant.

                Ce soir-là, comme la veille, je me sers du bocal de sauce tomate pour mon repas qui en devient divin et je finis par quelques biscuits piqués dans les boites que m'a données Anna - j'hallucine mais je parle bien d'un rêve ! -

Avant de m'endormir me reviennent les dernières peurs de mon rêve de la nuit précédente et la pièce tourne au moment où je ferme les yeux puis frissonnante, je finis quand même par sombrer, le petit manteau de princesse rose fuchsia, entre les mains.

Je suis à peine surprise de me retrouver avec tous mes nouveaux amis dans ce rêve qui est ce que j'attends toute la journée, je dois le reconnaître ! Anna est toujours là, souriante et apaisante et moi, je suis calme et pas du tout inquiète. C'est alors qu'une petite fille me saute dans les bras. Elle porte le petit manteau rose fuchsia que j'ai trouvé au centre social ! « C'est Paola, dit Anna à mon oreille, ne lui montre pas que tu as peur ! » Mais la pression est trop forte. Je réagis trop vivement puis tout se mélange et je me réveille.

Il n'est que 4 heures du matin et je me sens épuisée. Je cherche en vain le petit manteau rose - il a disparu, bien entendu ! - . Vaincue, je renonce, acceptant peu à peu l'idée qu'il est « passé » dans le monde des rêves. Zen, je bois un verre de lait, tourne en rond une petite heure puis me recouche, épuisée.

Immédiatement, je suis à nouveau sur la falaise avec mes amis. Anna est penchée sur moi mais je ne peux dire un mot comme si j'étais frappée de mutisme. Elle me prodigue des soins, en me tamponnant le front et le visage avec un linge frais.

Autour de moi, je remarque toutes les personnes déjà présentes les nuits passées et aussi de nouvelles têtes qui m'indiquent leurs maisons, nouvellement construites sur la colline. J'interroge Anna du regard, toujours incapable de parler.

Du doigt, j'indique les villas. Anna acquiesce.

- Oui, il y a de la place pour tout le monde, c'est merveilleux.

Incapable de répondre, je vois la petite fille au manteau rose qui me sourit, Paola.

Alors qu'Anna s'apprête à me parler à nouveau, son visage devient flou et un bruit strident retentit à mes oreilles. J'ouvre les yeux, je suis dans mon studio, dans mon lit. Quelqu'un sonne à la porte.

5e matin, vendredi

Je me lève péniblement en jetant un œil à mon réveil : 9 heures. Qui cela peut-il être ? Personne ne vient jamais me rendre visite. J'entrouvre le battant et d'un œil, je scrute le petit malin qui, un questionnaire à la main, a réussi à passer outre le code de la porte d'entrée pour arriver jusqu'aux derniers étages.

- C'est pour l'association « Paola » !

- Quoi ?

Sans ouvrir la porte, je demande au jeune homme de me dire qui est Paola. Il m'explique qu'il récolte des fonds pour l'association que ses parents ont créée.

Je suis perplexe et ne comprends pas trop pourquoi justement cette petite fille au même prénom que celle de mon rêve intervient dans ma vie. C'est au moment où le jeune homme me montre la brochure avec une petite fille souriante dessus que je vacille à nouveau. Je ferme la porte violemment sans excuse, grossièrement. Sur la photo est la petite fille de mon rêve !

Je ressasse toute la journée cette histoire qui devient de plus en plus invraisemblable et me demande si je ne suis pas en train de disjoncter !

Le reste de la journée est morne est morose. Je ne sais plus trop où j'en suis. Ma vie n'avance pas. Personne à qui parler. Pas de famille. Pas de boulot. Moi qui déraille…

Je reste chez moi, réconfortée par les friandises de mon rêve (rien qu'en pensant ça, je crains pour ma raison) mais ça ne fait rien, c'est tellement réconfortant de suçoter un de ces caramels que j'ai l'impression d'aller mieux.

Et du coup, ce soir-là, je m'endors presque sereine et apaisée après une journée qui finit une semaine agitée.

Je plonge immédiatement dans mon rêve et dans le même décor comme dans une seconde vie. Tout le monde m'accueille lorsque je débouche sur la clairière par un petit sentier. Paola me saute dans les bras et je suis heureuse de la voir. Elle porte toujours le petit manteau fuchsia et aussi un costume de fée en dessous. Je la trouve à croquer mais Anna l'éloigne de moi et me guide vers quelqu'un qui me tourne le dos et que je ne vois que dans un halo flou.

Je me rapproche et écarquille les yeux, aveuglée par le soleil rasant. Une silhouette masculine. Toujours flou et de dos, l'homme me prend la main pour m'entrainer dans une des maisons construites sur la colline. Nous entrons dans un magnifique séjour comme il y en a dans un magazine de déco qui me fait rêver parfois. Tout brille, y est propre, spacieux mais nous ne faisons qu'y passer et je n'ai pas trop le temps d'admirer toutes les belles choses qui s'y trouvent.

L'homme m'entraine dans un long couloir sombre et j'ai une petite boule qui me noue le ventre mais comme il me tient toujours la main, je reste confiante et je me laisse faire. Arrivé au bout du corridor, il ouvre une porte qui laisse passer une lumière vive et aveuglante qui m'éblouit. Je lâche sa main pour me protéger les yeux et il se retourne. Son visage souriant me regarde comme si j'étais seule au monde.

Et c'est là que je me réveille ! Damned !

6e matin, samedi

                Je n'ai jamais été aussi mécontente de me réveiller le matin.

Je m'apprête alors à passer une journée cocooning parce que je n'ai envie de rien faire, juste de repenser à cet homme merveilleux qui s'occupait de moi et semblait parfait. En plus, le samedi est le jour où des hordes de consommateurs fiévreux envahissent les rues. Moi qui n'ai pas un rond, je ne peux que déprimer encore plus. Affalée sur mon canapé, mes yeux tombent sur la pochette pleine de photos. J'examine à nouveau celle où figure la silhouette. Je prends une loupe et j'examine l'homme qui s'y trouve. Et, je suis sûre que c'est lui ! Celui de mon rêve ! Incroyable !

Devant ma télé, zappant sans relâche toute la journée, je sens une fatigue inexplicable me prendre parfois mais ces cours sommes ne m'apportent que des bribes trop fugitives de rêves sans souvenirs.

Malgré tout, ce soir-là, je m'endors rapidement, comme aspirée par le sommeil. Le rêve de cette nuit, guidée par ma fidèle Anna, se passe dans une demeure immense. Je suis dans un lit tout aussi grand. Anna m'aide à me préparer pour la nuit comme une princesse et l'homme - je sais que c'est le même homme qui m'a guidée au long du couloir et qui me souriait à contre-jour - cet homme me fait l'amour comme jamais, à me faire hurler de plaisir en dormant. Je me réveille, moite et pleine de désir inassouvi. Je file sous la douche me rafraîchir avant de replonger sous ma couette, rassérénée, béate, prête.

1er matin

                Je me réveille après un rêve atroce. J'étais dans un minuscule appartement, seule, sans famille, sans amis, sans emploi, déprimée et au bord du suicide. En plus, j'allais dans un centre qui ressemblait à une prison où tout le monde avait des mines lugubres. Dehors, le froid me pénétrait jusqu'au fond des os et les paysages désolants, bétonnés à l'excès, asphyxiaient toute la nature qui voulait s'épanouir.

Heureusement quand j'ouvre les yeux et que le visage souriant de l'homme de ma vie, éclairé à contre-jour, me sourit, je sais que ce n'était qu'un mauvais rêve.

- Comment vas-tu ? me demande-t-il d'une voix inquiète.

- Très bien, juste un mauvais rêve.

- Raconte.

Quand j'ai fini de lui raconter mes angoisses de la nuit, je me sens apaisée mais lui est toujours anxieux.

- Tu m'as fait peur, me dit-il, tu hurlais si fort. Je vais demander à Anna de rester avec toi.

- Pourquoi ? En quoi un fantôme serait utile.

- Ton rêve est inquiétant.

- Si tu le dis.

Puis je vais, comme tous les jours voir ma mère qui vit dans la forêt où elle a choisi de vivre au plus près de la nature. Elle n'est pas seule. Tout un village de maisonnettes de bois se dresse là où des enfants se poursuivent en riant.

                Je lui raconte mes deux derniers rêves et elle se montre inquiète mais rassurée de savoir Anna près de moi. Anna est la gardienne de nos nuits depuis toujours dans notre famille.

- Avec elle, je sais qu'il ne se passera rien de grave mais fais tout de même attention à toi !

Je retrouve mes joies d'enfance à chaque fois que je viens la voir. Mes premiers amours. Mes escapades dans les bois. Mes jeux dans le foin avec les garçons. Mes bêtises de petite fille.

 

2e matin

                Je ne sais pas ce qui se passe mais cette nuit, j'ai encore rêvé de ce minuscule appartement et de cette sorte de lieu où des gens désespérés pleurent, dans une grande misère. J'écoutais, impuissante, l'histoire de leurs vies qui, à côté de la mienne, étaient mille fois pire.

                Je me réveille en sursaut, mais Anna, est là, à côté de moi et veille sur mon sommeil, comme sur celui de mon compagnon, de ma fille Paola et de tous ceux de notre famille.              

Aux premiers rayons du soleil, mon bien-aimé me regarde en souriant, me fait l'amour tout doucement comme il sait si bien le faire et mes inquiétudes s'envolent comme par magie.

Puis je vais faire un coucou à ma mère qui m'a préparé tout un tas de gourmandises à emporter. Mais comme je dois repasser en ville, je ne peux prendre qu'un bocal de sa merveilleuse sauce tomate dont elle a le secret.

La journée, je flâne avec mes amis d'enfance qui sont restés vivre ici, à la campagne, dans la simplicité et la quiétude. Je suis, comme toujours, sereine et apaisée quand je viens les voir.

                Ce soir-là, mon aimé me fait l'amour et me bouleverse comme à chaque fois. Puis je sombre dans un sommeil agité où je me retrouve encore dans ce petit appartement sans confort et où il gèle. Je vais aussi dans des rues lugubres, malpropres et pestilentielles puis dans un parc où des simulacres de la nature sont reproduits. Les arbres sont chétifs, les fleurs inexistantes, l'herbe jaunie et les oiseaux sont absents. Je frissonne dans des vêtements légers, mordue par un air vif et piquant. Les gens autour de moi sont indifférents et ne font pas attention à ma détresse. Je me sens seule et abandonnée. Il y a même un jeune homme qui m'insulte. Heureusement Anna est là et sa main prend la mienne pour que mon sommeil s'apaise jusqu'au matin.

3e matin

Aujourd'hui mon compagnon et moi allons visiter les nouveaux chantiers aux abords de la ville. Ce sont de jolies villas pour tous ceux qui ne vivent pas en ville. Mon chéri qui est un génie – de mon avis – est à l'origine de ce projet. Nous avons décidé de financer la construction d'une demeure pour chacun avec de beaux jardins fleuris. Ici, c'est facile avec la douceur de l'air et la terre fertile de notre campagne. Pour l'instant, tout n'est encore que chaos mais le chantier avance bien. Les photos du projet dans les mains, je grimpe pour avoir une vue d'ensemble.

                J'arrive sur une hauteur qui domine le chantier quand un vertige me prend. Je tente de me rattraper mais en vain. Je tombe lourdement sur le sol, prête à basculer dans le vide. Heureusement Anna veille et je tombe dans ses bras. L'ensemble des personnes présentes s'est précipité pour s'occuper de moi. Mon compagnon, resté en bas, accourt, inquiet. Il me fait raccompagner chez nous pour que je me repose. De nouvelles friandises sont près de mon lit, délicate attention de ma mère, avertie par Anna.

                Le reste de la journée, je reste tranquillement à la maison, à siroter du jus de goyave en jouant aux échecs avec le mari d'Anna.

                Cette nuit-là, Anna toujours à mes côtés, je me retrouve à nouveau dans ce lieu inamical où se succèdent des malheureux qui n'en finissent pas de raconter leur vie de misère à trois femmes fatiguées. Je suis frigorifiée et je grelotte. Quand je marche dans la rue, tout est glacial, terne et sordide. Personne ne se parle. Tous ont un téléphone vissé à l'oreille et se croisent sans un regard. Je tente un « bonjour » à un jeune homme qui m'insulte si vertement que je sens le rouge me monter aux joues. J'ai soudain très chaud et j'ouvre les yeux. Mon homme dort près de moi, paisible, et Anna, discrète amie de mes nuits me regarde, bienveillante.

                Apaisée par sa vigilance, je me rendors, baignée de douceur jusqu'au petit matin.

4e matin

                Aujourd'hui est la visite et l'installation des nouveaux résidents dans les petites villas. L'homme de ma vie est aussi venu. Il me guide dans l'une de ces maisons magnifiquement arrangée. Ces maisons sont à énergie positive, autonomes et sans charge, parfaites pour de petits salaires.

                Notre petite Paola a voulu venir avec nous et a mis son beau manteau rose de princesse. Pour tous les habitants, notre petite fille est un ravissement, aimable et bien élevée. Elle fait notre fierté.

Malgré cette belle journée, la nuit, l'angoisse m'étreint à nouveau. Je ne comprends pas pourquoi je n'arrive pas à sortir de cette ville grise et amicale qui revient sans cesse dans mes rêves. J'y vois pourtant les paysages idylliques de chez nous mais ils sont figés comme après une grande catastrophe. Au loin, je reconnais mon bien-aimé mais il est inaccessible, comme s'il allait disparaître. Puis c'est ma petite Paola, avec son manteau rose, inerte et sans vie. Je tends les bras vers eux mais ils ne me voient pas.

Je me réveille en hurlant alors que la nuit est encore là et je cours vers le petit lit de ma fille. Elle est bien là et heureusement à cet instant, Anna pose doucement sa main sur mon épaule et me parle pour me rassurer, me dire que le monde des rêves est le reflet d'une part de nous. Il suffit de l'accepter pour vivre avec. Notre cerveau vit sa vie en dehors de notre corps. Ça, je le savais mais je ne l'avais jamais vécu. Un peu tranquillisée, j'arrive péniblement à me rendormir sans heurt jusqu'au matin.

5e matin

                Paola m'apporte le petit déjeuner au lit. Elle est souriante comme toujours et voudrait aller voir sa grand-mère. Le village de ma mère s'appelle « Les Chalets ». Elle a été la première à s'installer et partout, elle a été imitée. Le village est grand maintenant. Leurs maisons sont simples, très confortables et accueillantes, dénuées du superflu. Ils ont profité des avancées technologiques mais ont refusé d'en être esclaves.

                La maison de ma mère est à son image. Pratique, mais non addictive, autonome et indépendante, utilisant uniquement les ressources naturelles : le vent, le soleil, l'eau et la foudre qu'on maîtrise depuis peu.

                Je prolonge la soirée après que mes deux amours soient couchés parce que je redoute de rêver à nouveau de cet horrible endroit. Heureusement Anna est plus que jamais présente et reste avec moi jusqu'au moment où je finis par m'endormir.

                Mais je me retrouve à nouveau dans cette cage en béton et je n'en sors pas, des idées noires plein la tête. Je regarde une télévision comme il y en avait quand ma mère était petite. Mon homme est toujours là, figé ou mort, je ne sais pas, incapable de me venir en aide. Je me réveille plusieurs fois. Anna veille toujours, souriante et calme mais je reste agitée jusqu'au matin.

6e matin

Nous décidons aujourd'hui avec Paola d'aller en ville. Cette dernière est éblouissante et lumineuse. Je suis ravie de voir partout des lampions et des guirlandes qui ornent les façades blanches et nettes. Tout le monde me salue et a un mot gentil. Je m'enquiers de la santé des uns et des autres. Tout le monde se connaît et chacun fait attention l'un à l'autre.

La fête se prépare et je sais qu'elle sera belle, la plus merveilleuse que cette ville ait connu.

Ce soir-là, mon compagnon me suggère de nous préparer aux festivités du lendemain.

- Et si nous faisions ce deuxième bébé maintenant ?

- Comment ça ?

Et avant que je ne réponde, il entre en moi si pleinement mais avec tant de douceur que je souhaite, quand il se penche sur moi pour m'embrasser fougueusement, que ce bébé soit aussi beau que lui.

En m'endormant, je regarde la magnifique robe de mariée blanche suspendue dans notre chambre qui m'attend, un sourire sur les lèvres, en paix avec moi-même.

7e matin, dimanche

                Je le dis enfin : « Oui, je le veux »

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