La fille aux pieds nus
Frédéric Baraer
On raconte dans notre village que la mère Gouriot avait accouché d'une jolie petite fille prénommée Aline. Elle faisait le paradis de ses parents tant la gamine était fort jolie et gazouillait avec tendresse lorsqu'on se mettait à lui parler; mais elle avait cependant hérité du caractère têtu du père, un bougon qui n'aimait pas que l'on s'occupât de trop près de ses affaires. Il haïssait les gendarmes et la gendarmerie.
Aline grandissait en beauté et gentillesse. Depuis sa tendre enfance, elle refusait de porter quelconque chaussure et marchait pieds nus.
Les gens ne comprenaient pas trop les raisons pour lesquelles Aline fut si bornée à refuser des croquenots. Le père fulminait mais rien ne semblait perturber la jeune fille.
D'adolescente elle devint femme et rencontra Gontran, un gentil gendarme de la ville voisine. Le père refusa catégoriquement de parler à sa fille et de rencontrer son futur gendre.
Elle supplia le père d'accorder ce mariage d'amour, et il finit par céder aux exigences de son unique rejeton.
Le jour des noces, lorsque sa fille adorée descendit de la voiture au bras de son militaire de mari, il lui vit aux pieds de jolis escarpins. Il s'écria à ceux qui voulaient l'entendre : "Vains dieux, la mariée chaussée!"