La Fille du Nord
Pierre Magne Comandu
Si, devant les piliers rouillés du port de plaisance de Dieppe, les yeux de la fille qui fut mon amour croisent un peu les tiens, parle-lui de mes mots que je tais peu à peu.
Si, sur le petit pont en fer qui rejoint la presqu'île et qu'il suffit de passer, la fille que j'ai aimée te demande ce que je fais, dis-lui juste que je peins.
Si, sous les rondes pierres noires des vieilles maisons du quartier du Pollet, mon premier amour a peur de ne pas savoir si je l'ai pardonnée, réponds-lui que non, mais ça n'a pas d'importance.
Si, là-haut sur la falaise où les pâquerettes repoussent, mon bel amour pense que le vent des plages de la Haute-Normandie me manque infiniment, souris-lui tendrement qu'il y a des douleurs qui pleurent au silence au plus profond du cœur.
Si, les yeux sur les reflets dorés des vagues douces du port, sa voix profonde prononce « est-ce qu'il aime une femme ? », que l'écho de ta voix fasse entendre « J'ai aimé ».
Si, sur les petits trottoirs devant le Petit Casino et le restaurant la Moule qui Chante, elle rigole pour savoir si j'aime peut-être un homme, fais sonner ces mots qui jouent, comme des notes, des blanches, des soupirs, et des silences, la plus forte histoire d'amitié dans le monde.
Joue ; respire la mer du nord, écoute-la craquer ; laisse le vent souffler sur les ports où il le faut, et souviens-toi de Dieppe, de nos noms, et de toi.