La fin d'un rêve

hectorvugo

Face à la mer je rebrousse chemin. Je préfère la terre, ses routes arides ou je roule sans cesse. Je déteste les embruns, l’odeur du sel ravive les heures malheureuses, la fin d’un rêve.

Ce rêve c’était toi. Toi dont j’essaie chaque jour d’oublier le corps flottant sur l’eau, ce corps inerte que l’océan garde.

Pour la première fois de ma vie je m’étais posé, j’avais décidé de m’installer dans ce village parce que tu y habitais.

Comme quoi il n’est jamais bon d’aller contre ses habitudes. Le destin me le rappela, pour le coup cruellement.

L’amour me sédentarisa un temps trop court. Ta mort m’exhorta à reprendre la fuite.

Avant toi, fuir était un réflexe, une nécessité depuis ce fameux hiver 44 ou ma grand-mère était montée dans un train sans y revenir. Après toi, cela redevint une évidence, une raison de vivre malgré tout.

Le naturel revint. C’était encré dans l’ADN de ma famille. Ne jamais se fixer. Se laisser porter par le vent. Etre un nomade.

Se poser quelque part c’est mourir un peu. Alors je m’arrête une heure au mieux, 48 heures au pire.

Lorsque je sens l’amour trop près de moi, je fous le camp. L’amour c’est la plaie, la glu intégrale, le truc à éviter à tout prix.

Les sentiments on ne se bat pas avec, on les accompagne.  On ne sait jamais où ils nous mènent. C’est terrifiant.

Je sais de quoi je parle.

Quand le souvenir de la brûlure se fait trop vif, je me réfugie dans ma caravane. C’est le seul endroit qui ressemble au ventre de ma mère.

Pourtant la décoration ne rappelle en rien la pauvreté de ce studio maternel sans fenêtre d’où j’entendais, fœtus, les fureurs du monde.

Que de couleurs j’ai mis dans cette roulotte moderne. C’est un concentré d’église mexicaine. De l’or, du faux, du toc, des représentations de la vierge placardées sur des murs de terres rouges. Un lit divan s’y colle.

Allongé de tout mon long, parfois je m’y repose. Pas suffisamment. Les rêves sont trompeurs et ont l’amabilité des vapeurs d’alcools. Ils rendent heureux.  Un bonheur à brève échéance.

Je rêve si peu si vous saviez.

Parce que je te vois encore dans mes songes, toi et toi seule.

Vous dire ton prénom n’arrangera pas mon état, tout ou plus vous permettra t’il de vous  faire une idée. A quoi pouvais-tu ressembler pour un inconnu ?

Avec un prénom on a déjà un début de réponse.

Une femme c’est une interrogation à deux jambes. Une vie ne suffit pas pour en faire le tour. Le tour de la question.

Tu t’appelais Esméralda. Tu étais brune, sensuelle, farouche par cette propension à préserver ta liberté.

Je t’aimais.  Oui je t’aimais quand tu dansais autour de feu écoutant fiévreusement ces notes de guitares.  J’étais en incubation, mes défenses immunitaires à la dérive, sentant bien ce satané virus prendre possession de mon corps, le cœur  comprimé par les vagues incessantes d’un désir qui me faisait frissonner.

J’allais vers toi inexorablement, me dandinant comme un pantin dans l’espoir d’être remarqué.

Tu restas de glace jusqu’au moment ou je te saisis par la taille alors que j’aurais dû porter allégeance à ta silhouette en me mettant à tes genoux.

J’étais victime de la coutume, de ce taux incontrôlable de testostérones. Posséder avant d’aimer, ne jamais atteindre le point de non retour.

Fier et mâle dans ma posture. J’entendais la foule applaudir. Elle encourageait ma hardiesse.

Je n’étais pas de cette communauté. J’étais juste de passage comme toujours. Mais je me sentais accepter par vous autres : mes cousins.

La consanguinité est contre indiquée souvent. Chez nous elle est un gage de réussite.

Bien que nos arbres généalogiques s’entrelaçassent, mon sentiment pour toi avait un avant goût d’éternité.

Ah que j’étais  grisé. Mon bras gauche s’enroulait autour de tes hanches. Tes mains se posaient sur ma nuque, nos visages s’approchaient dangereusement.

Je me plongeais dans tes yeux trouvant dans l’apnée oculaire des raisons de croire au compte à rebours de la solitude. J’attendais l’ultime décompte. On s’approchait de zéro.

Nos lèvres se rejoignaient à l’unisson de nos respirations intimes.

Ce baiser aurait pu choquer, bousculer les conventions. Toute ta famille était là autour du feu. La mienne était dans les étoiles de ma mémoire, à l’abri des historiens indiscrets.

« Ces deux-là s’aiment » dit ton arrière grand père. C’était un accord explicite. Le fait, qu’il émana du chef de la tribu, donna à notre couple une légitimité bien étrange.

On avait le droit, ce soir là. Et nous l’avions saisi en affamés de la chair.

Tu logeais dans une maison blanche à deux pas de la mer, une bicoque héritée d’un oncle détestant les voyages.

Délicieux paradoxe.

Nous avions emprunté la route à bord d’une Méhari aux phares incertains.  Pas besoin d’une carte, deux ou trois lacets pas plus, un virage en épingle pour finir. Nous étions devant un portail en bois marqué par des griffes, une œuvre de ton chat Oscar. A cette heure il devait être en vadrouille à taquiner la minette.

A peine entrée chez toi, tu avais pris l’initiative. Je n’avais qu’à me soumettre. D’ailleurs je me soumis.

Maîtresse de maison, maîtresse des amours

A l’ombre de ton corps je connais tant de joie

Dans ces minutes fragiles ton souffle se déploie

Posant sur mes épaules un manteau de velours

Qu’importe le délice de tes caresses douces

Au voisinage tendre d’une fée faite femme

J’ai pu goûter cent fois la vanille par la gousse

Et donner à ton cœur les gages de mon âme

Puis au petit matin le soleil s’est levé

Le jour s’est posé sur tes paupières clauses

Donnant un souvenir à cette nuit passée

Une mélancolie une métamorphose

Je fis le serment de ne point te quitter. J’eus l’intention de te le dire. Tu me coupas la parole et exigeas le silence absolu. Puis tu quittas la chambre, traversas nue la terrasse. Le soleil rasant joua les timides et n’osa pas te regarder d’aussi prés.

Tu partis te baigner. Un bain de minuit avec six heures de retard, c’était tout toi.

Je vis ta silhouette disparaître dans les flots et ne plus revenir.

J’écris cette histoire à l’encre noire d’un chagrin. Dieu sait si j’en ai des cartouches de larmes.

Ces phrases reviennent sur mon journal intime en guise de fin : face à la mer je rebrousse chemin. Je préfère la terre, ses routes arides ou je roule sans cesse. Je déteste les embruns, l’odeur du sel ravive les heures malheureuses, la fin d’un rêve.

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