La fleuriste amoureuse a un jardin secret

Une réponse aux textes de Paul et de Michèle, si fleuris et délicats.      

       Mon cher amour, 

      

       Laissez-moi un instant être votre fleuriste, les hommes aiment les fleurs, à leurs heures, il paraît.
Je voudrais vous offrir des fleurs sous la forme d’un bouquet aussi beau que signifiant, sans tenir compte des saisons ; seules celles de mon cœur sont importantes pour sa réalisation. La recette magique de sa conception vous en dira plus long qu’un discours fût-il amoureux. Prenez cependant garde à l’ordre dans lequel je choisirai les espèces sinon vous ne pourriez pas en saisir le message secret.

Certaines fleurs sont tristes voire empoisonnantes, promettez-moi, s’il vous plaît que jamais elles n’entreront dans nos compositions florales idéales. Nous ne voulons pas d’hélénie et d’hysope non plus, jamais si possible. Pas plus que de branche de bouleau, ah, non ! Je hais le plantain et je ne supporte pas le phlox bleu. Ni pour vous, ni pour moi.

Toute cette histoire vient de ce que dimanche passé vous m’avez offert la myrte  qui me manquait pour faire écho au ceibo dont vous m’aviez parlé dès septembre.

Pour commencer, il faut que j’assume une rose lavande, et que je vous dise que je terminerai par une herbe aromatique mais nous n’en sommes pas là.

Cette rose n’est pas là tout à fait sans raison, elle accompagne des fleurs que vous cultivez vous-même. Au milieu des roses des alpes et des asters rouges vous avez fait grandir des fleurs d’acacia, des fritillaires, de la sauge, à l’ombre d’un grand cèdre frémissant près des roseaux et vos queues de renard me donnent le sourire quand vous me les faites deviner au milieu des fleurs de cerisier. Je vous emprunte toutes ces merveilles pour le cœur de mon bouquet, elles sont sa raison d’être ; en ajoutant des fleurs de fraisier le centre sera parfait. Je ne peux pas me retenir d’y adjoindre un amarillys et une orchidée. Vous pourriez me dire que je vais vite en besogne, c’est vrai mais je suis empressée.

Je crois qu’il est temps de vous donner aussi une violette de parme, des groseilles, et un camélia rose mais vous vous en doutiez.

Pourtant il y a une tulipe jaune qui cherche à s’immiscer, je la repousse et je suis assaillie par le datura blanc, allié méchant du crocus violet. La branche du sapin m’égratigne, je n’aime pas non plus les odeurs des soucis. La groseille à maquereau est entêtante, elle m’exaspère. Les ancolies blanches et roses me guettent, je les rejette.
Je choisis alors un dahlia, rose aussi, il me redonne une certaine confiance. Le gui vient aussitôt à mon secours tandis que les perce-neiges et la menthe blanc-violacé me rassurent. Il vous faut aussi des fleurs de mélisse pour accompagner les menthes verte et poivrée.

A ce stade du bouquet si je cueille des gardénias vous allez douter de ce choix : - Il n’est plus temps d’y penser, me direz-vous. Pourtant je vous assure que j’ai tout fait pour me procurer du mimosa jaune et il n’est pas encore fané, je crois.

C’était très difficile car la feuille de vigne me fait perdre la tête, la pivoine me dit d’en détourner les yeux. Les primevères blanches sont si nombreuses à accompagner les fuchsias, les roses rouges et les pensées orange, les iris flammés sont encerclés par les arums rouges ; ces couleurs chaudes sont harmonieuses et font un bel ensemble avec l’amarante amie fervente de l’azalée rouge aussi, elles sont plus savoureuses ainsi.

J’entoure tout le bouquet de pensées multicolores, grâce aux tulipes doubles, au delphinium bleu, il est presque parfait. Je termine en saupoudrant généreusement de fleurs de thym, je te l’avais promis et quoiqu’il arrive il ne s’abîme jamais même quand ses inflorescences s’assèchent.

Je fais livrer ce bouquet dans ton cœur.