LA FLÛTE MAGIQUE : ACTE I
Sébastien Bouffault
LE MENEUR:
Bienvenue à vous tous. Je ne fais pas de discours.
Cette pièce est longue, on est déjà à la bourre.
Mesdames et Messieurs, j'ouvre le très grand livre
D'une histoire d'amour que le récit enivre
D'un parfum succulent. C'est l'histoire d'un homme
Qui cherche l'âme sœur, qui fait son maximum
Pour trouver son bonheur mais il s'y prend très mal.
Tout s'enchaîne très vite et il perd le moral.
C'est alors que soudain, venues d'un grand buisson
Apparaissent trois fées qui donnent au garçon
Un étrange instrument : c'est une flûte en bois.
Fabriquée à Taiwan où l'on pose les doigts
Sur les trous de son tube en ne soufflant pas fort.
Mais ce n'est rien qu'une flûte ordinaire alors ?
Non, son pouvoir est grand et grâce à musique
Des destins vont changer. Cette flûte est magique.
J'en ai déjà trop dit. Tournez mes personnages,
Sur la ronde du cœur. Voyez, malgré leur âge,
Ô charmants spectateurs, ces sentiments nouveaux
Qui naissent, éclosent et font leurs numéros.
Je parle toujours trop mais telle est ma nature.
Je m'en vais à présent car voici l'ouverture.
(Ouverture)
ACTE I
Scène 1 :
Patato – Hélène – Fricotine puis les alizés.
Dans la cuisine d'une maison bourgeoise. Patato porte un habit surchargé de broderies d'or et de collerettes ridicules. Hélène est grosse, âgée et ne fait rien pour s'arranger. Elle se croit néanmoins être porteuse d'un charme incontestable. Fricotine est maigre, jeune mais a tous les défauts d'Hélène.
PATATO :
Mon regard vous croisa un matin dans la rue,
Mes yeux vous souriaient d'un regard ingénu.
Je mis deux ou trois nuits à trouver le sommeil
Après ce bel instant sans nul autre pareil.
Vous êtes belle Hélène et je ne suis que poire.
Vous êtes le soleil, je suis une passoire
Mais je capte vos rayons à l'aide de mes trous
Sans trop être gêné par votre éclat si doux.
Sentez-vous le bonheur que j'éprouve à présent,
Cet élan de tendresse et cet amour si grand ?
Je souffre tant mon cœur de passion est chargé
Car devant tant de charme, on ne peut que plier.
Dîtes moi un seul mot pour briser la douleur
De ce beau sentiment qui cause mon malheur.
Dîtes moi un seul mot et nous serons heureux
Acceptez mon amour et mon ciel sera bleu.
HÉLÈNE :
J'avoue que tous vos mots sur mon cœur de pucelle
Ont d'étranges effets. Je sens sous mes aisselles
Couler un flot de sueur, c'est peut-être l'amour,
Qu'en dîtes-vous Seigneur ? Vous me faîtes la cour
Mais je suis cuisinière, vous Prince mon ami.
Un tel conte de fées n'est pas possible ici.
Je m'appelle Hélène. Vous voulez Cendrillon
Ô beau prince charmant, perdez-vous la raison ?
Je sais que ma beauté me vaut bien des remords ;
Que chacun de mes pas refait vivre des Morts,
Qu'on m'accoste toujours lorsque je me promène :
Qu'on me dit des mots doux et de nombreux « je t'aime »
Mais je reste impassible et fidèle en mon sein,
J'assume ma beauté jusqu'au creux de mes reins
J'ignore les regards des charmeurs pénétrants
Et les déclarations qu'ils me font si souvent.
Je suis pure, mon roi, et cette qualité
Je la dois seulement à ma virginité.
Plus une femme tarde à connaître les vices
Plus on savoure en elle de nouveaux délices.
Mais je me sens si touchée par votre requête…
Et je sais bien qu'au fond, au fond de votre tête,
De votre cœur aussi, votre déclaration
Était sincère mais… Il n'en est pas question.
Mais sachez, Prince, que beaucoup vous m'épatâtes
Mais que je dois céans, éplucher mes patates.
Vous trouverez un jour le véritable amour.
Je me sens trop jeune pour me parer d'atours.
PATATO :
Quel âge, ma mie, avez vous donc aujourd'hui ?
HÉLÈNE :
J'ai près de cinquante ans mais ma jeunesse luit
Sous le feu flamboyant de l'ardeur juvénile.
Je ne serai jamais ni vieille ni sénile.
Tant je garde en mon cœur l'esprit adolescent.
PATATO :
Votre âge me convient. Je vous prends sans les dents.
J'ai tant besoin d'amour que je donnerais tout
Pour sentir près de moi, contre ma joue ta joue.
HÉLÈNE :
Il n'en est pas question. Je vous ai expliqué
Le motif du refus. Je vous en prie, partez.
J'ai tant à faire ici. « Où sont les haricots ? »
FRICOTINE :
Je m'en vais les chercher. Ils sont dans le tonneau…
PATATO :
Tu le vois, je me meurs… Mon amour est entier….
HÈLÈNE :
Où sont les petits pois ?
FRICOTINE :
Ils sont restés dans le panier.
PATATO :
Je sens fondre mon cœur et je me meurs pour toi.
HÈLÈNE :
Et où sont les poireaux, je ne vois point les pois…
FRICOTINE :
Mais si dans le panier…
HÈLÈNE :
Quel panier nom d'un chien !
PATATO :
Je graverai ton nom sur ma tombe d'airain.
FRICOTINE :
Mais celui dans lequel vous vomîtes hier.
HÈLÈNE :
Je le vois à présent toujours couvert de glaire.
PATATO :
Et mon cœur sur ton cœur, sur le pont de mon âme.
HÈLÈNE :
Bon ! Beau Prince, il suffit. Excusez-moi le blâme
Que je vous fais céans. Sortez de ma cuisine !
PATATO :
Ne criez point, je sors. M'aimez-vous Fricotine ?
HÈLÈNE :
Elle est déjà promise à un garçon boucher.
PATATO :
Je n'en puis plus Seigneur, je suis désespéré.
Je m'en vais de ce pas chercher un air nouveau
Cette odeur de poisson me pénètre la peau.
HÈLÈNE :
Adieu beau charmeur. Ne désespère pas
De trouver un beau jour celle à qui tu plairas…
SCÈNE 2
Patato seul. Un jardin désolé. Patato est assis par terre, mélancolique.
Je ressens des larmes tout comme la moutarde
Qui monte au nez souvent. Je suis un pauvre barde
Dont l'amour musical n'est pas compris des femmes.
Mais la moutarde, en fait, cette saveur infâme
Ne monte pas aux yeux. Mon esprit est troublé…
Je dis n'importe quoi. Je dois me reposer.
Une nouvelle fois, je vais rêver de celle
Que mon cœur si meurtri si fréquemment appelle.
Où es-tu ma beauté ? Je parcourai les mers,
Pour venir te chercher, j'irai même aux enfers
Je serai ton Orphée, tu seras Eurydice,
Je serai ton Titus, tu seras Bérénice,
Tu seras Pénélope et je serai Ulysse
Tu seras Bruxelles et moi le macenpiss.
Tu seras un bretzel et moi un pain d'épice.
Je serai le lapin et tu seras Alice…
Je reste encore seul. Le chemin est très long
J'ignore tout de toi et même ton prénom.
Existes-tu chérie ? Je sens pleurer mon cœur
Car je me sens si seul, que dîtes-vous Seigneur ?
Patato regarde le ciel avec l'espoir de percevoir un signe divin. Rien ne se passe. Il courbe la tête, on entend le début de la musique qui semble provenir des cieux. Prélude puis Patato se met à chanter.
1er CHANT
Chaque jour, je pleure ton absence.
De l'amour, je subis les souffrances,
Tu pourrais me guérir, un baiser suffirait,
Rester pour me chérir, je ne pourrais jamais
Me sentir aussi bien,
Me lever le matin
Si gai et si serein.
Où es-tu,
Où es-tu,
Où te caches-tu donc ?
Nous serions si heureux ensemble
(refrain musical)
Qu'il est doux, ce rêve de l'amour,
Qu'il me tarde de vivre ce beau jour,
J'ai déjà attendu des dizaines d'années,
J'ai déjà tant pleuré, déjà tant espéré,
Mes larmes coulent encore
Et l'idée de la mort
Me donne des remords.
Où es-tu,
Où es-tu,
Où te caches-tu donc ?
Nous serions si heureux ensemble
LE MENEUR :
Le pauvre souverain sans femme ni soutien
Commença à verser son immense chagrin.
En tombant les larmes contre les feuilles mortes
Jouaient de tristes sons. Il put donc de la sorte
Jouer toutes les notes et composer ainsi
Avec peu de talent, toute une symphonie.
(Air des larmes contre les feuilles mortes. Parodie d'une symphonie connue)
(air des alizés)
Ayant versé le flot de son âme esseulée,
Il s'endormit enfin et par les alizés
Fut porté à cent lieux du lieu qu'il habitait.
Voyons ce qui se passe. Le meneur se tait…
(air des trois dames )
Scène 3 :
PATATO, les trois femmes.
Trois dames arrivent dans la clairière où gît Patato. Elles ne sont pas belles mais adoptent une démarche ridiculement gracieuse.
PREMIÈRE DAME :
Vois-tu ce que je vois ?
DEUXIEME DAME :
De quoi ? Dis-moi… Ah, ça ?
TROISIÈME DAME :
De quoi, ce qui gît là ? C'est quoi ? Ma foi, c'est gras…
PREMIÈRE DAME :
Crois-tu ce que je crois ?
DEUXIEME DAME :
Je vois ce que tu vois.
TROISIÈME DAME :
Et que crois-tu que c'est qui gît seul dans les bois ?
PREMIÈRE DAME :
Un homme.
DEUXIÈME DAME :
Un homme ?
TROISIÈME DAME :
Un homme ?
PREMIÈRE DAME :
Si, si.
DEUXIÈME DAME :
Si, si.
TROISIÈME DAME :
Si, si.
PREMIÈRE DAME :
Pourquoi gît-il ici en de si beaux habits ?
DEUXIÈME DAME :
Cette veste en fil d'or me laisse supposer
Que notre ami ignore la précarité.
TROISIÈME DAME :
Est-ce vraiment de l'or ?
La première dame se couche sur Patato et mâche un bout de sa veste.
PREMIÈRE DAME :
Oui, c'est du vrai or dur.
DEUXIÈME DAME et TROISIÈME DAME :
Formidable ! C'est un Prince.
PREMIÈRE DAME :
Son visage est si pur…
DEUXIÈME DAME :
Il a des yeux d'ange…
TROISIÈME DAME :
Et un nez aquilin
PREMIÈRE DAME :
Une bouche superbe
DEUXIÈME DAME :
Et un regard bovin.
TROISIÈME DAME :
Mais je l'ai vu bouger. Je crois qu'il vit encore.
PATATO :
Où suis-je ? Que fais-je ? Où vais-je ? Suis-je mort ?
Dors-je ? Rêve-je donc ? Vis-je ? Gît ici moi ?
Quelles sont ces ombres qui planent dessus moi ?
PREMIÈRE DAME :
Nous sommes trois amies. Nous t'avons trouvé là
Dans cette clairière. Que fais-tu dans les bois
À une heure pareille, au milieu d'animaux,
De bêtes sauvages et de beaux arbrisseaux ?
PATATO :
Je me suis endormi auprès de la cuisine
De mon petit château. L'odeur de margarine
Sur ma peau de satin perlait car j'avais chaud.
Je venais d'essayer, dans un dernier sursaut
De séduire Hélène, ma propre cuisinière.
J'ai tant besoin d'amour, je tuerais père et mère
Pour être dans les bras d'une femme amoureuse.
Cela ne marcha pas. La femme plantureuse
Me dit sans ambages qu'elle comptait préserver
Et malgré son grand âge, sa virginité.
PREMIÈRE DAME :
Mais quel âge a-t-elle donc ?
PATATO :
Pas plus de soixante ans.
L'amour rend aveugle. Elle n'a plus que trois dents.
Sa poitrine affaissée tombe jusqu'au bassin.
Et des bouées de graisse enveloppent ses reins.
Et je n'ai même pas réussi à séduire
Une femme hideuse. Je ne verrai plus luire
Au fond de mon cœur cet espoir d'être aimé.
Ce sentiment est dur. Mais qui êtes-vous, fées ?
PREMIÈRE DAME :
Nous sommes trois femmes au royaume LIOUBLIOU.
Qui es-tu beau jeune homme et que fais-tu chez nous ?
PATATO :
Je me suis endormi après avoir pleuré.
LES TROIS DAMES :
Ô, il est mignon.
PATATO :
Je ne sais pas après ce qu'il m'est arrivé.
Je suis Prince de sang au royaume Wszyscy ?
PREMIÈRE DAME :
Vous devez avoir faim car c'est très loin d'ici.
Vous avez dû marcher toute la nuit durant.
Ô pauvre jeune Prince, Ô pauvre Prince errant !
PATATO :
Je me porte très bien mais j'ai besoin d'amour.
Cette dernière faim, privée de ses labours
Est bien plus tenace que tout autre désir.
PREMIÈRE DAME :
Vous rêvez de l'amour. Faîtes moi un sourire…
Vous avez du travail… Êtes vous courageux ?
Aimez-vous l'aventure, la peur… et les œufs ?
PATATO :
Mais non, bien sûr que non. Pourquoi cette question ?
Les trois femmes se réunissent entre elles comme une mêlée de rugby pour décider de l'offensive à mener.
PREMIÈRE DAME :
Je vous propose un truc. Si à l'issue d'actions
Très chevaleresques et de grandes prouesses,
Vous remporteriez la main d'une princesse…
PATATO :
Où est votre contrat ? Je n'ai plus rien à perdre.
Pour le prix de l'Amour j'en perdrais bien la tête.
PREMIÈRE DAME :
Et quel est votre nom ?
PATATO :
Je suis TO, PATATO.
PREMIÈRE DAME :
Alors écoute bien.
Aux autres femmes
Nous avons le héros
Pour sauver PATATA, princesse de LIOUBLIOU.
PATATO :
De quoi est-il question ? Dois-je périr pour vous ?
2ème CHANT :
Dans notre beau royaume,
Tout le monde est heureux.
Aucun ne fait l'aumône
Le ciel est toujours bleu.
Les animaux sont gais ;
Ne se disputent pas ;
Dansent dans la forêt
Et tout est bien comme ça.
Et tout est bien comme ça.
Patata, jeune fille,
Quatre mètres au garrot,
Elle sent la vanille
Et la noix de coco.
Elle a été ravie
Par un monstre inconnu
Le peuple a peur de lui
S'est déclaré vaincu.
C'est pas bien comme ça !
C'est pas bien comme ça !
À toi donc Patato
Délivre la princesse.
Elle doit être au château
En proie à la tristesse.
A toi de la sauver
De trouver qui l'a prise
De nous la retourner
Et tu l'auras conquise.
Ce serait bien ainsi.
Ce serait bien ainsi.
Notre si beau Royaume
Redeviendra joyeux
Plus de peur, plus d'aumône
Nous serons tous heureux.
Courage chevalier
Ta tâche est élevée
Compte sur tes alliés
Pour nous la ramener.
DEUXIÈME DAME :
Et pour t'aider dans ta quête
TROISIÈME DAME :
Voici un instrument.
C'est une flûte à bec mais son pouvoir est grand
DEUXIÈME DAME :
Car elle est magique.
PATATO :
Mais comment donc m'en sers-je ?
Face à un grand péril, que dois-je faire, cours-je ?
TROISIÈME DAME :
Tu apprendras bientôt à user du pouvoir
Des notes qu'elle sort. Il est temps pour toi, pars !
Car le temps t'est compté. Va délivrer ta belle
Et tu sauras glorieux, et surtout aimé d'elle.
PATATO :
Puis-je prendre une douche ou un grand bain bien chaud ?
PREMIÉRE DAME :
La rivière est là-bas mais ta belle au cachot
T'attend désespérée. Ne perds donc pas ton temps,
Au plus, beau chevalier, tu peux laver tes dents.
Nous partons à présent, bonne chance à toi Prince.
Nous t'embrassons très fort sans te serrer la pince…
PATATO :
Où m'embrassez-vous ? Pouvons nous nous revoir ?
Elles s'en vont toutes dans cette forêt noire.
PREMIÈRE DAME :
J'oubliais chevalier… Voici de Patata
Le délicieux portrait.
PATATO :
Oh, faîtes-moi voir ça !
PREMIÈRE DAME :
Bon courage, héros. Je pense à toi très fort.
Je t'accompagnerai et prierai pour ton sort.
Nous partons à présent, mes deux amies et moi.
Adieu mon si beau prince, nous sommes avec toi.
Scène 4 :
PATATO, seul.
Patato pénètre une forêt sombre peuplés de yeux.
3ème CHANT :
Patata, je viens, ne pleure pas.
Bel Amour, je t'ai trouvé enfin
Je suivrai les traces de tes pas,
J'affronterai des monstres d'airain
Des géants et des nains
En fait, je ne sais pas, j'en sais rien.
Mais une chose est sûre, c'est qu'après demain
Nous serons déjà main dans la main.
Des bruits étranges se font entendre et l'optimisme de Patato succombe soudain en une angoisse marécageuse. Les yeux de la forêt s'ouvrent.
Quel est donc ce pays,
Pourquoi y suis-je allé,
Je regrette aujourd'hui,
D'y avoir mis les pieds.
Quel est donc ce pays,
Si sauvage, effrayant ?
Et quels sont tous ces bruits
Que j'entends si souvent ?
Des grenouilles coassent
Et des corbeaux croassent.
J'entends feuler des tigres
Jusqu'aux rives du Tibre.
J'entends grogner des ours
Se cachant dans la brousse,
Des éléphants barrissent
Et des lièvres vagissent,
Et des chameaux blatèrent
Des poissons de rivière
Et des castors musclés
Commencent à hurler.
Mais je dois surmonter
Cette peur qui m'agresse
Je ne dois plus penser
Qu'à sauver la princesse !
Patata, Patata
Patata, Patata
Patata, Patata
Attends, je viens vers toi…
Patata, Patata
Patata, Patata
Patata, Patata
Patience, attends-moi…
Patata, Patata
Patata, Patata
Patata, Patata
Ton Prince part déjà.
Patata, Patata
Patata, Patata
Patata, Patata
Tu seras près de moi…
FIN DE L'ACTE 1