La Forêt de Breuil-Bois-Victor
marethyu
Pierre Capret, un jeune garçon de dix ans, aimait se promener et flâner dans la forêt de Breuil-Bois-Victor qui entourait son village. Il y examinait les empreintes de lapins et de lièvres, celles du sanglier, et les traces plus lourdes du cerf. Il n'était pas rare, d'ailleurs, d'observer un de ces cervidés s'abreuvant à la source qui traversait les bois. Il adorait cette forêt qui était riche de tous ces animaux.
- Ce n'est pas vrai ! Ils n'ont vraiment aucun respect !
Pierre se trouvait devant un arbre qui avait été tagué. On avait dessiné dessus un visage horriblement laid. L'enfant fulminait. L'arbre, lui, balançait rêveusement ses branches au gré du vent, ne semblant pas se soucier de ce qu'on lui avait fait subir. Pierre entreprit donc, pendant le restant de l'après-midi, de nettoyer l'arbre jusqu'à ce qu'il ne reste plus de peinture sur l'écorce.
Pierre était ainsi : consciencieux, travailleur, respectueux des autres et de la forêt. Il ne supportait pas que l'on dégrade l'environnement si beau que Dame Nature leur avait confié. Lorsque l'horloge du village sonna cinq heures, il prit le sentier pour rentrer chez lui. Arrivé dans le vestibule, la voix grave de son père lui parvint.
- Bon sang, tonitrua Benjamin Capret, le père de Pierre, ce n'est pas possible, ce maire est complètement fou ! Non mais tu te rends compte qu'il a décidé de raser notre belle forêt !?
- Calme-toi, lui intima Alice, sa femme. Le petit va bientôt rentrer, je ne veux pas qu'il t'entende.
Pierre n'attendit pas de connaître la suite, il rouvrit la porte et s'élança dehors en direction de la forêt.
- Pierre ? appela sa mère, tu es rentré ?
- Je crois qu'il a surpris notre conversation, dit le père en s'approchant de la fenêtre, il file vers les bois.
- Alors rattrape-le vite.
Benjamin s'élança sur les traces de son fils et le prit dans ses bras. Pierre s'y blottit et se mit à sangloter :
- Papa, je ne veux pas qu'ils rasent ma forêt !
- Allons, remets-toi. Tiens, je te le promets, demain j'irai voir le maire et je tenterai de le faire changer d'avis.
- Tu crois que tu y arriveras ?
- Mais oui, dit le père en sachant que ce serait très difficile, voire impossible.
Le lendemain, Benjamin Capret se rendit à la mairie et fit irruption dans le bureau du maire. Il eut avec lui une longue discussion. Il en ressortit découragé, avec l'impression que son intervention n'avait servi à rien.
Pierre passa la matinée dans la forêt. Au début, tout était calme, puis, soudain un grondement assourdissant se fit entendre : le bruit des tronçonneuses. Pierre se hâta de rejoindre l'endroit d'où provenait le vacarme.
Un spectacle désolant l'y attendait : partout, des hommes armés de tronçonneuses coupaient les troncs qui étaient chargés sur des charrettes tirées par des chevaux.
Pierre resta un moment à les regarder trancher, découper et hacher menu la pauvre forêt, puis, incapable de supporter plus longtemps cette vision d'horreur, il prit le chemin pour rentrer chez lui. Ce qui le travaillait le plus, c'était le fait que les tronçonneuses se rapprochaient inexorablement du Vieux Chêne. Cet arbre était si grand et si âgé que ses feuilles dépassaient de loin les branches des autres arbres. Son écorce était si striée quelle rappelait la peau d'un vieillard. Quand on se trouvait sur un point culminant du village et que l'on se tournait vers la forêt deBreuil-Bois-Victor, on ne manquait pas de remarquer au premier coup d'œil le Vieux Chêne centenaire. Soudain, Pierre n'entendit plus rien, plus un son. Les tronçonneuses s'étaient arrêtées et les ouvriers étaient partis manger. Comme la forêt était calme, tout à coup !
Rentré chez lui, Pierre comprit tout de suite, à la mine abattue de son père, que les nouvelles étaient loin d'être bonnes. Il résolut de ne pas pleurer ni de montrer son chagrin. La petite famille mangea sans échanger un mot. Une atmosphère lourde et accablante s'était installée. Seul le bruit des couverts brisait le silence.
A la fin du repas, Pierre décida d'entrer en action et de rencontrer lui-même le maire. Arrivé devant sa porte, il frappa.
- Oui, entrez, fit la voix du maire à l'intérieur.
Le petit garçon se retrouva devant Eric Mougnet.
- Tiens, tiens, fit celui-ci, je vois beaucoup de Capret aujourd'hui. Qu'est-ce que tu veux, ajouta-t-il brusquement, j'ai beaucoup de travail et pas de temps à t'accorder.
Pierre insista et discuta longuement avec le maire. Celui-ci ne se laissait pas faire, mais Pierre trouvait toujours un argument pour le contrer. Avec passion, l'enfant lui parla des animaux qui n'auraient plus de foyer, du ruisseau qui ne pourrait plus couler, de la vie qui s'arrêterait. Finalement, le maire lui dit :
- Si j'arrête maintenant, je perds la face.
- Peut-être, riposta Pierre, mais vous gagnez l'estime du village.
Sur ce, il sortit du bureau.
L'enfant retourna dans la forêt. Il pensa en soupirant que son petit discours n'avait été d'aucune utilité auprès du maire. Il se dirigea au bruit des tronçonneuses vers l'endroit où travaillaient les ouvriers. Le paysage n'était que désolation. Pierre vit avec horreur que les hommes s'attaquaient à présent au Vieux Chêne centenaire. Son cœur sembla se briser. C'était fini, le vieil arbre s'écroulait lentement. Il devait sûrement faire un vacarme assourdissant mais Pierre n'entendait plus rien. Le Vieux Chêne centenaire était mort. Seule sa souche témoignait encore de son règne dans la forêt.
Soudain, la sonnerie d'un téléphone retentit. Le contremaître décrocha, mais le garçon ne put saisir la conversation.
- Bon ! hurla le contremaître en raccrochant, on arrête tout les gars, c'est fini. On remballe tout et on est invité à aller chercher notre paye à la mairie.
Les hommes partis, Pierre put enfin respirer. Il s'approcha de la souche du Vieux Chêne. Elle était immense. Un oiseau se posa délicatement dessus et se mit à piquer le bois avec son bec, comme s'il y cherchait des vers. Puis il se mit à chanter une douce et claire mélodie. L'enfant l'écoutait attentivement. Soudain, l'oiseau s'envola. Le jeune garçon se pencha alors sur le tronc coupé. « Tiens, se dit Pierre, on dirait qu'il y a quelque chose de gravé dessus ». En effet, une phrase joliment calligraphiée était inscrite sur le bois. Pierre la lut :
Dans la forêt de Breuil-Bois-Victor, vit le Peuple des Fées.
Pierre resta abasourdi. Qui donc avait pu écrire cette phrase ? Un des ouvriers ? Ou alors, – une pensée folle le traversa – et si c'était l'oiseau ? Et le Peuple des Fées ? Il en avait déjà entendu parler, c'était une vieille légende du village. Le Peuple des Fées, composé d'Elfes et de Fées, était dirigé par un Roi très vieux. C'était un peuple miniature qui vivait dans la forêt, et qui aidait les personnes du village qui faisaient le bien autour d'elles. Mais c'était une légende, rien de plus. Quand Pierre posa à nouveau son regard sur la souche, il eut la stupeur d'y découvrir un parchemin enroulé et qui était scellé par un long ruban rouge. Il hésita un instant avant de le prendre. Quand il le déplia, il put lire :
Pierre Capret, le Peuple des Fées existe. La preuve, c'est que ce parchemin a été écrit par un Elfe Musicien du Peuple. Tu y trouveras les paroles d'une chanson Elfique très récemment écrite.
Nous te demandons d'en prendre connaissance et, après, peut- être y verras-tu plus clair.
L'Ode au Zéphyr,
Quand la sécheresse s'installa,
Les nuages ayant fui la région,
Tout le monde, évidemment, se posa
La plus évidente des questions :
Pouvait-on survivre à pareille chaleur ?
Les Elfes et les Fées, certes, ne manquaient pas d'ardeur,
Mais les animaux ayant fui et le blé noirci,
Le Peuple des Fées eut recours à la magie.
Les Elfes dirent : il faut invoquer la pluie !
Les Fées répondirent : impossible, il n'y a pas de nuages !
Un vieil Elfe à la barbe et aux cheveux gris,
Et qui sans aucun doute était le plus sage
Dit : mes amis, invoquons le vent.
Il ira chercher les nuages, les percera, et il pleuvra.
L'idée était excellente et tous l'approuvèrent.
Seigneur Zéphyr, quand on le demanda,
Vint et, avec bonté, accepta de les aider et s'en alla,
Ne prenant pas la chose à la légère.
Trois jours plus tard, le revoilà,
Alors que le Soleil arrivait à son zénith.
Il avait, avec lui, un nuage noir comme le granit.
Le nuage fut percé et il plut.
Tout était arrangé.
Mais, deux ans après que cet incident fut survenu,
Les guetta un autre danger.
La forêt allait être coupée,
Et le Peuple des Fées exterminé.
Le Peuple fut sauvé
Par un enfant au grand cœur et l'immense bonté.
On l'appela Hemi'sdan, ce qui en Elfique signifiait :
Celui qui nous a aidés.
Pierre ne comprit pas tout, mais trouva le texte très beau. Il se souvint que deux ans auparavant, une sécheresse était survenue, et qu'un nuage avait miraculeusement sauvé les récoltes. Ainsi, les Elfes en seraient la cause ? Il enroula soigneusement le ruban autour du parchemin, décida de le garder et rentra chez lui. A peine avait-il disparu au détour du chemin, que les feuilles des arbres et les brins d'herbes se mirent à trembler. Alors, doucement, les Fées s'envolèrent des branchages et vinrent se poser sur la souche et tout autour, bientôt rejointes par les Elfes. Lorsque le Peuple des Fées fut au grand complet, le Roi apparut. Il volait sur le dos de l'Oiseau Messager, celui qui avait gravé la phrase sur la souche. Des trompettes se mirent à sonner et une mélodie joyeuse et entraînante s'éleva dans la clairière. L'Oiseau Messager se posa et le Vieux Roi descendit sur la terre ferme. Lentement, il avança vers la souche. Les Fées et les Elfes s'écartèrent respectueusement sur son passage. Tous ceux qui étaient sur le tronc coupé descendirent précipitamment. Le Roi y monta à son tour, et en frappa le bois de sa canne. Un trône apparut sur lequel il s'assit. Alors, d'une voix forte, il dit :
- Vous savez tous ce qui s'est passé. Je propose donc que nous remerciions le jeune Pierre Capret.
Le Peuple, en chœur, prononça ces mots :
-Nous te remercions, et n'aie crainte, Hemi'sdan, tu seras récompensé comme tu le mérites.
FIN