La forêt des sans-repos
arnaud-luphenz
Étant à mi-chemin de notre vie, je me trouvai dans une forêt obscure. Au sens propre et au sens figuré. Maman n'était pas sortie de son lit depuis des semaines et Papa attendait un miracle en scrutant par la fenêtre. Les mirages de la ville ponctuaient l'horizon nocturne. Comme des points de suspension. Nous aurions pu être esseulés, mais nos peurs restaient encore à dévorer. La maladie osseuse empirait. À chaque journée. Dans notre maison déjà hantée par l'avenir, je discutais principalement avec Martha. Ma jeune sœur m'avait accueilli les bras ouverts lorsque j'étais revenue au bercail, quelques mois auparavant. Mes parents, uniquement du coin de l'œil. Comme si je n'avais jamais quitté la demeure familiale. D'ailleurs, ma chambre, intacte, participait à la confusion. Seule l'épaisse couche de poussière trahissait le temps écoulé. Je la soupçonnais de s'être déposée dans l'optique de me perturber, pour que je rejoigne sans tarder les draps de ma jeunesse. Je ne me rappelais pas d'avoir laissé autant de disques sur les étagères, tant de souvenirs de décibels chéris. Comme une pluie de nuits à la belle étoile.
Entre les murs séculaires, l'alcool n'avait pas de frontière. Les bois environnants ne nous coupaient d'ailleurs ni la soif ni la parole. Avec Martha, quand nous ne nous occupions pas de Trevor, notre tortue royale vautrée dans son vivarium, nous sortions avec son petit copain très partageur. Le chien de ce dernier, à la race indéterminée, nous avait adopté d'emblée. Il adorait les déchets de plastique hagards et blafards qui jonchaient les allées arborées. Heureux hasard.
Au-dessus de nos têtes, les nuages continuaient à s'amonceler. Noir dessein. À n'en plus sentir la Terre. Dans mes cauchemars verts, les sans-repos me susurraient tout bas : L'ombre est sur nous. L'ombre est sur nous. Comme nombre de prophéties de frissons. Et pourtant, mon cœur luisait. Sans répit. De vestiges en vertiges. D'un temps du soulagement. Du soulagement du temps. À écrire.