La frontière

Fabien Dumaitre

Mat tourna la clef de contact du combi Volkswagen. Le moteur toussota puis se mit en marche ronronnant comme un vieux félin fatigué. Des volutes de fumées jaillirent du pot d’échappement polluant un peu plus l’air déjà vicié de la mégapole francilienne. Sarah, empreinte d’une certaine excitation, se mit à sauter frénétiquement sur le siège au cuir rongé par les ans applaudissant ce petit évènement : le véhicule fonctionnait. Mat l’avait acheté pour une bouché de pain à un junkie en mal d’argent. Il n’avait pas eu de difficultés à négocier le prix l’homme étant dans l’urgence de palier à son manque d’héroïne. Il n’y avait qu’à voir son allure chétive, ses yeux rouges exorbités et son sourire édenté pour se rendre compte que ce type était à l’article de la mort. La seule famille qu’il laisserait derrière lui serait « Ganja », une petite chienne rondouillette débordant de vitalité. Mat enclencha la première puis débraya tout en accélérant lentement. Le véhicule avança péniblement puis prit sa vitesse de croisière dans une farandole de grincements. Le junkie et sa fidèle compagne disparurent peu à peu dans le rétroviseur pour laisser place aux nombreux véhicules qui peuplaient le périphérique. Le permis fraichement en poche, mat conduisait prudemment, un peu trop d’ailleurs ce qui lui valait de nombreux coup de klaxon de la part des autres automobilistes pressés d’arriver à destination.

-         « On passe faire le plein et on va chercher Greg et Faustine. » lança mat les yeux rivés sur la route.

Ils arrivèrent en bas de l’immeuble où habitaient leurs amis vers dix heures. Mat, à force de manœuvres rendues difficiles par le manque de direction assistée, réussi à s’engouffrer entre deux voitures flambants neuves. Son vieux combi faisait pâle figure au milieu de ces deux berlines à la carrosserie rutilante mais peu importe, du moment qu’il les emmène jusqu’à Barcelone. Il devait passer deux semaines dans la somptueuse villa de l’oncle de Mat, un promoteur immobilier expatrié en Espagne. Sarah lâcha un cri suraigu et déclama, les mains levées vers le ciel :

-         «  Merci, mon dieu, merci. On va s’éclater ! »

Ils gravirent les quelques marches qui séparaient le rez-de-chaussée du troisième étage à la hâte. Une fois sur le palier, Mat enfonça la sonnette avec insistance tandis que Sarah tambourina de ses petites mains la porte d’un gris maussade. Le bruit du verrou retentit et Faustine leurs ouvrit, un sourire radieux plaqué sur son visage à la chaude teinte méditerranéenne. Ses longs cheveux jaune d’or irradiaient tels les rayons d’un doux soleil printanier et son regard, d’un noir intense et envoutant, semblaient embrasser le monde avec une certaine nostalgie. Elle portait une jupe en jean tombant à mi-cuisse et un chemisier blanc à manches courtes en flanelle. Emportée par son excès de joie, Sarah lui sauta au cou en gloussant comme une gamine troublée par les avances d’un beau garçon. Mat s’avança dans l’entrée donnant au passage une petite tape amicale sur la tête de Faustine.

-         « Ca fait trois jours qu’elle est comme ça. » lança Mat alors qu’il s’engouffrait dans le salon.

A sa vue, Greg se leva et, après une brève mais chaleureuse accolade, les deux hommes s’asseyèrent dans le confortable canapé bleu nuit. Greg était plutôt joli garçon avec son teint mât et ses longs cheveux noirs. Vêtu d’un pantalon treillis vert foncé aux multiples poches, d’un tee-shirt noir flanqué de dessins tribales et de sandales en cuir noir, son allure vestimentaire, mélange de décontraction et de bon goût, avait germé au plus profond de l’esprit esthète de sa compagne.

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