LA GAMINE MOCHE COMME UN POU
Hervé Lénervé
Six ans, moche comme un pou, Camille entourée de l'amour de ses parents, qui la voyaient avec d'autres yeux, avait un caractère bien trempé, elle était gentiment tyrannique et affectueuse. Camille était une gamine attachante et généreuse, elle avait bon fond et un cœur plus gros qu'elle. C'était une enfant bien dans sa peau, à l'âge où les apparences socio-publicitaires ne sont pas encore de mise, la petite s'épanouissait dans son entourage. Elle se vivait en princesse dans son monde imaginaire de l'enfance.
En bref, Camille était une belle personne dans un vilain écrin.
Sa personnalité de meneuse menait à la baquette son aéropage de copines et un peu ses parents, également. Chacun de lui reconnaître le charme de l'innocence et la spontanéité de l'enfance. Elle était espiègle et les anecdotes comiques sur la petite ne manquaient pas pour animer les discussions de famille et la rendre attachante. Quand elle fit sa rentrée à l'école primaire, les instituteurs avaient prévenu les parents en présence de leurs enfants, que les filles ne devaient pas venir avec des bijoux fantaisie, Camille qui n'était pas la dernière à être coquette avait été peinée par cette interdiction. Au troisième jour d'école, sa mère qui l'accompagnait la trouva exagérément couverte pour une journée à la température confortable. La petite portait une grosse écharpe de laine et un bonnet enfoncé jusqu'aux oreilles. Bien sûr, elle refusa de se découvrir malgré les recommandations de sa maman. Quand cette dernière le fit de force, elle vit que sa fille avait enfilé tous les colliers qu'elle possédait, ainsi que plus de boucles et d'anneaux que ses oreilles ne pouvaient en porter. Sa maman la sermonna.
- Tu n'as pas entendu ce qu'on dit les maîtresses.
- Si ! Mais si on doit écouter tout le monde…
Camille n'avait peur de rien, ni de personne.
Puis vînt la préadolescence, l'âge de l'éveil, la transition délicate entre le monde parental et celui de la Société, passage difficile d'un état à une apparence. Camille avait toujours une présentation ingrate et commençait à s'en apercevoir par le retour des frustrations. Les garçons qu'elle aurait aimés séduire ne craquaient pas aussi facilement que ses intimes devant ses facéties. Elle découvrait par l'échec et les rebuffades que son pouvoir n'opérait plus, sa baguette magique était cassée. La petite sûr d'elle devenait la grande qui doutait. Elle devenait morose et taciturne. Et puis, pour ne rien arranger, arriva l'Amour, Camille à onze ans n'avait d'yeux que pour un camarade de classe. Il s'appelait Alain, il était séduisant et séduisait toutes les filles qu'il voulait et même celles qu'il ne voulait pas, aussi, victimes collatérales de son charme. Malheureusement pour Camille qui faisait partie du lot de ces gamines qui se consumaient d'amour en secret pour le bel Alain. Il multipliait les conquêtes avec désinvolture et volait d'une fille à l'autre, toujours les plus jolies, comme le papillon butine une fleur, puis une autre, toujours les plus belles. Tout lui réussissait, il était brillant en études comme en amour, chacun recherchait sa compagnie, n'être qu'à ses côtés était, déjà en soit, une promotion.
Camille qui avait obtenu, jusqu'à là, d'excellents résultats scolaires, sans effort de travail, se vit descendre à un niveau nettement en dessous de la moyenne de sa classe, pour finir par rejoindre la bande de ceux dont on désespérait de leur avenir. Elle changea de fréquentations et s'acoquina, par la force des choses, à des camarades qu'elles ne comprenaient pas et qu'elle n'appréciait pas davantage. Elle ressentait un sentiment d'échec, de déchéance, de n'être plus à sa place, parmi les meilleurs, les plus beaux, l'élite du collège, les enfants à potentiel. Elle avait régressé au stade des blagues vulgaires, triviales et mauvaises de surcroit, des échanges sans subtilité, des bêtises ordinaires par manque de culture. La chute était misérable, Camille se frottait à sa véritable image, celle d'une enfant peu désirable dont personne ne désirait et par cette révélation sa personnalité passa d'extra à introvertie, elle se replia sur elle-même, comme le vilain escargot rentre dans sa coquille pour ne pas pouvoir, par nature, affronter le danger. Elle vécut sans broncher, sans se rebeller devant l'indifférence d'autrui, les petites vexations du quotidien qui ronge, érode l'assurance et amène à se mépriser soi-même. Où était, donc, l'enfant moche et qui s'en fichait par sa confiance en la vie ? Pour Camille sa vie n'avait plus de sens, seul ne comptait au temps du superficiel que le paraître.
Peut-on penser au suicide à onze ans ? Camille aurait pu répondre à la question, car des pensées morbides l'habitaient du matin au soir, seul la nuit et le sommeil pouvait encore l'apaiser.
Puis vînt l'embellie, sans crier garde, en une fraction de temps si brève que la temporalité, elle-même, aurait pu s'en étonner. Un matin, âgée alors de quatorze ans, Camille se réveilla papillon, sa métamorphose avait pris son temps, ne la critiquons pas, car si la transformation avait traîné en chemin, le travail n'en était que plus remarquable. Le papillon qui venait de renaître était le plus beau spécimen qu'aucun entomologiste n'est eu jamais loisir d'épingler sur une planche.
Camille renaissait dans un corps parfait au visage d'ange, le genre d'apparition qui fait rêver, dans une fulgurance, d'une vie différente et ternit son propre quotidien en vous laissant un goût amer dans la gorge. Un gout de cendre.
Un clin d'œil de l'ingénue et vous auriez tué père et mère pour que cette simple complicité vous ait été adressée. Parlons de miracle, si l'on veut parler de quelque chose, le fait était que la gamine moche comme un pou, puis la pré-ado ingrate avait vécu. Une autre vie s'ouvrait devant Camille avec d'autres perspectives, d'autres aspirations, d'autres exigences aussi.
En un éclair, le temps qu'il lui fallut pour réaliser et admettre sa métamorphose, Camille devînt autre. C'est encore le regard d'autrui qui lui renvoya sa nouvelle image et son pouvoir retrouvé. Les garçons la regardaient passer bouche bée, rendus ridicules par sa seule présence, eux qui fanfaronnait, il y avait peu, comme seuls les garçons savent si bien le faire sur des aventures amoureuses plus fantasmées que vécues. Les filles la voyaient aussi, élevée, à présent, au statut de rivale, mais comme la compétition était trop inégale, elle la détestait d'emblée, tout en l'enviant, l'un n'empêche pas l'autre, bien au contraire.
Alain qui avait suivi le même cursus que Camille du collège au lycée, ne reconnut pas immédiatement la fille qu'il avait ignorée durant toutes ses années de scolarité. Il était toujours aussi beau garçon, plus peut-être encore, il butinait toujours autant, pourtant, ce jour-là, pour lui toutes les fleurs alentour venaient de se faner en une fraction de seconde. Ce qu'il trouvait magnifique et gracieux chez sa chérie du moment, il y a un temps à peine, était devenu banal, fade et démuni de tout attrait, il s'en désintéressa immédiatement et n'eut plus qu'une idée obsessionnelle en tête, celle de conquérir cette nouvelle nymphe sortie des eaux.
- Camille qu'est-ce que tu as fait ?
- Pardon ?
- Tu n'es plus la même, qu'as-tu changé ?
- Ma coiffure, peut-être ? dit-elle dans un rire de gorge charmant et ironique.
Le garçon la regarda avec une mine perplexe, ce n'était pas deux mèches de cheveux arrangées différemment qui pouvaient expliquer cette éclosion. « Ma parole, elle se fout de ma gueule ! » Il en perdit de sa belle assurance et bredouilla dans un filet de voix accompagnée d'une mimique ridicule.
- Tu ne voudrais pas qu'on se voie après les cours ?
Camille mesura instantanément leur écart, en même temps qu'elle savait qu'il n'était plus aussi charmant, du moins plus assez pour elle. Elle lui répondit sans aucune sympathie.
- Tu as raison… je ne le veux pas…Puis elle enfonça… Tu es trop jeune.
Vexé, Alain n'insista pas et partit la queue entre les pattes, les rejets sont plus douloureux à ceux qui n'en sont pas familiers, lui le séducteur venait d'être éconduit comme un gamin par la fille qu'il aimait déjà à la folie. C'est connu, il suffit qu'un être résiste, pour qu'il nous devienne irrésistible.
Camille jubila intérieurement, elle s'exerçait à sa nouvelle puissance, la force avait changé de camp. La Force était avec elle.
Les jours qui suivirent, Alain ne fut plus que l'ombre de sa superbe, il quêtait les moindres déplacements de Camille dans le lycée, il ne pouvait s'empêcher de la regarder sans cesse à la dérobée dans la classe et la voyait souvent partir après les cours avec des garçons en voiture de sport rutilantes, les voitures étaient souvent différentes mais les garçons tous semblables, plus âgés, déjà des hommes, beaux, riches et bénis des Dieux. Il découvrait, pour la première fois de sa courte vie, un sentiment dévorant : la brûlure de la Jalousie.
On le retrouva un matin en décoration dans la grande salle de classe, pendu au plafonnier central, la langue pendante et bleuie, une bosse marquant l'entre-jambe de son jean, le tout dans une représentation lamentable. Il avait mis fin à sa courte vie de Don Juan.
Camille en fut chagrinée, mais sans plus, elle apprécia que les cours soient suspendus pendant une semaine entière et ces congés volés effacèrent totalement son affliction. « Merci ! Alain, c'est sympa ! » Pensa-t-elle.
Elle n'en était qu'au début, des cœurs qu'elle allait briser et des vies qu'elle allait écourter sans jamais en éprouver le moindre remords, ni en tenir le compte exact, la compétition n'était pas son style.
La gamine moche comme un pou, n'était plus.
Camille était devenue une sale personne dans un bel écrin.
Une fable qui interroge sur la beauté...
· Il y a plus de 7 ans ·La beauté de l'âme serait-elle inversement proportionnelle à la beauté du corps ?
anne-onyme
A mon humble avis, je crois qu’il n’y a aucune corrélation entre les deux et je ne dis pas cela parce que je suis moche. Mais, toi, Anne « T’as un bel œil, tu sais ? »
· Il y a plus de 7 ans ·Hervé Lénervé
Très belle histoire.
· Il y a plus de 7 ans ·La transformation n'est pas forcément toujours dans le bon sens manifestement.
Merci.
le-droit-dhauteur
Mais de rien ! Ce n’est pas une histoire vécue, j’ai beau mettre des talons aiguilles, je n’ai pas encore réussi ma métamorphose en fille.:)
· Il y a plus de 7 ans ·Hervé Lénervé