La gardienne de la laideur

vionline

Mon père me rapportait souvent, du temps de son vivant, cette anecdote qui avait marqué au fer blanc toute ma famille.

Tous étaient réunis, le jour de mon baptême. Grands-parents grabataires et cousins venus de loin, parrain et marraine choisis avec soin par ma mère. Antonin et Jeanne sa jeune épouse, sauraient prendre la responsabilité de m'accueillir sous leur toit, si toutefois... Des fois que... Sait-on jamais... Qu'il arrive un grand malheur.
Ma mère me tenait difficilement dans ses bras graciles et mon père, près d'elle, caressait mes cheveux noirs pour tenter de me calmer un peu. Juste avant, j'avais gravi 4 à 4 les marches de l'Eglise et découvrant pour la toute première fois l'autel, le Christ sur la croix, levant les yeux vers les vitraux représentant les Apôtres, je m'étais mise à hurler, cherchant immédiatement la grande porte de la Maison de Dieu pour sortir de ce lieu que tous les membres de ma famille considéraient comme sacré et solennel. L'écho dans l'église était emplis de mes cris de vieux bébé de 3 ans. Le Père Blanchard avait bien du mal à célébrer le baptême des autres chérubins que l'on présentait au Divin pour être acceptés et accueillis pour la toute première fois au sein de la chrétienté, comme le voulait la cérémonie. Vint mon tour, face au serviteur du Seigneur. Malgré le vacarme de mes pleurs, il me bénissait tandis que je repoussais vivement ses bras faisant le signe de croix.
Lorsque arriva le moment de recevoir sur mon front le filet d'eau bénite, je me serais baissée vers le bénitier, ma mère manquant de me lâcher et j'aurais tapé violemment 3 fois l'eau du plat de la main en jurant de ma voix d'enfant:
- "Ici c'est pas beau ! Le petit Jésus est vilain ! Je l'aime pas ! Je vois que rien n'est beau !!!".


Bien sûr, ce sont les mots de mon père, mais j'avais apparemment glacé au sang l'auditoire et tous les autres bébés présents s'étaient mis à pleurer, troublant tout le restant des vœux de baptême.
Bien des années plus tard, pourtant, j'avais la foi et ne manquais aucune messe du dimanche.
Cependant, et je l'ai vite compris dès mon entrée au collège, je parvenais à voir chez mes semblables la laideur cachée derrière leurs sourires, à déceler le voleur avant même qu'il ne dérobe un fruit au marché, à capter les mauvaises intentions de chacun. Et plus tard, lorsque j'ai fait la rencontre de celui qui allait devenir mon mari, j'ai lu en lui tous les malheurs du monde. Mais je n'ai rien dit. A personne.
Alors qu'il plaisait à tous, que je l'aimais moi aussi, j'ai pris en plein visage toute la noirceur de son âme. J'ai saisi ce qu'il avait enduré durant son enfance. Le temps passant, je devinais ses cauchemars et les mauvaises actions qu'il avait dû commettre d'avoir tant souffert avant. Chaque soir, je priais pour que Dieu me fasse porter et endurer à sa place, le lourd fardeau de sa vie maltraitée, meurtrie.

Je décidai un jour lors d'une prière longue et torturée de tout prendre à mon compte. D'avaler à sa place tous les mauvais rêves. Car jamais je n'aurais les preuves d'éventuels "crimes" dont il aurait été l'auteur par simple revanche ou vengeance.

Et Dieu a exaucé cette prière.


(A suivre)

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