La gare de Lyon

divina-bonitas

Pour beaucoup, ce n'est qu'une gare parmi d'autres. Mais pour les gens du sud, c'est la gare du nord, celle qui relie l'oc à l'oil, le soleil et les cigales à la somptueuse capitale. Pour tous, c'est d'abord la gare des amoureux, celle des serments murmurés, des cris de retrouvailles, des souvenirs heureux. On ne se sépare pas dans cette gare. Toutes ces heures passées à somnoler avant de se réveiller aux abords de la ville, sont des heures de frissons délicieux, si précieux. Paris et l'amour! Que vouloir de plus? Je me souviens. La jeune fille que j'étais espérait tant en arrivant ici. L'amour qui m'attendrait sur le quai, croiserait mon regard, mains dans les poches du jean dans lesquelles je mettrai les miennes, avant de tendre mon corps et ma bouche pour quérir un baiser. Pourquoi ai-je toujours ce sentiment que les amours de quais de gare sont éternelles et plus sûres qu'ailleurs? Serait-il plus facile de s'aimer au milieu du brouhaha, des sifflements, des valises et des anonymes? Le train arrive. Les roues crissent sur les rails. Chacun s'interroge. Ne vais-je pas le décevoir? Suis-je assez belle, assez sauvage pour le séduire encore? Les garçons jettent un oeil dans une vitre grise, arrangent une mèche, relèvent leurs cols, font saillir leurs machoires. Peu importe l'accent, les genous tremblent et les mains sont moites. Les sentiments affluent, puissants et bouleversants,  tandis que la machine n'en finit plus de s'arrêter. J'ai hâte de descendre sur le quai, mais un peu peur aussi. Le temps passé au loin nous permettra t'il de nous reconnaitre à nouveau? Serais-je toujours celle qu'il attendra? Mes cartons à dessin d'artiste en herbe m'encombrent. Le format raisin se prête mal aux voyages. Comme je vais avoir l'air ridicule de le retrouver ainsi, alourdie par ce fatras de papiers. Les concours ne sont que des prétextes à l'agréable. Comme s'il fallait trouver des raisons pour s'aimer de près. Les voyageurs se bousculent pour descendre, des petits, des vieux, des lents et des pressés. J'observe le quai. Je veux le voir d'abord, guêter son humeur, préparer un sourire. Je ne sais plus si je respire ni s'il me reste un coeur, tant celui-ci tambourine. Voudrait-il donc courir à sa rencontre plus vite que l'air chaud qui virevolte à l'arrêt de la rame? Un passager me bouscule. Le carton mal fermé s'ouvre. Les feuilles se répandent. Au moment où je pense me retourner pour toiser l'indélicat, une voix chaude s'amuse: " Laisse tomber." Le coquin sourit. Ne voit-il pas ma déconfiture? Les mains habiles ramassent et rangent mon travail. Je sens sa peau avant qu'elle ne me touche, respire les fragrances viriles par dessus les odeurs de quais, de désinfectant et de suie. Où sont passés les autres voyageurs? Y en a t'il seulement ou la gare n'est-elle qu'à nous? J'en rêve un instant. Courir sur les quais vides, hurler à la coupole combien j'aime être ici, au milieu des quais, des bancs, de tous ces gens vivants, qui passent, s'embrassent, regardent en l'air, cherchent un ami, un amant, une histoire à raconter plus tard. Il rit. Se moquerait-il? Nous ne nous sommes toujours pas dit bonjour. C'est inutile. Sur les quais, les bonjours et les bonsoirs sont superflus pour les amoureux. Ils le sont encore plus à l'heure des séparations, quand il n'est plus temps de dire bonjour et qu'on ne veut surtout pas dire au revoir. Un "salut" serait déplacé. Pas de passion dans un salut. J'aurais presque envie de m'énerver, de dire "quand même! Tu l'as vu ce type? Quel gougeat!", mais sa main qui prend la mienne et se glisse sous la manche me rappelle, que l'essentiel n'est pas ce malotru qui s'éloigne d'un pas pressé vers la bouche de métro, mais bien ses lèvres tièdes, qui se sont posées sur les miennes, tandis que les dessins volettent sur le quai, soulevés par le vent qui tourbillonne dans le hall. Premier baiser. Rien n'a changé. Qu'en pensent les gens qui nous entourent? Qu'importe! Des gens qui s'embrassent à genous sur un tapis de feuilles de toutes les couleurs écrivent l'histoire d'un lieu plus sûrement que ceux qui y courent sans s'attarder, hâtifs d'échapper aux vents coulis et aux annonces microphonées. Les lieux conservent la magie des émotions de ceux qui y ont vécu quelque chose d'important. Il y en a tant eu des amants de toutes les provinces de France qui se sont dit "je t'aime" et "je reviendrai" entre les wagons et les rails de cette gare, que j'aimerais qu'on l'appelât désormais:"gare des amoureux". 

  • Merci Franck pour ces compliments. C'est du vécu! J'espère que ces mots rappelleront à quelques uns d'autres retrouvailles. A bientôt et au plaisir de vous lire aussi;

    · Il y a environ 13 ans ·
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