la goutte du soir

cheetah

la tête lourde de vin argentin et le dos endolori par un sac à dos porte-bébé pas ergonomique du tout, je tarde à me coucher malgré la fatigue qui se fait sentir. un café me ferait bien envie mais faire tourner la cafetière à cette heure me semble un bien lourd fardeau. les jours se succèdent et se ressemblent. la routine s’installe. chiara se lève et quémande son biberon telle une petite fille des rues de lahore. caro, enfoncée sous la couette, grogne dès que je fais signe d’aller la lever. dehors tout est blanc depuis quelques jours, ça donne des envies de batailles de boules de neige. pour ça ma fille, il va falloir que tu grandisses encore un peu. en attendant papa s’amuse à marcher dans la neige, se trempe les pieds dans ses chaussures pas du tout faites pour ça. on dessine de fausses empreintes d’ours pour faire peur aux filles. on réfléchit à quoi ressembleraient celles d’un cougar.

puis le ballet des parents commencent. de l’autre côté de la rue, les enfants déboulent sur le parking et se ruent sous le préau. insouciance de ces petits caribous en herbe qui se baladent en chemise ou en polo par moins cinq degrés, qu’il pleuve ou qu’il neige. étranges horaires, ou certains parents déposent leur progéniture jusqu’à dix heures du matin. fin de la journée à quinze heures. le calme revient sur le quartier, c’est tout juste si l’on entend l’autoroute à trois cent mètres de chez nous. les corneilles vaquent à leurs chamailleries avec les mouettes, se disputant un vieux mégot ou un lacet de chaussure. sur les fils électriques dans la rue, une pair de baskets se balance dans le vent, tellement cliché que c’en est presque magique.

puis la nuit tombe. rapidement, comme un couperet qui sectionnerait la tête de monsieur soleil d’un coup sec. il fait jour puis soudain les couleurs changent et tout devient rose (des sommets enneigés aux toits des bâtiments) puis avant même que vous ayez pu capturer l’instant tout devient sombre et gris. c’est la nuit. et encore on est déjà en mars. il faut attendre tout de même dix-sept heures trente pour le dernier rayon de soleil. à la mi-décembre c’est à quinze heures qu’on éteind les lumières (enfin qu’on les allume). vient donc le soir. étant encore au rythme français, on mange vers vingt heures, soit une heure “espagnole” pour nos nouveaux voisins. invités à dîner chez des amis ici, il faut compter sur une arrivée vers dix-sept heures et un passage à table au maximum vers dix-huit heures trente. on change de pays on change de coutumes. tant mieux, ça rajoute au charme du dépaysement et au tracas du décalage horaire.

ma tête tombe. sur le clavier mes doigts se font lourds et je sais ce qu’il me reste à faire. le fond de cette bouteille d’astica argentin me fait de l’oeil depuis un moment de toute façon, il l’aura bien cherché. et puis ce n’est pas comme si une grosse journée m’attendait demain non plus. au diable les préjugés. je suis papa et j’aime ça mais j’ai aussi droit à une petite goutte du soir de temps en temps, non?

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