La Grande Reine

jjaji

Elle est plus grande que tous les gratte-ciels, touche le ciel, nous émerveille, nous ensorcelle. Elle est plus belle, sous la neige, sous la grêle, nous appelle, nous rend frêle. Elle cache le soleil et c'est toujours pareil, on grimpe à l'échelle. Rendez-vous au septième ciel, au sommet de la première merveille du monde. C'est un sommeil sans réveil, un arc-en-ciel infidèle. Elle est cruelle quand elle s'éveille, s'ébroue et nous échoue. Nos tunnels la traversent la veille et la vieille ne faiblit pas. Elle est douce comme du miel, accueille abeilles et sauterelles, gèle et mêle le froid et les braises. Elle appelle, épelle et hèle, elle a du zèle. Un dîner au chandelle, un peu de sucre, un peu de sel, la Tour Eiffel au naturel. 

 

Le marcheur fou viendra tout à l'heure, caresser les pleurs et les douleurs, étreigner les malheurs et les menteurs. Le marcheur fou viendra tout à l'heure, prolonger les heures de bonheur, corriger les moeurs. Le marcheur fou n'est qu'un leurre pour saccager l'horreur, effacer les rancoeurs. Le marcheur fou est un magicien qui agit sans aigreur, sans peur et sans coeur. Le marcheur fou marche une marche sans panache, c'est vache et c'est la tâche. Le marcheur fou se fâche, cravache sans relâche.

 

Elle s'élève en plein rêve, signe la trêve, elle s'élève et se lève, s'étire et veille. C'est une fève dans la plaine, une grève à elle-même. Elle embrase le ciel, elle embrasse le ciel du bout des lèvres, la sève de ses arbres nous relève lorsque son rugissement nous achève, nous crève. Elle prend les devants, nous pousse dans les vents du temps, vents d'autan, vents d'avant. Elle a quitté la terre pour une autre atmosphère, elle a quitté l'enfer pour hier. A ses pieds, la mer répète son va-et-vient incessant, impuissant et comme un rire d'enfant revient le vent. Vent terne qui la mène en berne, qui lui creuse les cernes mais qui lui prend ses peines et les emmène au sommet de la Grande Reine.

 

Le marcheur fou s'est perdu dans les remous de ses feuilles, qui volent, qui s'étalent, molles et infernales. Il a cru mourir, il a cru en finir mais elle l'a sauvé, l'a pardonné et l'a redressé. Le marcheur fou s'est perdu dans ses illusions, il est sans sous et a l'air d'un con. Sa folie l'envie, il est en vie, en un cri, en voilà fini. Le marcheur fou est tombé sous son charme, a baissé les armes, agenouillé son cops malade à ses pieds. Il a laissé son âme se reposer, déborder et s'écouler le long de ses flans. Le marcheur fou a dû reprendre sa marche, sans relâche et sans qu'elle se fâche. 

 

Elle l'a accueilli pour lui redonner gout à la vie, elle l'a recueilli et lui a dit: "Si c'est pas l'paradis, c'est au moins la magie". L'étincelle de ses fins sentiers, la flanelle de son décolleté, quand elle se penche et abaisse ses branches, quand elle se penche et délie ses hanches, l'horizon allonge les nuits blanches du marcheur fou, peut-être bien qu'elle le prend pour un con, mais bon. Elle s'impose, s'expose à tous les dangers, implose de vitalité, ose et prend la pose. Comme la plus belle femme elle dose force et fragilité avec une agilité inhumaine. Ses réactions sont incertaines, elle ne ploie pas sous les pas géants du vent et d'avant et d'antan et d'autant des temps. 

 

Le ciel se déchire sous sa robe cachemire, le marcheur fou doit partir mais il est pris au piège de ses eaux saphirs. Une nuit boréale dans un lit de pétale sur son corps cathédrale, une nuit boréale et elle ôte son châle, le mal a été fatal. Le marcheur fou est nu, le marcheur fou est ému. Il ne peut détourner les yeux, s'enfonce au creux de ses reins et son corps s'étale le long de ses fins sapins. Il promène ses mains autour de ses dentelles, elle est si belle et si cruelle. Il a marché follement pour elle, le marcheur fou n'a jamais reculé, il a marché pour la retrouver, il ne pouvait pas l'inventer. Il n'y en a qu'une qui surpasse les dunes et célèbre si bien la lune, il n'y en a qu'une et c'est celle qui a épris le marcheur fou.

 

Elle se voile d'un coton de brume, sans un poil d'amertume, elle met les voiles et s'enfume. Elle s'affaisse, montre sa faiblesse mais sachez qu'elle est aussi puissante que lente. Ses rondeurs sont piquantes, ses douceurs poignantes, elle est le bonheur au coeur des balades, à genoux parmi les malades. Mais lorsqu'elle s'assombrit, lorsqu'elle s'oublie, lorsqu'elle supplie...

 

Le marcheur fou a eu la folie de repartir, de laisser la Grande Reine faiblir, mais il n'a pas pris le temps de la persuader et de la consoler. Il ne s'est pas retourné, il ne l'a pas vue s'effondrer. La vieille s'est écroulée, la belle s'est énervée. Le marcheur fou n'a que su marcher, il n'a pas compris qu'il l'avait blessée à vie. Le marcheur fou ne savait même plus où aller, il cessera de marcher, deviendra fou, fou, mou, saoul, sans sous, sous terre, sous mer, clou et coupé.

 

L'hiver dans son coeur a porté le malheur, la Grande Reine a pleuré la fuite du marcheur. Son coeur s'est frigorifié et les rochers sont tombés, arrachant aux Hommes une vie sans merci. Le sang lui colle aux mains, le temps l'a emporté et elle s'est redressé. Elle est devenue une simple montagne, une compagne en campagne et de l'Espagne à l'Allemagne, son soupir fait frémir les rires de son Empire.

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