La ligne blanche
vatomuro
Les ombres m'entourent calmement comme si elles voulaient me protéger. Seul au carrefour, je me surprend à ne penser à rien, sous les lumières. Les bouffées de cigarettes s'enchainent et se ressemblent, au loin les bruits du trafic répondent à chacune de mes expirations. Une quiétude particulière règne sur le lieu. Peut être est ce dû à l'herbe humide. La pluie qui tombe rappelle toujours des souvenirs une fois qu'elle a cessée. Elle fait remonter les mémoires d'antan, les écorchures de la route et les regrets oubliés.
La nuit électrique évente nos poumons. Elle berce notre tête comme une chanson de Bob Dylan oubliée et jouer quelque part au fond d'un bar. Elle retentit entre nos oreilles comme si c'était la dernière fois que l'on entendrait de notre vie et comme si cette réalité n'avait plus d'importance. La peur s'évanouit, elle disparait comme disparait la nuit sans prévenir juste avant que ne se lève le jour. Il y a une sorte d'infime no man's land temporel et céleste entre la nuit et le soleil, chacun se suit sans se toucher. Les meilleures choses vous font oublier la peur car elles vous prennent aux tripes et ne lâchent pas, elles vous font ressentir des choses que même les meilleurs médicaments anti reflux gastriques n'arriveront a faire partir et c'est tant mieux. On ne vit pas avec la peur pendue au nez mais avec la passion accrochée a notre estomac. Et c'est bien tant mieux. Au beau milieu de la route je suis maintenant, je ne saurais dire ce que je ressent, je crois ne faire qu'un avec les bandes blanches sur l'asphalte. Je crois ne faire qu'un et c'est une grosse duperie, ainsi qu'une preuve de narcissisme indéniable de pouvoir prétendre dans sa vie de ne faire qu'un avec la matière du parcours qu'on emprunte pour son voyage. Combien de baroudeurs du désert, de rôdeurs des collines, et de grimpeurs de montagnes auraient pu donner tout ce qu'ils avaient pour oser affirmer qu'ils étaient devenus leurs propre route, leur propre périple, faire corps et âme avec ce que l'on va chercher au bout du chemin? Tous. C'est le voyage qui forge l'homme et lui permet de recevoir ce qui l'attend là bas.
Les quelques gouttes qui tombent sur mon épaule par moments voire sur ma tête me surprenne à chaque fois et me maintiennent éveillé pendant que mon corps déambule non sans peine et sans but dans la froideur de la ville. Les espaces verts semblent propices à un petit somme mais je n'ai pas sommeil, les brises nocturnes sont ma caféine, et parfois, je m'étonne a siffler un petit air d'une vieille chanson folk dont je m'aperçois que je n'ai pas le titre et qui confirme que ma mémoire me joue des tours. Les trottoirs se ressemblent dans cette ville dortoir. Elle dors et je marche sur sa planisphère, tel un pauvre hère.
Parfois il est bon de marcher sans but. L'esprit qui cogite est acerbe. Il rappelle toujours des souvenirs oubliés. A force de marcher sans but, je finis par me retrouver devant mon véhicule. Le temps de chercher les clés, d'allumer une cigarette et de régler le volume de la radio, j'étais reparti sur le bitume, avec quatre roues bien accrochés a l'horizontal bétonné.
La chanson qui passe est un tube, très connu, mais décidément la mémoire est capricieuse ce soir. La pluie recommence a tomber. Elle tombe à grosse trombes maintenant. Des cordes, des chats, des chiens, de la pisse de vache. Le ronron des essuie glaces essaie de se caler sur le tempo du morceau et lancine dans la voiture enfumée par la dernière Lucky de mon paquet.
J'attendais de sentir les flammes me lécher la peau, alors que je voyais la fumée depuis un bout de temps. Décidément la réalité n'existe pas. Si il y a un endroit plus irréel qu'ici, je veux le voir. Je veux le voir pour en être sûr. Que ce que j'ai vécu, n'est pas seulement maintenant qu'une trace à l'intérieur de mon crâne. Mais si c'est le cas, alors qu'il en soit ainsi.
Les routes qui nous attendent sont jalonnées de mauvaises herbes, mais quand la pluie tombe, elles sentent quand bien même l'odeur du bitume mouillée. Il y a trois choses a ne pas oublier quand on marche dans cette vallée. Ceux qu'on aime, d'où on vient, et l'odeur des choses.
Certains resteront bloqués sur les astres qui gravitent autour de nous. Mais même s'ils n'avancent pas, la terre ne s'arrête pas de tourner pour autant. Après tout ils ont peut être raison. Les dieux n'auront qu'a nous maudire et cracher encore plus sur notre sort. Nous ne devons rien à personne. Nous sommes des causes perdues. Mais ce sont les causes perdues qui méritent d'être sauvées. Ce sont les causes perdues qui méritent qu'on se battent. Car après tout, même si on est perdu, on est quelque part. Et si on est quelque part, c'est qu'on est pas si dans la merde que ça.
On a tracé sur des bandes plus dures que du diamant. Et sans dévier. Sur des lignes droites comme des tours. Notre communion asphaltique a dépassé bien plus que des bornes kilométriques. Ceci est un râle, un cri, un hurlement, l'équivalent d'un tir de feu de détresse, de l'implosion d'une étoile.
Un battement de cœur