La loi des séries (ou quand la vie bascule..)

absolu

Je suis arrivée sur Paris mi-novembre 2006, ne voyant aucune perspective d’évolution dans ma ville natale de Picardie, le marché de l’emploi n’y est vraiment pas prolifique..

C’était aussi l’occasion de venir vivre une histoire d’amour, alors j’ai tout laissé là haut, bien qu’il me restât une année d’emploi jeune assurée.

J’ai donc trouvé un emploi dans la même branche, dans un autre arbre, en banlieue, moins verdoyant. Un rythme soutenu, deux heures de transport en commun aller-retour, métro, train de banlieue, le terrible métro-boulot-dodo.. Et dire que Paris devait rester ma roue de secours pour le travail…

Poinçonner son ticket, le jour commence à poindre, la vie pointe le bout de son fardeau, bateau ivre d’abus, jusqu’au havre du soir, Paris le jour, Paris la nuit, brille quand on se met au lit, s’aigrit quand on en sort..

J’étais loin d’imaginer aussi le temps de transports, les minutes qui semblent des heures, dans les escalators.. Est-ce que j’ai eu tort ? Je ne pense pas.. En plus, ils sont souvent en panne, alors quand on arrive à la station Gare du Nord de la ligne 4, c’est une ascension périlleuse qu’il faut entreprendre afin de ne pas se faire aplatir contre un mur, ou pire, piétiner.. arriver enfin dans un long couloir chaud empli d’une odeur de caoutchouc brûlé, le métro de la ligne 4 est le seul à encore rouler sur pneus…

Porte d’Orléans - Porte de Clignancourt, les relents d’une horreur souterraine, qui font cligner les yeux en cours d’ouverture. Il ne manque plus qu’une couverture pour finir la nuit. C’est gris, c’est sale, c’est loin d’être la quête du Graal. Les rats grouillant dans les coins sombres, les râles des sans-abri se mélangeant aux ombres de la « grotte », ça sent pas la rose, même si certaines se vendent à la sauvette..

Ces roses-là, elles s’effeuillent au moindre courant d’air suspect. Ces pauvres gens-là, ils sirotent la menue monnaie récoltée dans la journée. Fleurs du mâle - roses bon marché - trop pressé de conclure sa dernière « affaire ». Les autres – qui ont trop marché - glissent vers la cirrhose, glissent de plus en plus bas, jusqu’à ce que leurs yeux atteignent la hauteur de nos pas. « Emballé c’est pesé », est-ce encore vrai ? Les dames ne donnent pas leur poids.. ( ou alors c’est une balance qui les trahira).. On ne les voit pas, on ne les voit plus, on se dit juste que « ça pue ».. les odeurs pestilentielles se mélangent, impossible d’en isoler une.. les questions existentielles dérangent, on se perd dans l’infortune.

Les allées pleines, les haleines chargées, la condensation embuent les fenêtres des wagons, ça cache un peu le noir du béton entre chaque station. L’on ne voit plus que la masse grouillante, où chacun se débrouille pour respirer, qui entre, qui sort, qui se resserre, qui s’éparpille, mouvements incessants des corps qui s’entassent, des hommes qui s’envient, qui s’engouffrent dans les rames, sans vie.. c’est la parade matinale, c’est l’apparat des syndicats, perturbations régulières sur les lignes, « il est interdit de descendre sur les rails », c’est sûr, le rail, il vaut mieux le faire remonter jusqu’au cerveau.. « ne laissez pas vos bagages sans surveillance », et les caméras alors, elles servent à quoi… à surveiller la libre circulation de la cam, des rats ? Faudrait voir à s’calmer, on peut pas faire un pas sans voir un message de mise en garde, sans être réveillé par une voix digne des micros de grande surface qui « demandent Janine à la caisse 24, Janine à la caisse 24, merci », comme si la nénette parlait dans un mouchoir qui lui aurait préalablement servi à recevoir le chagrin que la mort soudaine de « Bryan » - dans le 5687ème épisode des « Feux de la Gloire » alors qu’il venait d’apprendre que « Barbara » était enceinte de lui - lui aura fait versé pendant sa pause déjeuner. Mesdames et Messieurs qui prenez le micro pour faire des annonces Gare du Nord, s’il vous plaît, videz votre bouche avant d’parler…

Dans le même genre, y a les messages des conducteurs de trains qu’on essaie invariablement de déchiffrer derrière les grésillement et le sifflement douloureux du micro. On devine, on déduit, qu’il excuse l’arrêt du métro en plein trajet, mais au moment où le message est diffusé, le métro repart… Enfin, ça part d’un bon sentiment, c’est déjà ça..

Après le métro, le train de banlieue, boulot à mille lieues de mon plumard et de mes rêves en plaqué or, rêves trop vite éraflés par les griffes des gens toujours pressés. Même schéma, même scénario haché, deux stations ponctuent le trajet, et encore 10 minutes à pied.

Le soir on inverse l’histoire, retour à la case départ, j’ai pas touché 20 000 euros, mais j’suis dans les bras de mon héros.

Sombre le tableau, en noir et blanc, nuance de gris, c’est normal, en hiver c’est tout pourri. Faut voir avec la lumière estivale, le défilé se transforme en carnaval. Enfin, remarquez, la différence c’est l’étendue de chair dévoilée, qui laisse son empreinte humide d’avoir sué.

Les mois passent, je n’arrive pas à me faire à ce rythme mais accomplis mon dur labeur du mieux que je peux. J’y mets toute ma conscience professionnelle, n’arrive jamais en retard, etc..

Mais il y a toujours des insatisfaits, notamment mon employeur..

Il finit par me dire que je ne conviens pas, alors même qu’il avait raccourci ma période d’essai pour me faire signer un CDI.. Finalement il m’annonce que nous nous « dirigeons vers une fin de contrat, soit une démission soit un licenciement ».. Bien bien..

J’accuse le coup comme je peux, continue à venir travailler..

Bien évidemment le moral n’y est plus, comment le garder quand vous venez à un endroit où l’on ne veut plus de vous.. Donc je viens, j’effectue les tâches qui me sont attribuées.. Et la goutte d’eau.. un reproche de trop, et je craque..

Arrêt maladie, qui se prolonge, depuis le moi de mai, nous sommes au mois d’août, demain..

Fin juin, une visite dans le bureau de l’employeur, pour « négocier » le départ ..:

- Je ne vois donc qu’une solution, à la fin de votre arrêt maladie, vous ne revenez pas travailler, et je vous licencie pour faute grave, ça prendra quelques jours et comme ça l’histoire sera réglée.
- Ahh, et le licenciement pour motif personnel ?
- Non non, ça revient au même il faut invoquer un motif …

Je n’entends plus ce qu’il me dit.. Je ne comprends plus.. Ou je comprends trop, ce qui va se passer.. Comme je n’ai plus entendu les voix des Muses couvertes par le brouhaha du métro..

Au terme de cet arrêt, j’ai revu mon médecin, et l’arrêt fut prolongé.. J’en informe le directeur, qui me laisse sans réponse, depuis trois semaines maintenant.

Comme j’ai de la chance, depuis tout ce temps, je n’ai reçu aucun salaire, soit, mais aucune indemnité d’arrêt de travail..

Bataille avec la CPAM, coups de fil, mails, visite au siège.. rien..

Je vais dans une autre CPAM, et là on me dit que c’est une erreur de mon employeur, qui a donné une date de reprise du travail et coché la case non repris à ce jour en même temps sur l’attestation de salaire.. Erreur ou acte délibéré ? LE fait s’est reproduit sur la seconde feuille…

Evidemment ma banque ne reste pas de marbre face au non approvisionnement de mon compte pendant tout ce temps.. 2 mois débiteurs, elle n’aime pas trop et me le fait savoir, courriers facturés plus de 20€, et tout ce qui s’ensuit.. J’arrive à les faire patienter..

Mes sauveurs, mes parents, font l’appoint afin que je redevienne créditrice.. afin de ne pas accumuler les ennuis.. la banque est contente, ma fierté vacille..

Pendant ce temps là, je n’arrive toujours pas à joindre le responsable afin qu’il refasse une attestation correcte, et que je puisse enfin toucher la moitié de mon salaire, pour ne pas avoir accepté de commettre une faute qui lui permette de me foutre dehors..

Les tensions conjugales ajoutent à tout cela, menacent notre avenir ensemble.. le ton monte souvent, trop, pour rien..

Le surendettement arrive vite, trop vite, en 2 mois vous perdez tout, vous n’êtes plus rien.. la société vous juge, vous finissez par vous jugez inutile, vous n’avez plus votre place..

Engrenage, gangrène, je surnage..

Mon histoire est celle de milliers de personnes, qui ne peuvent faire de projets, qui ne peuvent même pas encore envisager l’idée d’avoir un enfant, trop peu sûrs d’eux-mêmes, de leur présent, et des jours à venir.. Alors on fait quoi ?

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