la lourde Remington

Christine Depeige

J’ai nettoyé la lourde Remington noire avec un léger pinceau blanc comme un peintre pris de remords aurait voulu dessiner les mots pour recouvrer ses couleurs. Victime de maltraitance passive comme certains vieux dans les hospices, elle se mourait lentement, en s’effaçant -toute énorme qu’elle était- de mes yeux, oubliée et muette presqu’invisible sous sa burqa de poussière.

J’ai épousseté chaque lettre puis le clavier tout entier et, peu à peu, elle reprit des couleurs,  réintégra son honneur. Les vieux qui ne disent plus rien n’ont pas pour autant plus rien à nous dire. Il faut juste condescendre à leur accorder un peu d’attention, de ce temps qui, un jour, nous manquera, à nous aussi.

J’ai graissé le mécanisme rouillé avec du 3 en 1 et ses vieux membres engourdis se sont réveillés, heureux de se redresser comme un vieillard attentif dans les bras de ses aides soignantes. Il ne faut pas grand-chose parfois pour que la vie se ravive, pour que l’espoir renaisse. Juste un  peu d’amour.

J’ai astiqué au Miror l’acier rouillé et c’est ma vie  que je me suis mise à redorer, fière d’avoir réveillé en moi l’envie de regarder les autres. Qu’avait donc écrit cette machine à écrire ? 

christine depeige

extrait de  "Monoblogue"

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