La lueur incandescente

Benjamin Didiot

Nouvelle inspirée d'une illustration de Nicolas Parant disponible ici : http://lc.cx/ZrUb (http://santamonega.tumblr.com/)

L'obscurité m'entoure, d'un noir si profond que seule la lueur brûlante au bout de ma cigarette semble en ressortir. Qu'est-ce qu'il s'y cache ?

Je suis seul, alors rien ne s'y cache. Je crois surtout que je suis perdu, bien qu'à mon sens rien n'est moins sûr. Je ne me souviens pas d'un instant où je ne me suis pas senti ainsi. Seulement cette fois je suis seul. Je crois que je suis seul.

Ce serait avec un certain plaisir que je profiterai du silence environnant pour confirmer mon impression de solitude. Seulement cet endroit est loin d'être vide de nuisances, ainsi mon souhait de solitude ne semble être qu'une fragile illusion.

Je serre mon doudou fort contre moi. La fatigue ne cesse de laisser tomber mes bras, pourtant je m'efforce de garder une tension régulière dans mes doigts. Tant qu'il est avec moi, je n'ai pas peur.

Le sol gronde dans mon dos.

Je me retourne et il me fait face, immobile. Je n'ai pas peur. Lui non plus.

L'ours en peluche aux yeux en croix se penche pour me saluer. Je fais de même, il à l'air doux. Il est bien plus grand que moi. Son ventre ressemble à la couverture de maman, celle qu'elle me met sur les jambes quand j'ai froid en voyage. Je ne sais pas où est maman, je sais qu'elle me manque.

Je continue de marcher, l'ours continuant de me suivre. Il ne me gène pas. Il a les mêmes yeux en croix que mon doudou.

Éparpillés dans le vide, mes souvenirs peuplent l'obscurité et ainsi dans la fumée de ma cigarette, je retrouve de nombreux visages. Certains me paraissent familiers, d'autres inconnus. Il doit être impossible de se souvenir de tout les autres humains que l'on croise dans sa vie. J'en ai déjà vu bien trop, je suis prêt à abandonner toute tentative fortuite d'apprentissage de nouveaux. Les visages dissipant la fumée dansent autour de mon visage, faisant voyager mes yeux vers un bal macabre prenant une teinte étrange, une sorte de blanc ténébreux, illustrant le paradoxe qu'évoque mes souvenirs ressurgissant alors que je contemplait ma fragile solitude. Ils disparaissent, emportés par une dernière valse avec la fumée s'évanouissant.

Apeuré par la minuscule lumière fumante, il perturbe lui aussi ma solitude. Ses petits yeux fixent avec effroi le tabac en pleine combustion, et il ne cesse de faire vibrer sa langue sectionnée aux extrémités agressives. Ses écailles glissent inlassablement, comme si le sol n'était qu'un tapis de soie. Je ne quitte pas le reptile des yeux. J'approche mes doigts de mes lèvres, et lorsque j'aspire sur ma cigarette le serpents tombe de peur et se dérobe sous mes pieds, dans une fluidité qui m'impressionne autant que son intrigante réaction m'amuse.

Un puissant rire s'élève à quelques mètres de moi, brisant une bonne fois pour toute le silence que l'ours s'efforçait de préserver en prenant garde à ne pas marcher trop brillamment.

« Le serpent vous amuse aussi ? Lançais-je en direction du rire.

– Ce qui te fait rire me rend tout autant hilare.

– Qui êtes-vous ?

– Cela n'a pas d'importance, me répond-t-il dans un nouvel éclat de rire.

– Où êtes-vous ? »

Alors même que je finissait de poser cette question, il m'apparut, soudainement éclairé. Il était effectivement hilare, une pipe de bois piégé dans ses dents et son perturbant sourire. Afin d'éviter de me plonger dans ses yeux hypnotisants, je dirige mon regard vers cette surprenante source de lumière. Fendue d'un immense rictus dévoilant des dents pointues, ses yeux étaient ceux du nain de jardin, d'éternelles spirales se mouvant au rythme du rire, captant mon regard malgré ma relative lutte. La folie habite ce regard. Dans un dernier effort, je ferme les yeux et me bouche les oreilles. Lorsque je les ouvre, l'obscurité à reprit sa place et je ne vois plus rien, comme si je n'avais pas ouvert mes paupières.

Épuisé, je tombe sur le sol. Tirant une dernière fois sur ma cigarette, je m'en brûle les doigts. Je jette le mégot encore allumé au loin, qui éclaire un chat aussi noir que la nuit et le fait bondir d'épouvante. Ses yeux blancs disparaissent dans la nuit, plus vite que la lueur incandescente.

L'ours a certainement disparu en même temps que le grand sourire macabre qui éclairait cet endroit étrange. Je ne vois plus aucun de ses habitants, et je doute que cela soit une mauvaise chose. Même si l'on est un robuste équilibré en pénétrant dans cet endroit, c'est sans aucun doute qu'il nous transforme en l'une de ces étranges créatures habitées par l'aliénation malsaine que provoque ce lieu. J'aimerai y résister. Je ne veux pas être condamné à jouer la douceur comme l'ours en peluche pour cacher ma démence.

Mes paupières se font soudainement lourdes. Je m'allonge au sol. J'aimerai bien sentir la couverture de maman. Je serre mon doudou contre moi, et me surprends à imaginer que dans mon rêve, le soleil projettera mon ombre au sol et éclairera mon chemin.

Je me surprends à imaginer qu'à mon réveil, je retrouverais mon ombre et mon chemin.

Exténué, je finis par m'endormir, ayant tout juste le temps de sentir un doux duvet se poser sur moi. Ma solitude était finalement une incroyable illusion.

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