La lutte vers le sommet.
Jim Curtis
Ma grande, ma très chère,
Je suis arrivé en France, enfin me diriez-vous, il y a deux jours. Je l'avoue, je n'avais pas prévu que les choses se passent comme cela.
Je me console en repensant à ces mots que vous m'aviez partagés un jour ; les plus belles choses qui nous arrivent, sont celles que nous ne planifions pas. Je me souviens que nous étions dans l'autobus vers Vacoas, la petite écoutait de la musique en jouant à quelque jeu. D'ailleurs, comment se porte-t-elle ? Bien, j'espère...
Paris, à vrai dire, me déçoit. Je ne vois en elle que Solitude et les gens, eux-mêmes sont froids, tout à fait comme moi. Je - l'homme indifférent et l'artiste en manque de reconnaissance - persiste dans les voies de son art et peine à trouver son chemin vers le sommet.
L'homme d'affaires lui, comme le faisait son père, rigole de ces enfantillages. Son avenir à lui est assuré, il ne s'en fait plus. Comme il serait tentant de tout abandonner...
Ma secrétaire, lorsqu'elle m'avait appris la nouvelle, m'avez dit ; alors, vous êtes content M'sieur ? Content ? Ce voyage est le pire qui soit. Je rêvais d'un Paris festif, où je me serais rendu en tant qu'écrivain et non dans le cadre d'un voyage d'affaires. J'aurais rencontré de grands hommes, de talentueux artistes qui parviennent à atteindre le sommet de leur art. Je vous aurais emmené avec moi certainement et nous nous serions installés à Saint-Germain-des-Près. La fortune, hélas, m'a voulu l'héritier des commerces de mon père.
Il ne va pas sans dire que tout de vous me manque et qu'à l'instant même où je vous écris, je pense à May. Cet être qui sera fait de notre chair et notre sang. Je vous en parle, car hier je regardais jouer une petite fée. D'abord, elle m'a fait penser à Romane, puis j'ai naturellement songé à l'enfant de nos rêves.
Ne trouvez-vous pas cela étrange, que tout arrive ? Comprenez-moi, je veux dire par-là que nous croyons être en mesure de tout maîtriser, mais au final que maîtrisons-nous ? Rien, j'en suis convaincu. D'abord, j'apprends que je vais mourir. Mon père meurt avant, en me laissant tout. Et, me voilà obligé de le pleurer, quitter l'île, ma mère seule et vous quitter vous surtout...
Demain, je rencontre une éditrice. Cette dernière a, semble-t-il, apprécié Le temps qui passe, mon premier roman. Je ne serais pas étonné qu'elle l'ait apprécié dans la mesure, où elle sait que de nombreuses modifications y seront apportées. Sous ces conditions, je ne publierai pas.
Comme vous le savez, je vous aime. Prenez soin de vous, embrassez Romane pour moi. Je vous écrirai autant qu'il me sera possible de le faire.
Avec tout mon amour,
Votre Jim Curtis.