La maison du rubis
Vincent Vigneron
le voleur pénètre dans la villa à la nuit tombée
surpris en retenant son souffle d'entendre le cri
venu des trois paires de branches pas encore foudroyées
une broche pique des plumes mauves sur son cœur le hibou
dans le foyer des voisins la lumière bleue de la télévision veille jusqu'au bout
dans cette lumière d'électrons malade il avance
les rangers aux pieds le compriment trop violemment
pour lui le vendeur avait choisi une pointure de moins
comme pour les meilleurs chaussons d'escalade
il maudit ce vendeur et sent un opaque vendredi de campagne se refermer sur lui
voleur aux narines dilatées
aux sens aux aguets
l'herbe du jardin recueille encore la manne reçue en canicule
le tuyau d'arrosage débande sur la pelouse
sous le balcon roxane où la romance fomentait joliment
des semaines auparavant en pleines vacances scolaires
il est debout avec l'adrénaline tamponnée
il monte le long de la canalisation et accède
une fenêtre cède
une fenêtre derrière laquelle c'est le graal du petit boudoir
du couloir paresseux qui raconte sous son tableau de maître
il n'y a pas de coffre dans mon mur
pas de coffre avec une pierre rouge en dedans
mais le voleur n'est pas dupe
il se déleste de ses rangers
pose le pied en tant que fillette gymnaste dans un rôle de composition
il ne faudrait pas faire grincer le parquet rossignol que le propriétaire a fait installer
comme le seigneur japonais autrefois
bénies soient les quinze générations d'animaux fouisseurs qui ont repéré ses ossements
il marche vers la salle au trésor
la pierre doit se trouver sur un coussin grenat à pompons
on la dirait macaron sur une langue chargée
sûrement et lentement l'air se charge de l'aventure inédite
des respirations à l'étage et de la sienne ce soir
moite sur le miroir narcisse
un grand frisson le penche en deux sur ce boîtier cd qui le reflète
visage de matriochka cherchant la pièce de bœuf parfaite au marché
couperosé soudain par la nostalgie
droite poing redressé fouille le sable du temps
macérée dans le jus la fièvre ancestrale des marais
lui petit enfant pas encore petit voleur
il voyait depuis son lit des paquets de nuages malaria
pouvant d'un moment à l'autre le faire passer dans le monde des sans rêve
son père priait à son chevet
écoutait un disque de jazz très doux
presque une berceuse
magic child quelque chose
une parabole sur un enfant qui guérit
porté par la rondeur du sax
ce disque qui est ce soir sur la table tasse
et qui lui rend son visage