la maladie et l amour t emmènent aux frontières de ton être

liso

La maladie

Sébastien me guide jusqu à l intérieur d une maison. Dans le salon, une petite dizaine de personnes prennent un repas. Des frites, du poulet, le carrelage aux murs. Les femmes sont grasses. Les rires éclatent comme des baudruches aux oreilles des enfants.

Nous passons à travers les bouches humides, dans le couloir, par un chambranle en bois, sous une moustiquaire bleue, s étend un homme. Sur le côté et maigre, il expire difficilement l air de ses poumons. L air semble rèche à l entendre, l air semble dur. Il lutte. Il se tourne vers nous, ses orbites sont creusées. C est surement la maladie qui a creusé ses yeux. Mais à le voir comme ça, on a l impression que ce sont ses yeux qui se sont agrandis et qui ont pu voir plus, plus loin, autour. Et qu avec son regard ainsi ouvert, il avait vu la maladie et que celle ci était entrée. On ne peut dé-voir ce que l on a vu. Il faudrait maintenant, qu il referme ses yeux, qu il expulse les périphéries, qu il se recentre sur le cercle minuscule de la norme et du commun. Qu il réduise l espace en lui-même et que la maladie, se sentant finalement à l étroit, s en aille. Mais on ne peut pas dé-voir ce que l on a vu. La maladie est en lui, prenant ses aises, se déployant et s accrochant, tendant un hamac intérieur pour héberger ses amants. Elle danse, la maladie en lui, elle jouit.

La maladie, comme l amour, est quelque chose d étrange. Ce ne sont pas des choses qui nous tombent dessus. Ce sont des choses que l on génère, puis qui prennent de l ampleur, deviennent très fortes et nous dépassent. Elles poussent les parois de notre quotidien, annulent ce qu on avait prévu, replanifient notre vie. Elles prennent le contrôle. La maladie et la passion t emmènent aux frontières de ton être. Lécher une limite d où tu peux tomber. En te faisant aller aux bords de toi même, et apercevoir l autre côté, elles te donnent accès à des choses que les gens qui ont toujours été en bonne santé, en aimant raisonnablement, ne connaissent pas.     Bref. L homme était là, devant moi et il semblait vouloir cracher son âme. Sébastien me dit simplement, “Il faut qu il guérisse”. Et c était vrai. Dans cette pièce, la seule chose que l on pouvait souhaiter, c était que cet homme guérisse. Que l air autour de lui cesse d être gris et sec.

La maladie commençait à me toucher, je le sentais, comme une haleine malodorante qui infiltre la peau. Sébastien se lève, on part. On sort de cette maison. On marche sur le petit chemin de terre que je sais rouge. Il fait nuit, je ne le vois pas, mais je sais qu il est rouge. C est agréable de savoir la couleur de ce que l on touche. C était une des choses que je préférais depuis que j étais arrivé. Le sol de terre rouge. Comme un ruban de lave tranquille qui te porte d un endroit à un autre. 

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