La Malédiction des étoiles de Papier Crépon

mamzelle-plume

Le jeune homme était tiraillé. Esseulé.

Cela faisait déjà douze fois qu'il relisait cette lettre de long en large. La première fois, il se souvint que la stupeur de sa lecture s'était achevée par un torrent de larmes salées.

Les deux globes d'or, les îles de lumière s'étaient brouillées. Souillées par une culpabilité florissante. Croissante. Les yeux ambrés se creusaient d'un voile sombre, laissant dans leur sillon une toute nouvelle détresse.

Vestige de vieille promesse.

Allongé maladroitement au creux des brins d'herbe. La clarté de l'astre lunaire comme seul témoin de sa déchéance. Ses cheveux blonds de paille épousaient en éventail, le linceul menthe à l'eau dans lequel il se repliait.

Il frémit.

La pluie ténébreuse ravageant les petites étoiles de vie, qu'il possédait encore. Les perles opalines s'écrasaient sur ses lèvres. Sournoisement, le liquide amer se glissait parfois à la commissure de sa bouche, y semant toute la tristesse qu'elles recélaient.

Comme un kaléidoscope incessant, les images jaillissaient dans son esprit affaiblit. Les souvenirs de cette nuit maudite se déversaient sous ses paupières closes, seulement éclairés par de petits faisceaux de lumière blanchit. Serrant l'ébauche manuscrite entre ses doigts frissonnants, le papier crépons voyait son encre s'écouler. Traçant sur sa route de petits canaux parsemés de paillètes.

Pour la treizième fois, dans cette soirée glaciale. Nathaniel se plongeait dans les méandres des maux contenues par la fameuse lettre. Treize fois, comme les treize années qui s'étaient écoulées depuis cela.

Pourtant, ses remords demeuraient bien là.

A nouveau, il relisait la seule trace qui survivait d'elle.


« On ne devient pas amoureux en dénichant la personne parfaite, mais en apprenant à connaître parfaitement quelqu'un d'imparfait.

 

C'est ce que je pensais. A croire que je me trompais.

Tu me disais que la beauté était ailleurs, que la perfection n'existait pas. Et dans ma naïveté, j'ai avalé le moindre de tes mots. Car dans ma folie, j'ai cru avoir une chance, infime petite particule existante de promesse lointaine, mais c'était faux.

Tout sonnait incroyablement faux.

Tu ne me regardais pas. Pour toi, je n'existais pas. Pourtant, le ciel m'en était témoin, tu pouvais tout me demander. J'aurais vendu père et mère pour tes beaux yeux. Si tu m'avais laissé passer une main hasardeuse dans tes cheveux.

J'aurais balayé tous mes projets, pour un seul de tes baisers. Tant je souhaitais parcourir les cieux à tes cotés.

Mon problème aurait été tout autre, puisque je ne pouvais rien te refuser. En ta présence, je ne saurais dire pourquoi le non ne sortait pas, j'avais la névrose des soldats.

Pourtant, voguant au vent, nous aurions été invincible, des anges éternels. Tel un séraphin, au souffle du zéphyr,  tu déployais tes immenses ailes voyageant vers des contrés lointaines.

Mais tu avais décidé de ne pas me prêter tes ailes. Il ne me restait plus qu'à m'effacer… Ou bien à m'écraser violemment sur le sol goudronné, je n'en avais pas encore décidé.

-Tu sais chéri, c'est décision-ci réclame mûre réflexion. Comme le fruit défendu dans son jardin d'Eden, questionne le temps sur sa maturation. –

Mais cela encore, tu le savais. Le moindre de tes gestes était calculés, contrôlés, tu ne t'octroyais nulle droit à l'erreur. C'est très certainement pour ta célèbre rigueur, qu'en mon ventre des petits papillons avaient commencé à s'agiter.

Tout en toi m'émerveillait. Selon tes vœux, mes humeurs oscillaient.

Comme si mon être regorgeait de poudre, tu y avais jeté des allumettes. Alors je devenais peu à peu une vilaine petite marionnette.

Une bien bête marionnette.

La poudre s'était enflammée. Allumant un petit feu, qui face à toi ne cessait de croitre. Un feu diablement plaisant, que je croyais auparavant ne jamais pouvoir ressentir.

-Les mots me manquent pour décrire cet étrange phénomène… -. Mais je peux dire que tu étais mon opium, je m'abreuvais de la moindre de tes paroles. Tous tes gestes résonnaient dans ma petite tête comme milles promesses de nos futures prouesses.


Je te voulais.

Pour moi. Toi et ton haleine au menthol.

Tourbillonnante. Euphorique. Une douce endorphine s'insinuait dans mes veines, tel un chant suprême.

Je t'aime. Trois mots. Deux syllabes. Sept lettres.

Et autant de langages différents sur terre, pour te le déclamer. Mais quoi de mieux pour te déclarer mon amour, que le bon vieux dialecte des écrivains français ?

-Leur verve que tu chérissais tant…-

Je t'aurais avoué mon amour, si j'avais été certaine de le recevoir en retour. Si j'avais été sure de pouvoir chevaucher à tes cotés au céleste séjour.

Mais la nuit ténébreuse, menaçait de t'attraper à travers ses filets. Pour une implacable destinée.

Elle marchait et sur l'abime immense, tous ces mondes flottants gravitaient en silence.

Et toi-même, avec eux serais emporté dans leur cours, vers un port inconnu auprès duquel, tu avances toujours.

-Tu excuseras, j'en suis certaine, le manque de sens de cette modeste lettre, mais mon dangereux cocktail commence à faire effet… Mais passons, j'ai temps de chose à te dire et si peu de temps pour te l'écrire…-

Je disais donc, qu'en mon être, tu avais semé les germes d'une passion dévorante. Oh oui, tu faisais jaillir des tréfonds de mon inconscient, des gerbes d'étincelles nouvelles.

Tu ne le remarquais pas, mais ses flammes sous jacentes lorsque tu me négligeais s'attisé. Sournoisement, le bucher me tourmentait à son tour, laissant un vide brutal saisir mes entrailles.

Incendiant tout sur son passage.

Par ta beauté surnaturelle, tu me torturais.

Tu détenais la prévalence sur ma raison. Laissant libre cour à la folie de mes pernicieuses passions.

Tout en toi m'enivrait. En passant par tes cheveux couleur miel, d'où le soleil semblait sans cesse rayonner. J'avais tant de fois voulu m'y perdre sans jamais oser les effleurer.

Et par ton regard étincelant de mille feux, dans lequel je plongeais tête baissée. Toutes mes journées en étaient devenues dépendantes, je cherchais constamment à croiser ces deux pierres mordorées.

Ces globes dorées qui mettaient à nue toutes tes émotions. J'aurais tout fait pour les garder constamment enflammés et ne jamais les voir se voiler…

Et il y avait eu tes mains, grande et forte mais à la fois douce et agile. Combien de fois, je me suis senti jalouse de les voir caresser avec une infinie délicatesse l'encolure de tes romans policiers préférés ? Et combien de fois dans les méandres de mes fantasmes les plus inavouable, je me suis imaginée être le livre que tu toucherais ?

-Mais je me perds dans des psittacismes incohérents. Je m'éternise très certainement dans mes propos, je ne voudrais surtout pas te faire perdre ton temps, si précieux à tes yeux.

Promis, chéri. Je vais faire vite. De toute manière ma vue se brouille. J'insiste, je ne voudrais pas t'importuner avec de piteux quolibets…-

Nathaniel.

Même ton prénom résonnait tel une douce symphonie à mon oreille. Nathaniel, un nom sucré comme le miel. Comment ne pas tomber amoureuse d'un ange pareil ?

Je ne parviendrais jamais à te haïr. Pourtant dieu sait, que j'ai essayé. Et ceux de toute mes forces, tant ma souffrance m'enserrait. Je suffoquais dans ma prison dorée, ayant pour seul bourreau l'amant insaisissable de mes rêves éveillés.

Mon amour me dévorait, tandis que tu demeurais muet à mes cris esseulés.

J'ai été sotte, terriblement stupide de croire une relation possible. Je t'avais peut-être surestimé, sur ton piédestal argenté ton image commençait lentement à vaciller.

Pourtant, tu avais toujours été d'une perspicacité outrageante, néanmoins mon amour te restait inaudible.

Et petit à petit, tu brisais le moindre débris d'espoir qu'il me restait.

Mais le pire de tes méfaits n'était d'autre que ton hermétique indifférence. Oh oui, je te vois plisser les yeux d'incompréhension. Tu penses le contraire, cela je le sais mais permet moi de te quémander le silence.

En effet, j'aurais tout donné pour ne pas te savoir dénuer à mon égard, de toute fascination.

Mais je devais en faire la triste conclusion.

Chaque jour de ma vie, ton regard fraternel me ramenait dangereusement à la réalité. Je n'étais pour toi qu'une sœur, une sœur de cœur, ta meilleure amie, ta confidente.

Alors que j'aurais du m'en satisfaire comme toute bonne personne, je voulais plus, toujours plus. Je souhaitais être ton amante.

Pas ta confidente.

J'étais –et je suis- très certainement égoïste, mais je ne pouvais lutter contre la douleur qui me malmenait les entrailles. A chacune de tes paroles, mon pauvre cœur palpitait, tu me possédais toute entière.

Sans le savoir, je t'appartenais, et ceux par de là toute frontière. Et c'est bien en ceci, que ton indifférence me retournait, c'était –évidemment- le revers de la médaille.

J'aurais tant aimé recevoir de ta part, d'autres expressions que celle d'une profonde compassion. J'aurais préféré que tu me haïsses, cela aurait été probablement moins douloureux.

Et qui sait, il y aurait eu au moins une quelconque effusion. Notre réconciliation se serait peut-être produite dans un ballet de baisers fougueux…

-Mais passons… Je m'emporte, le sol semble se dérober sous mes pieds. Je sombre très certainement dans les méandres d'une folie florissante-

Et puis, je me souviens de ses jours maudits, où tu n'avais de yeux que pour elle. Elle t'agaçait, certes. Mais elle hantait tes pensées, tu ne jurais plus que par elle.

Lentement, doucement tu t'éloignais de mes bras.

Tu ne comprenais pas, les maux qui t'assaillaient.

Mais moi… Moi, je savais.

Je reconnaissais sans mal le tourment qui t'affaiblissait, en bonne confidente, tu me demandais des conseils.

Et comme une percée de corbeau, venant noircir ce funeste tableau, chacun de tes mots m'assenaient des coups violents aux flancs.

Traçant dans le ciel une spirale invisible, dans des mouvements nonchalants et languides, leurs becs acérés venaient me picorer les entrailles jusqu'à la moelle.

Les ailes largement déployées, ils étaient d'insatiables prédateurs qui me punissaient –certainement- pour mon indigne comportement.

Lentement, ils dépiautaient ma chair, cherchant surement à me crever le cœur.

Et à me faire regretter le moindre de mes sentiments. Alors leur macabre dessein accompli, il ne me resterait plus que mes yeux pour pleurer.

-J'espère ne pas trop te peiner avec mes phrases alambiquées, ce n'est pas mon but premier… Ne t'en fais pas, trésor. C'est bientôt terminé. –

 

En effet,

Dans ces moments, j'ai tant souhaité te détester. J'ai tant prié le ciel de réussir à te haïr. Je voulais te maudire.

Oui, j'aurais tant souhaité parvenir à te haïr, pour m'épargner de futile souffrance. Mais je n'en possédais malheureusement pas la capacité… 

Il en résultait que tu conservais sur moi toute ton ascendance.

J'aurais voulu frapper de mes poings ton torse, vider toute cette accumulation de frustration en mon être pour cesser ce jeu du paraître. Mais il te suffisait, d'un geste sur mon épaule et d'un tes regards inquiets pour que toute la colère qui m'enserrait, déserte les lieux pour d'autre horizon.

Alors, je devais douloureusement me faire à l'idée que tu tombais amoureux d'une autre demoiselle. Et ceux, quitte à me briser les ailes.

Je ne pouvais pas rivaliser, pourtant dieu sait que je la jalousais, elle et sa beauté renversante…

Aliénée ? Je le devenais.

Et parce qu'en elle, tu avais trouvé une alliée. Tu l'aimais, et j'en souffrais. Les regards que tu lui adressais, si mielleux, me répugnaient. 

Pourquoi ? Pourquoi elle ? Pourquoi, je ne pouvais point t'avoir que pour moi ? Je bouillonnais un peu plus chaque jour, face à ce manque de retour.

Ton air transit d'amour était comme un millier de pieu que l'on m'enfonçait en plein cœur.

Lorsque je vous croisais tout deux, main dans la main, j'avais envie de vomir. J'aurais voulu mourir.

Tel un misérable bigorneau, je me renfermais dans ma coquille, cherchant à fuir cet épineux spectacle.

Auparavant, je n'arrivais à appréhender ce que les gens entendaient dans le faite d'aimer quelqu'un, à un point tellement culminant, où le rejet pousserait à commettre des actes irréparables. Le sens de cette phrase me demeurait incompréhensible.

Mais désormais, je discernais la vérité sur cette expression coutumière de nombreux désirs. En effet, j'étais capable d'entrevoir son sens profond et je pouvais dorénavant te le déclamer. Et ceux sans mentir.

Je t'aimais à en crever.

Et mes mots sont plus que justifiés.

Mon chagrin m'emportait dans une prodigieuse descente en enfer. Mon cœur ne battait que pour toi. Le matin à l'aube du jour, je me levais et mes pensées s'orientaient vers toi. Et le soir en me couchant, tu les occupais toujours.

Nathaniel, j'aurais tant souhaité être celle, auprès de laquelle chaque jour tu te serais réveillé, celle qui partagerait tes nuits. J'aurais aimé pouvoir être celle qui pleurerait avec toi, celle qui se disputerait avec toi, celle qui penserait tes plaies, celle qui jouirait avec toi, celle qui vieillirait auprès de toi… Puis, celle qui décèderait à tes côtés.

Tout simplement, j'aurais voulu être la femme qui partagerait ta vie… Et ceux qu'importe le prix.

Mais c'était impossible, je n'étais certainement pas cette femme là. Pourtant, pourtant à mes yeux, tu étais l'homme de ma vie, et ceux à jamais. Je t'aimais à en mourir, et chaque jour loin de toi me faisait défaillir.

Il fallait que je prenne une décision, je ne pouvais plus continuer comme cela. Mon amour à sens unique, durant un temps suffisait à mon épanouissement. Mais… Mais je ne pouvais m'en contenter sur le long terme, je n'arrivais plus à gérer cette passion devenue trop platonique.

Surgissant des méandres de mon esprit, l'ensemble calomnieux de mes ressentiments.

J'en voulais plus. Et ce vœu, égoïste amenuisait le peu de force qu'il me restait.

Je ne cherche pas ta pitié, ou même celle du monde entier. Non, pour une fois dans mon existence, je veux dévoiler la véritable moi.

Je n'ai jamais eu ta force. Et je ne l'aurais certainement jamais. Jouer un jeu m'épuise, ce masque permanent que tu portais dignement m'afflige.

Car, je n'ai jamais su te lire. Nathaniel, un garçon gentil. Un garçon toujours poli mais une noirceur ancrée que tu renies.

J'aurais souhaité être celle qu'y réussirait l'exploit de briser les liens qui te retiennent. Mais je sais désormais, que je n'y parviendrais jamais.

Car tu ne veux pas être sauvé.

Cette mélancolie qui t'englobe, résonne pour toi comme une symphonie noble.

J'ai longtemps tenté de réfléchir à ces interrogations. Désormais, je connais la vérité sur tes funestes allégations.

Je t'ai tant adulé, que ma chute n'en fut que plus fracassante. Pour moi, tu étais le céleste séraphin tout droit sortit des cieux étincelants, d'un paradis saint.

Mais derrière le voile étoilé se terrait la foudroyante vérité. Je ne pouvais plus me perdre à chanter tes louanges, tu étais mon archange. 

La vérité si dure à digérer était que cette façade lisse que tu t'imposais, éliminé les dernières miettes d'espoir qu'il me restait.

Nathaniel. Si tu savais, tant de fois j'ai supplié le ciel de ne jamais t'avoir rencontré. Mais tu es là. Tu existes.

Et c'est précisément, ce qui me tuera.

Je ne peux pas vivre dans un monde où je devrais me contenter de t'observer vivre par de là ma fenêtre.

Non, je ne pouvais plus regarder ce spectacle… Cette danse infernale, cette affreuse ritournelle où tu n'accordais de danse qu'à d'autres demoiselles.

Nathaniel. Tu ne souhaitais pas être sauvé.

 

Mais moi, oui.

J'aurais aimé que tu me sauves. Toi et personne d'autre.

Mais c'est trop tard. Tu avais fait tes choix et je devais faire les miens.

 

Ne t'en fais pas, je ne t'en veux pas. Et même si je le voulais, je n'y parviendrais pas.

J'espère que cette lecture ne t'a pas trop affligé, les mots tourbillonnent dans ma petite caboche serrée. Je ne sais si ce que je t'écris restera du début à la fin cohérent, je ne souhaitais pourtant pas t'offrir un spectacle éprouvant. »

 

Un frisson lui parcourait l'échine.

Tapit dans l'ombre de la nuit profonde, Nathaniel arborait un rictus aussi amer, que cette noirceur était éphémère.

La lettre de papier crépon se voyait entachée par de petites perles cristallisées. Laissant sur leur passage, l'encre noire former par endroit comme de petites vasques parsemées de paillètes. Les larmes du jeune homme s'étaient recueillies sur les mots aiguisés de son ancienne dulcinée.

Malgré les années qui s'étaient écoulées, les réminiscences de cette funeste soirée le ramenaient à la réalité : il se sentait bête, terriblement bête.

Désormais, la pénombre l'avait tout à fait engloutit. Tandis qu'entre ses mains bleuies par la froideur hivernale, se froissait l'agonie, d'une étoile en perdition.

La suite de ce tissus crêpé, il la connaissait par cœur. Son esprit avait mémorisé le moindre de ces syllabes. Il savait retranscrire mots pour mots, le moindre des maux manuscrits par sa vieille amie.

Nathaniel l'avait tant de fois lu et relu, au cours de ses dernières années que ces phrases le hantaient. Les fantômes de son passé ne s'étaient jamais effacés.

Souvenirs vivaces. Pour des cauchemars écarlates.

Le blondinet au cours de sa lecture s'était levé, les jointures de ses doigts en étaient blanchies, tant il avait serré le papier entre ses mains. Sa rage et sa peine en était décuplé, il aurait souhaité abattre son poing sur un mur, cogner si fort que ses phalanges en auraient rougies.

Mais ses poings s'étaient déjà trop de fois vengés sur des meubles, sa vie ne pouvait pas ressembler en permanence à un champs de bataille.

Ses prunelles ambrées s'orientaient vers ses mains, avec un léger effarement, il constatait l'épanouissement d'un étrange dégradé aux couleurs spectrales. Les bouts de ses ongles violacés descendaient en une vrille bleutée, pour rejoindre des jointures diaphanes qui contrastaient très nettement avec ses phalanges rougies.

Ses mains étaient douloureuses et abimées, elles témoignaient de l'ampleur de sa détresse, de son passé.

Tandis qu'au plus haut dans le ciel d'encre, la lune argentée, le couvait de son faisceau de lumière blanchi.

La suite, le blond ne la connaissait que trop bien. Aussi, il se replongeait avec mélancolie dans ce récit. Un étrange sourire s'esquissant sur ses lèvres.

Elle avait toujours été douée pour la prose, bien que par pure modestie, la jeune femme se refusait à l'admettre, pensait-il.

 

« Nathaniel.

Les mots qui suivent sont particuliers, je les ai tant de fois pensées, tant de fois écrit, que je n'ai nul besoin de réfléchir. Ma plume s'en souvient, autant que les murs épais cloisonnant ma mémoire.

Je tiens toutefois à te préciser, que je ne suis pas de celle qui affectionne les histoires tragiques. Mon histoire n'est pas une tragédie.

Au contraire, j'ai appris. J'ai pris conscience de la véritable beauté de la vie.

Alors remballe tes violons et tes larmes amères. Je ne t'en voudrais jamais, je demeure ta fidèle guerrière.

Ma vie n'est pas finie. Je m'en vais, tout simplement, en commencer une autre, ailleurs.

Ce soir, je suivrais cette étrange lueur, perçant de son éclat ma fenêtre.  

Alors chéri, je t'en prie –tu permets que je te nomme ainsi pour la dernière fois ? Je suis certaine que oui- ne gâche pas ta vie à ruminer le passé. Je ne fais pas cela pour te nuire.

Au contraire, je veux te faire grandir. J'aurais aimé avoir la force de t'accompagner dans ce périlleux voyage… Mais je ne le peux pas.

Je ne te dis pas adieu, l'on se reverra. J'en suis certaine. Mais pas aujourd'hui, ni demain. D'abord vie, aime, rie, jouie de cette destinée que tu mérites, plus que quiconque.

Je te demande qu'une unique chose, pardonne moi. Pardonne ma faiblesse. Tu sais bien, jamais je ne souhaiterais te faire du mal. Alors pardonne mon geste, ni vois aucune rancœur. C'est juste le cœur d'une fleur qui se meurt.

 

Ta Daisy »

 

Il ne lui reste plus que ses yeux pour pleurer. Deux trous béant, deux cavités asséchés, deux puits sans fonds qui se leurre, spectateur d'un tourment incessant.

La haine rageuse a remplacé la culpabilité.

Du Chaos nait une étoile. Plaisir fugace, lumière vivace.

Voici la belle Daisy, l'aube rougeoyante de ce soleil couchant lui conférant milles lunes écarlates.

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