La malle aux secrets

Francisco Varga

Les secrets de famille, les greniers perdus, les moments d'inventaires...

J'ouvrais cette malle tel un explorateur qui après avoir tant espéré se trouve sur le point de révéler un secret oublié.J'étais venu faire l'inventaire des biens de famille. À présent j'étais l'ultime survivant de ma branche maternelle. Je n'escomptais pas  dans ce grenier découvrir un trésor dissimulé qui aurait échappé à l'avidité de mes prédécesseurs. Les membres de ma famille m'étaient  inconnus. J'en savais suffisamment sur leur compte pour ne pas attendre mieux que de la poussière, une sale odeur de moisi et de pisse de chat.Je suis l'héritier d'une lignée millénaire de simples ouvriers, artisans ou tâcherons sans histoire. Presque aucun n'avait  appris à lire, écrire ou penser autrement qu'en fonction de ce qu'enseignaient l'église et la morale dominante. Les cataclysmes de l'histoire, l'invasion des Anglais ainsi que les grands conflits qui, plus que partout ailleurs se sont toujours acharnés à martyriser cette terre de Flandre et du Boulonnais avaient dictées les rares aventures familiales.La faiblesse des petites gens est parfois tant désespérée qu'elle ne laisse souvent prise qu'au mépris.Cet inventaire m'ennuyait. Recenser les biens misérables de mes ancêtres et aïeux disparus dans le silence de leurs secrets m'était aussi fastidieux que dérangeant.La plupart des objets m'étaient familiers bien qu'ayant déserté les champs accessibles de ma mémoire consciente.Cette malle était celle de ma mère qui avait conservé sans esprit de méthode les souvenirs de mon enfance. Je relisais des poèmes tracés à l'encre verte et resurgissait en moi l'odeur de la colle blanche et des pots de gouache qui coloriaient nos mains et marquaient de leur parfum les séances d'activité d'éveil que parcimonieusement nous offrait notre maître d'école. Je me rappelle de ces après-midi de classe que je dégustais avec gourmandise comme une douceur sucrée. Je revivais l'émotion du jeune écrivain que j'étais, qui n'envisageait les mots que par leur sonorité et leurs associations improbables.Je ne pensais pas que quiconque n'ait jamais posé les yeux sur ces chants d'enfants, encore moins celle qui si souvent m'admonestait pour mon manque de rigueur et ma pauvre maîtrise de la grammaire française.Elle avait tout conservé, sans avoir pu toutefois s'empêcher de parsemer ces feuilles à grands carreaux de remarques, de corrections et autres soulignements didactiques.J'exhumais les lettres d'amour que j'avais écrites dans le silence de ma chambre d'adolescent, puis de jeune étudiant. Aucune des destinataires de ces courriers n'a jamais ouvert une enveloppe qui de ma part lui était  adressée. J'étais trop timide et peu sûr de moi pour entreprendre la moindre esquisse d'expression de mon désir envers ces  filles  aussi inaccessibles à mes yeux que la résolution des équations différentielles. J'aurais voulu pouvoir encore être autant inspiré que je l'étais alors pour de nouveau séduire toutes celles qui ont fini par fuir mon silence.Je poursuivais l'inventaire des traces de ma jeunesse naïve et me replongeais dans un univers d'émotions et de sensations que je n'imaginais pas  ressentir avec une telle force après tant d'années.J'étais bouleversé de découvrir que ma mère, cette femme au jugement ferme et définitif s'était attachée à conserver et relire ces pages que je pensais disparues, mais qui pour elle, étaient le plus précieux des trésors.Aujourd'hui, elle aussi est partie, emportant dans son silence les mots de tendresse et d'encouragement ou tout simplement d'amour qu'elle n'a jamais su prononcer.
C'est comme ça depuis toujours dans les familles du Nord. On s'aime sans se le dire et quand on souffre, on se tait d'autant plus. 

  • La pudeur de l'amour bien illustrée.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

  • Il n'y a pas que dans les familles du Nord qu'on se tait, dans l'Est aussi mais peut-être est-ce aussi une question de générations. Il semblerait que les "jeunes parents soient moins taiseux que leurs aînés. Mais trouvent-ils pour autant les "bonnes paroles" ....
    Joli texte dont les ressentis sont bien dits.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Printemps   2011   n%c2%b0 n%c2%b0 016 n b

    akhesa

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