La moiteur des sentiments

manon

Ce qu'il s'est passé, ce jour-là, c'est que j'ai croisé son regard. Bienveillant, paternel. J'étais la petite gamine dans ce milieu de mec. Mais qui s'était dit, que des années plus tard, j'allais me retrouver là, en face de lui, à pleurer les larmes de mon corps. Repliée dans ses bras, en plein milieu de cette rue passante. Sa bouche contre ma tête, à me murmurrer des mots rassurants, des phrases bateaux pour me calmer. Ses bras autour de moi, ses mains sur mon dos. Rester là, pour toujours, devenir immaterielle, me fondre dans le néant avec lui, juste nos deux âmes enlacées, aimantes et aimées. C'est con, c'est niais au fond. Mais qu'est-ce qu'il y a de plus con et de plus niais qu'une nana amoureuse? Alors voila, je sors ma tête de ses bras, je m'écarte un peu, je fouille dans mon sac. Camel Black. Il me tend un briquet. Bic rose. Je souris mollement, et allume cette foutue clope. Un petit nuage de fumée s'échappe de ma bouche.

"Tu vois, ça me fait plaisir que tu sois là. Enfin je veux dire, je t'aime. Ce soir c'est mon anniversaire. Tu es le seul à y avoir pensé, à t'être déplacé. Je t'aime. T'es le seul à avoir pensé un seul instant à moi. Putain je t'aime. C'est pas normal, c'est pas forcément sain, j'en sais rien, j'men fous de toute façon. Je suis là, toi aussi. Enfin, doit bien y avoir une raison... Tu pourrais être mon père, mais putain, montre moi le contraire. Fais quelque chose, embrasse-moi ou je vais le faire. Embrasse-moi bordel ! Tu vaux mieux que n'importe lequel de ces blaireaux qui me tournent autour. Tu vaux bien mieux que n'importe quel autre."

Mais je n'ai jamais dit ça. J'ai tiré une bouffée, nouveau petit nuage de fumée. Je lui tends son briquet. Il me sourit, passe doucement sa main dans mon dos, comme pour me rappeler qu'il est là. Et je reste ici doucement, tandis que mon corps s'éloigne dans la rue avec lui. Je reste là, entre ses bras, alors que je suis déjà devant un bar à chercher une table pour deux. Deux vieux amis, un père et sa fille qui parlent de leur quotidien, pour se rassurer. Je sens encore la chaleur de ses bras, alors que là-bas, j'essuie mes larmes en plaisantant sur la journée. Je reste là, à ce paroxysme d'affection, alors que j'ai déjà retrouvé le goût amer de la moiteur de mes sentiments...

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