La morsure

alexandra-basset-9

Extrait de Roman

Depuis hier, je comate. Les brèches ouvertes dans ma psyché ne sont pas colmatées. Quelle heure est-il, finalement ? Les volets paresseusement entrouverts et la grisaille dans leurs interstices sont mes seuls indices insignifiants. Et après tout, j'ai la flemme d'essayer de savoir. Ou plutôt, j'ai pas le choix : peu importe l'heure, je suis incapable de bouger du lit. Mon cœur et mes os sont gelés. Je suis une patinoire. Mes dents claquent, comme celles des dragons disparus. Je crains qu'elles ne s'effritent, comme de la craie sur du béton. Je fais souvent ce rêve. Je suis en train de parler, et mes dents se mettent à se déchausser. J'essaie de les remettre à leur place, de les remboîter. Elles craquent, elles se brisent dans ma bouche en de multiples fragments d'ivoire. Force est de constater que c'est un cauchemar. De la plus ignoble des espèces qui soient. Celle qui vous étrangle la nuit tombée. Elle vous saute dessus, par derrière, elle vous empêche de respirer. Vous suffoquez, vous crevez en dormant. Ou plutôt, vous vous regardez mourir, impuissant. Vos efforts acharnés pour reconstituer votre dentition sont vains. Des êtres aimés assistent, eux aussi impuissants, et désolés pour vous, à ce spectacle morbide. Vous êtes désespéré, dévasté. Vous avez honte. Vous décrépissez.


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