La mort aux trousses

Magali Aïta

Le poids du passé lourd à porter...


Assis sur son canapé devant un tas d’enveloppes, il boit son whisky les yeux dans le vague. Il est trois heures du matin, tout juste rentré d’une soirée mondaine, il s’apprête à découvrir les messages de ses fans. Il ne se passe pas un jour sans que son attachée de presse ne lui apporte un sac de lettres de félicitations. La France entière l’encense pour ce prix obtenu contre toute attente. Lui, le fils d’ouvrier, le bon à rien, est devenu en peu de temps l’idole de toute une génération. « La roue tourne », avait dit son ami d’enfance un soir de printemps alors qu’il venait d’être hospitalisé. Une nouvelle tentative de suicide ratée, un appel au secours sans réponses dans ce monde égoïste où le droit à la différence n’est qu’un vœu pieux. Mais la célébrité n’a pas estompé ce vague à l’âme, les boîtes de nuit huppées, les grands restaurants, les nouveaux amis de circonstances, rien ne peut guérir une plaie qui refuse la cicatrisation. Seul l’alcool apaise les douleurs et lui fait oublier l’espace de quelques heures combien le poids du passé est lourd à porter. Alors qu’il sombre dans un semi-coma, les images remontent à la surface. Ce sont toujours les mêmes qui s’enchainent en boucle.

Chaque nuit, il a dix ans, il marche en acrobate sur les toits des immeubles de sa cité HLM.

Chaque nuit, il écoute son meilleur ami l’implorer, « attend moi, j’ai peur ».

Chaque nuit, il lui répond d’un ton moqueur « t’es qu’un trouillard, regarde comme c’est facile ».

Chaque nuit, il entend le hurlement d’horreur, puis le bruit du corps frappant le bitume au pied du hall d’entrée.

Chaque nuit, il revoit les lumières du camion des secouristes, les cris stridents de la mère de son copain répétant sans cesse « mon fils, ce n’est pas possible, rendez-moi mon fils ! ».

Chaque nuit, il se réveille en sursaut, trempé de sueur, le cœur prêt à exploser, la nausée au bord des lèvres.

-       Monsieur, il faut y aller. Vous devez être sur le plateau TV dans une heure.

  • Et the show must go on... Heureux ceux qui n'ont pas, dans leur passé, un poids, un remord, si lourd à porter...

    · Il y a presque 11 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

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