La muse ment sans frémir

absolu

Mes amis n’ont pas entendu mes cris contenus, n’ont pas vu ces larmes rentrées, n’ont pas su la pourriture qui ronge mes poèmes ; ils ont pris mes silences sans me les rendre, mes rares confidences pour argent comptant, m’ont cru lunatique, quand je me dépêtrais d’un monde taciturne. Ils ont pu penser que je les prenais pour des cons, alors que je me consumais, l’urne déjà ouverte pour accueillir les cendres pas encore éteintes. J’ai pas perdu l’envie de continuer, mais je sais plus où aller, je ne me sens bien ici ni ailleurs, en fait je ne me sens plus, je ne sais plus ce qu’il y avait avant ce chagrin, je ne saurais même pas vous dire s’il y avait quelque chose… Je ne sais même pas pourquoi j’écris, au final je ne sais rien faire d’autre, c’est peut-être pour ça que je cherche sans fin à m’approcher au plus près, que je souhaite à tout prix maîtriser la matière, la modeler à mon idée.

On se rend vite compte que ça n’est qu’un prélude, inutile de faire une fugue, une dernière intuition vous laisse entendre que vous n’êtes qu’au début de votre peine.

Comment dire à ceux qui vous aiment qu’ils n’y sont pour rien, dans ce maudit chagrin, aucun mot ne dit les matins sans autre motivation que d’aller gagner son pain, et déjà la guigne vous barre la route, vous prend la main, mange votre casse- croûte, de toute façon ça tombe bien, on a presque plus faim, y a plus d’place à l’intérieur, même pas pour un jambon-beurre.

C’est difficile d’écrire la douleur quand elle vous prend, là, comme ça, à la gorge, vous sentez qu’arrivera un moment où vous ne la retiendrez plus, mais vous retardez l’instant, par peur de ne pouvoir vous arrêter une fois que vous avez commencé à pleurer. Et puis le premier sanglot arrive, mais vous savez, le second n’est jamais loin, ils arrivent deux par deux, histoire de ne laisser aucun canal lacrymal sur le carreau. Ce genre de sanglot, ça vous prend tout entier, ça vous remue jusqu’aux entrailles, ça fait mal quand ça passe, ça vous laisse pantelant, jusqu’à ce que ça vous reprenne, rien qu’en imaginant les questions du lendemain, « alors, ça n’a pas l’air d’aller très fort.. » .

Le pire c’est que je l’ai vu venir, tambour battant, il s’est ramené avec tous ses instruments, un véritable orchestre qui couvre même le bruit de la circulation, qui couvre les éclats de voix qui viennent d’on ne sait où, les insultes qui volent, les chocs lourds d’un corps qui tombe, caché seulement par les volets fermés… et le lendemain votre voisin vous sourit, ne soupçonnant pas que vous êtes au courant de son manque de courtoisie envers sa moitié, qu’il laisse l’autre au tapis, battue par la vie, les yeux qui pleurent de trop de poussières, qui oublient hier et n’espèrent plus demain..

Je me bats contre moi-même, je me débats avec mes dilemmes en attendant qu’on m’aime, comme il se doit, qu’on me prenne la main avant qu’elle ne se crispe pour toujours, bouffée par l’arthrose, sous l’emprise d’une prose parfois malsaine, usée jusqu’à ce qu’elle se rende, jusqu’à ce qu’elle me livre l’accord suprême. Je supplie la Muse de calmer mes tempêtes, qu’elle m’empêche de basculer de ma chaise, il faut qu’elle m’aide à garder pied, quitte à finir la tête en vers, il faut qu’elle me souffle la plus belle des rimes, pour m’empêcher de déprimer, je demande à l’Inspiration de ne pas me lâcher, avant que je ne m’essouffle d’avoir tant couru après. Je suis pas la reine du 100 mètres haies, encore moins du marathon de New-York ; et à ceux qui me présument capable de tout assumer, je leur rétorquerais que je n’ai aucune endurance, tout juste des aptitudes à prendre un peu trop de hauteur, et retomber trop vite…

De quoi aurais-je à me plaindre, dites-moi ? de quoi puis-je me plaindre, dites-le moi donc, vous qui m’avez lue, vous qui savez tout… ??

Eh voilà, je m’étais promis, pas de prise à partie, pas de mise à prix, ma vie n’est quand même pas à vendre aux enchères, faut pas pousser mémé dans ses tranchées, je donne pas cher de ma peau, mais j’ai pas encore tiré mon chapeau. C’est pas la vie qui va m’dire son dernier mot, il est à moi celui-là, je crois… et puis, j’ai un dictionnaire, hein, je sais chercher moi-même, au cas où je l’aurais pas encore appris…celui-là.

Comme tout le monde, ou peut-être un peu plus, j’ai besoin de tourner la page, même si je l’ai écrite, j’ai besoin de refermer ce livre, même si j’en ai trouvé le titre. Ce qui est inscrit s’est avéré, pas de quoi réveiller la bête sacrée qui sommeille, qui n’attend qu’un moment d’inattention de ma part pour me vider de toute substance, me laissant en jachère si longtemps que j’en deviendrais hostile au moindre traitement.

La vie ne m’a pas fait beaucoup de faveur, mais la ferveur avec laquelle elle s’est manifestée m’a presque fait peur tellement c’est beau. Je n’en reviens toujours pas qu’on puisse survivre à de grandes douleurs, oh, attention je ne parle pas de moi, je n’ai perdu ni enfant, (je n’en ai pas encore), ni parents, j’fais plutôt un bon score aux tests de QI, j’ai encore l’occasion de réussir ma vie ; mais je reste admirative de ces personnes qui plient autant sans jamais rompre, qui se redressent sans compromettre leur tristesse, et qui s’dirigent sans presque jamais dériver vers leur horizon.

Je crois que ces êtres ont touché l’Absolu, et qui savent après, que la vie mérite qu’on la perde un jour, que tout ce qu’on n’a pas donné est perdu, tout ce qu’on a aimé est rendu..

Quand on a vu la vie d’aussi près, on ne peut plus lui échapper…

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