La musicienne rousse

Laurent H

Petite histoire de l'opéra de Paris


Lily une jeune fille belle et élancée, marchait d'un pas alerte dans les rues de Versailles. Sa partition sous le bras, elle repensait au  rendez-vous qu'elle allait avoir avec le maître de musique du roi Louis XIV, Jean-Baptiste Lully.

 ******

 Elle était à la cour, parmi les dames de l'entourage de la marquise de Montespan, favorite officielle du roi. Pendant les nombreux bals donnés, elle se prêtait volontiers aux jeux des invitations à danser des jeunes premiers de la cour et parfois même aux moins jeunes. Sa beauté, sa joie de vivre, son rire incomparable et ces yeux mutins avait fait chavirer bien des cœurs.

Lully, l'avait repérée parmi les autres femmes de la cour. Se demandant comment la séduire, il voulut faire jouer son talent musical pour attirer son attention.

Tel un charmeur de serpent, il vint tourner autour d'elle avec une flûte et lui joua des madrigaux de son pays l'Italie.

Lily faisait mine de ne pas l'entendre mais avait l'oreille en alerte. Son don, allumait en elle des ondes de créativité et de musicalité.

Depuis toute petite, son oreille avait été l'objet d'un miracle unique en son genre, elle pouvait reproduire n'importe quelle musique après une simple écoute. De plus, elle pouvait retranscrire n'importe quel son en note de musique, le chant des oiseaux, les clapotis des rivières, le souffle du vent et bien d'autres sons intranscriptibles.

Lully continuait son manège autour d'elle, jusqu'au moment où avec un grand sourire et lui prenant le bras elle l'emmena dans une alcôve.

-   Sachez monsieur que vos arpèges enfantins ne m'impressionnent pas

-          Savez-vous à qui vous parlez chère donzelle ?

Elle eut un fou rire, qui fit grincer des dents le virtuose italien.

-          Vous êtes un maitre de musique, un génie, un homme pétri de dons musicaux mais ce n'est rien à côté de ce que moi je peux faire !

Lully trouvait cette jeune femme étrange, et pas seulement à cause de sa chevelure rousse-orangée. Son aplomb et son assurance le décontenançaient mais l'attiraient également.

Il eut une moue de complaisance

-          Et que savez-vous donc si bien faire petite fanfaronne ?

 Le regard de Lily se perdit dans le lointain de la salle bondée de courtisans et s'attarda sur les musiciens qui jouaient une sarabande.

 -          Je peux … je peux mettre en musique tous les sons de la création, remplir des partitions des sons des animaux de la forêt, des battements d'ailes des papillons. Je peux reproduire la mélodie des feuilles qui bougent sous le vent et le crépitement des bûches dans la cheminée.

Je peux créer une pièce de musique avec les cris d'une femme qui prend plaisir à être prise par un homme ou avec les souffles de l'éclair qui s'abat sur la campagne, je peux …

 Lully la coupa dans son élan

 -          Eh bien me voilà impressionné, mais ne vous crois pas une seconde. Ce don ne se peut pas !

Il vérifia que personne ne pouvait les entendre

 -          Je devrais vous faire arrêter pour insulte au maitre de musique de sa majesté. Mais je vais vous accorder une chance. Portez moi vos partitions demain dans mes appartements privés nous étudierons cela plus tranquillement et si vous m'avez menti j'ai en tête quelques punitions qui sauront vous faire regretter vos mensonges.

Elle fit une révérence maladroite, et s'éloigna de l'alcôve

-          Vos désirs sont des ordres maestro !

 *****

 Lily arriva chez le maître de musique à l'heure dite.

Celui-ci était là, en habit de cérémonie et son sourire narquois en disait long sur ce qu'il pensait de la jeune femme

-          Voyons cela, dit-il avec un air faussement affable.

Elle étala ses partitions sur une immense table et Lully s'y jeta avec gourmandise. Au bout de quelques instants il releva la tête en pleurs…..

-          Mais comment est-ce possible ? vous êtes une magicienne ou une déesse ?

-          Je ne suis rien de tout cela, juste une jeune fille ayant un don trop lourd à porter pour elle.

Lully s'essuya le visage dans un mouchoir tiré de son habit soyeux.

-          Comm… comment pourrais-je vous aider ?

-          Je vous aiderais à composer avec mon don et vous serez le plus grand musicien de notre siècle mais en échange je veux que ma musique résonne dans des endroits dignes de ce nom.

 

Son regard exalté trahissait son émotion, elle voulait que ce don du ciel profite à tous et pour toujours, elle reprit :

 -          Je voudrais que son âme reste gravée à tout jamais dans un endroit fait pour la musique, que des élèves musiciens , entre-aperçoivent mon fantôme et aient des illusions sonores.

Elle lui jeta un regard lumineux

-          Faites donc cela maître de musique et mon art sera le vôtre….

*****

Nous étions en 1672. Le lendemain, Lully acheta la charge accordée en 1669 par Louis XIV à l'abbé Perrin de l'Académie d'Opéra qui prit dès lors et jusqu'à la Révolution le nom d'Académie royale de musique puis du conservatoire de musique et de danse et opéra de Paris.

Depuis ce jour, la musique de Lily résonne dans les murs et inspirent bon nombre de musiciens et de danseurs….

 

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