La neige

eric

        C'est un matin pendant l'hiver. Il fait froid, l'air est humide. L'intérieur du chalet est dans la pénombre. En mettant la main contre la fenêtre pour effacer le reflet, on voit le halo du poêle à l'intérieur. Dehors, ça sent un peu le fioul. On entend craquer le bois de la charpente.

        Il neige comme jamais. Depuis quinze jours, un grand silence feutré s'est posé sur la vallée. L'alerte a été donnée par le maire. Les anciens racontent ces histoires d'avalanches broyant tout sur leur passage. Tu es inquiet aussi à cause du poids s'accumulant sur le toit. C'est pour ça, cette échelle appuyée contre les chenaux dans une tranchée. Tu l'as creusée tout autour du chalet. Avec un grand râteau, tu tires la neige qui chute du toit en gros paquets. Puis tu vides la tranchée en lançant des grandes pelletées au-dessus du mur de neige. Dans cette matinée blafarde, on entend les sons étouffés de la neige tombant du toit et le bruit des outils raclant les tuiles et les lauzes sur le sol. Que faire d'autre ? Tu me montres le ciel d'un gris opaque où les flocons virevoltent d'un faux air de gaieté.

- La montagne, ce n'est pas facile. La vie ne tient souvent qu'à un fil.

- Ailleurs aussi, on est en sursis.

- Où ça, en ville ? Tu rigoles !

- En ville oui, mais pas seulement. Partout.

- Oui... Dis-moi, dans ton village que tu me caches depuis si longtemps, c'est comment ? J'ai envie d'aller voir ça. Tu m'accueillerais quelques jours si je descendais au printemps ?

- Cause toujours ! Tu me dis ça chaque hiver et je ne te vois jamais arriver. T'es bien de la montagne, toi ! T'es comme ces chamois que tu chasses à l'automne, t'as du mal à changer de territoire.

- Que sais-tu sais des chamois ? Ils nous font assez courir dans toute la montagne.

- C'est ça, plains-toi ! Je me demande ce que tu deviendrais sans eux !

- Détrompe-toi ! Je ferais plein d'autres choses, les champignons, du bricolage et peut-être même des voyages.

- Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre !

        Tu me montres le ciel.

- Et cette neige qui tombe sans arrêt. Regarde-moi ça !

Tu tapes tes bottes avant de remonter sur l'échelle.

- Tu n'irais pas nous faire un petit café pour nous réchauffer le temps de finir ce coin ?

        C'est toujours comme ça quand on discute. D'un coup, tu prends la fuite. Tu trouves un prétexte, un échappatoire. Tu prends la tangente. Peur que ça débouche sur autre chose. Peur de te sentir ferré comme ta première truite à la fonte des neiges. Je ne dis rien. Je connais trop cela. J'ai eu les mêmes réactions pendant longtemps. Une timidité qui venait de loin, de mon enfance, qui restait là comme une vieille croûte de sang séché. Ces instants de panique dès que je devais parler de moi, me raconter. Peur d'effrayer les gens. Peur de rester seule, comme un vieil escargot desséché dans sa coquille.

  • Merci, Eaven. C'est intéressant d'avoir des retours sur le ressenti du lecteur, surtout (mais pas seulement) quand c'est un retour positif. A dire vrai, c'est un petit texte, mais j'y ai passé du temps.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Default user

    eric

  • Très bon texte, clair, sans chichi. On a l'impression d'y être et dehors et dedans. Dans la neige et dans le frais des cœurs. Juste frais, pas froids.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Gants rouge gruauu 465

    eaven

Signaler ce texte