La Nuit

Hugo Desquennes

Mai 2011

    Ce soir, comme tous les soirs, avant de partir dans ma chambre, ma mère m'embrasse et me souhaite:

- Bonne nuit Hugo.

Ce à quoi je réponds:

- Bonne nuit Maman.


   Sauf qu'aujourd'hui encore, les aiguilles de l'horloge pointent 03h40, et la partie de mon insomniaque cerveau qui a pour rôle de clore les paupières de ses collègues, m'a une fois de plus posé un lapin.

        A l'instar du marchand de sable et de sa poésie vivant dans notre enfance, il semblerait que cette part encéphalique pourtant vitale m'ait quitté. "Je m'en vais quelques temps au soleil", avait-elle écrit sur un morceau de ma boîte crânienne, il y a de ça 7 mois environ. Cependant, l'hiver est passé, le soleil est revenu, mais le sommeil, lui, est resté en vacances.

      Et maintenant que toutes mes nuits sont blanches, je peux le dire, tous les chats ne sont pas gris durant celles-ci. Parce que oui, je regarde les chats la nuit. En même temps, c'est ça ou la télé... Et sincèrement, entre le téléachat américain avec les présentateurs trop pleins de dents, et le téléfilm érotique façon moyen-âge avec des aisselles féminines encore plus touffues que les mammouths laineux de Sibérie du reportage animalier de la chaîne découverte, moi, j'ai fait mon choix. Entre minettes et minous, j'ai opté pour ceux dont les instants nocturnes sont faits de viles batailles au coin d'une ruelle mal éclairée, de fougueux rapports sur un toît brûlant ou de vagabondages dans le parking vide d'un immeuble plein de bureaux occupés par des gens trop austères à mon goût.

      Mais la nuit ne se résume pas aux félins. Mes nuits à moi, elles sont pleines de rêve, même si je reste éveillé, assis sur l'appui de ma fenêtre, toujours en caleçon, pour que le vent frais de l'extérieur me rappelle à quel point je suis vivant. Le paysage est composé d'immeubles complètement éteints, hormis quelques petites lumières qui clignotent au gré des va-et-vient de leurs habitants. Un verre d'eau, une envie pressante, un bébé à nourrir, toutes les excuses sont bonnes pour qu'une ampoule rassurante attire mon regard en me faisant comprendre que je ne suis pas le seul à vivre ces moments sensiblements parfaits. Et cette odeur, celle du vide, du rien, mais qui semble tellement complète. Puis, de temps en temps, une voiture, au loin, dont les phares passagers éclairent les branches bourgeonnantes des arbres alentours, créant des ombres se balançant de droite à gauche, comme si la nature dansait au son de la musique. La musique, elle, peut être faite de Tiersen, Tété, Beethoven, Radiohead, MC Solaar ou Muse, car la nuit a l'esprit musical assez ouvert. Mais pour que mes nuits à moi soient vraiment vivantes, je laisse la porte de ma chambre entrouverte, Bastet seul sait pourquoi.

      Essayez vous aussi, une nuit où le sable du marchand sera tombé à côté, vivez-la telle qu'elle doit être vécue. Et qui sait?, peut-être qu'alors vous comprendrez les chats, les mammouths laineux, les ampoules rassurantes, les abres dansants et la porte entrouverte.

 

   Ce matin, comme tous les matins, avant qu'elle ne parte au travail, ma mère m'embrasse et me demande:

-Alors, cette nuit?

   Ce à quoi je réponds:

-Fabuleuse.

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