La parole est à l'accusée.

doleig

Une courte nouvelle, la toute première que j'ai écrite, afin de recueillir un maximum de critiques.

La parole est à l'accusée.

Je ne fais pas partie de ces gens qui dénigrent les flics à tout bout de champ, mais s'ils avaient fait leur boulot, je n'en serais peut-être pas là. Tous les crimes ne sont pas punis. Or, ils devraient l'être tous. J'ai décidé de remédier à cela. Un petit peu… A ma manière…

Certaines personnes, on peut même dire le plus grand nombre, privilégient la rapidité et la facilité, à la minutie et la précision. Grossière erreur, parfois même fatale. Le résultat n'en sera que médiocre et familier. Totalement impersonnel. Se hâter, mais pour quoi faire ? Bâcler n'est pas véritablement désirer. Lorsque l'on tient vraiment à accomplir un souhait, on s'y atèle avec une grande application. Or, ôter la vie à cette femme, je le voulais vraiment; profondément même. Cela me tardait comme les enfants réclament le Père-Noël dès novembre. Une excitation de chaque instant. Mais il m'a fallu être patient et attendre bien sagement le bon moment. Le moment propice à mon attaque finale. Je n'ai pu jouir de mon cadeau qu'après de longues heures. De très très longues heures… Mais peu importe, je suis un trésor de patience.

A ce que l'on pourrait croire, le plus difficile n'est pas d'appâter sa victime et de la faire tomber dans son piège. Les gens sont bien trop bêtes et crédules. Et la tâche n'est pas plus ardue pour un homme. Du moins pas pour un homme comme moi. Lorsque l'on possède les mots, lorsque l'on en a la maîtrise, la moitié du boulot est faite. La seconde partie consiste à avoir un morceau de soi suffisamment sensible et intelligent pour s'accaparer tous les sentiments, que j'appelle « faibles », de sa victime.

Suite à des heures et des heures de surveillance, des heures à épier et suivre les agissements et les habitudes de ma propre victime, je rentrai dans un de ces cafés à la mode, de ceux qui jonchent à présent la quasi-totalité des rues, et m'installai à une table. Je ne la choisis pas au hasard, je la choisis suffisamment en retrait afin de garder privées mes futures discussions, mais suffisamment en vue afin d'attirer l'œil.

Je posai ma touche finale en feignant de lire un livre au titre suffisamment vague, pour ne paraître ni trop romantique ni trop masculin; et quinze petites minutes suffirent à attirer ma future victime.

Elle fit son entrée dans le café, insouciante et d'un pas nonchalant, commanda un cappuccino, et son regard se posa inévitablement sur le mien, deux petites secondes. Ces deux petites secondes qui changèrent sa vie.

Comme je l'avais prévu, elle ne s'assit qu'à une table de la mienne. Deux regards furtifs supplémentaires suffirent pour que j'enclenche mon grand numéro que j'aime à appeler « timide romantique ». Un regard de braises, quelques bégaiements légers, un sourire ravageur, une question stupide mais adorablement attendrissante, et elle m'invitait à m'asseoir à ses côtés.

Ma succincte présentation finit de l'achever. Quoi de plus irrésistible pour la femme lambda, qu'un homme charmant à souhait, timide comme il faut, et pédiatre ?! Et surtout, qui penserait à se méfier d'un pédiatre ? Qui penserait à se méfier d'un homme célibataire depuis plus d'un an, meurtri par une douloureuse déception amoureuse, blessé par une femme infidèle et traîtresse ? C'est en effet en ces termes que je lui décrivais mon ex-fiancée et que j'achevais ainsi de la séduire tout à fait.

Il ne fut pas moins aisé d'atterrir dans son appartement chic situé en plein centre-ville. Elle me facilitait la tâche. Nul besoin de trouver un coin isolé ou de prendre le risque de l'amener dans mon propre appartement. J'aurais de toute façon prétexté habiter bien trop loin pour que nous puissions nous y rendre. Mais m'emmener chez elle semblait lui conférer davantage de confiance. Elle était en terrain conquis, familier. Elle croyait maîtriser la situation, se sentait en position de force.

Tout en me préparant un espresso à la Clooney, elle me confia mine de rien qu'elle était célibataire depuis un long moment. Chose que je savais déjà. Aurais-je pris le risque de voir débarquer son petit-ami à l'improviste ? Elle me confia ensuite avoir emménagé dans cette ville depuis quelques mois seulement. Encore un écho… Si seulement elle savait tout ce que je connais d'elle… Cela lui éviterait d'user sa salive. Si elle n'ignorait pas le sort que je lui réserve, elle commencerait d'ores et déjà à l'économiser.

Je me confiai à mon tour, lui parlai de mon travail qui était pour moi une véritable vocation, un dévouement quotidien. Mais j'abordai aussi mes deux hobbies favoris, le piano et le bowling. Une passion noble et séduisante alliée à une autre amusante, décontractée et sans prétention.

Son sourire ne cessait de s'accroître. Si elle n'avait pas eu peur de brusquer le gentleman que je suis, elle m'aurait certainement déjà embrassé à pleine bouche. Son regard, ses manières devenaient de plus en plus familiers, plus naturels. Ca y était, je l'avais mise à l'aise. Elle avait confiance en moi. Elle se sentait tout simplement bien en ma présence. Elle vint s'asseoir à mes côtés, sur son canapé en cuir noir, des plus confortables, et nous discutâmes de tout et de rien, comme deux amis d'enfance, tout en flirtant, de petits coups de coude en petits clins d'œil. Jusqu'à ce qu'elle propose d'ouvrir une bouteille de vin que son adorable grand-père, me dit-elle émue, lui avait offerte quelques mois avant de mourir brusquement. Encore secouée par cette déclaration, j'en profitai pour verser un puissant somnifère dans son verre. Verre qu'elle ne tarda pas à engloutir. Avant que le somnifère ne fasse son entier effet, je lui dis le plus naturellement du monde :

- « Toujours aussi bavarde à ce que je vois !

Son regard changea brusquement. Il témoignait d'une soudaine incompréhension mais trahissait également un léger malaise.

Si j'avais été un pervers sexuel des plus détraqués, je serais actuellement en érection, j'en suis certain. Constater ce simple trouble, ce doute dans son regard… Ce début d'inquiétude suffisait déjà à combler ma satisfaction. Mais ce n'était pas suffisant, je voulais qu'elle soit terrifiée avant de sombrer de sommeil.

A son « quoi ? » apeuré, laborieusement dissimulé, je répondis d'un ton que je voulus des plus incisifs :

- Tu ne te souviens pas de moi ?

Regard fuyant dû à l'ensommeillement, mais néanmoins des plus alertés.

Vint immédiatement la question bateau par excellence :

- Mais qui êtes-vous ?

Ce qui me fit me rappeler qu'elle ne m'avait encore jamais vouvoyé.

Ma réponse acheva la métamorphose de son visage en une espèce de point d'interrogation vivant, à l'apogée de la terreur.

- Ton pire cauchemar.

Question bateau, réponse bateau.

Mon cynisme faisait que je m'épatais moi-même quelquefois…

Quand elle se réveilla, attachée solidement à une de ses chaises en bois massif, elle eut d'abord du mal à accommoder. Elle ignorait combien de temps elle était restée inerte, mais à présent il faisait nuit. Je la regardais, sans dire un mot, sans émettre aucun bruit.

La bouche encore pâteuse et les yeux emplis de larmes, elle s'adressa à moi d'une voix tremblante et implorante :

- Je ferai ce que vous voulez, j'ai de l'argent, beaucoup d'argent !

Mais pourquoi les gens pensent-ils donc toujours à l'argent ?

Je lui fis remarquer que sa proposition était des plus stupides étant donné qu'elle était déjà attachée et que je pouvais déjà faire ce que je voulais d'elle si je le désirais, et que ce n'était pas du tout cela que j'attendais d'elle.

Dans ma grande bonté, je décidai de délester ses yeux de sa déroute. Je lui rafraichis donc la mémoire, mais sans former aucune phrase.

- Collège Stamford.

Je laissai passer une minute.

- De 91 à 93.

Je laissai encore s'écouler une minute.

- Rumeurs.

Une nouvelle minute.

- Gros porc.

Son visage dénonçait la peur, le chaos, une décomposition psychologique, une panique certaine, mais avant tout et surtout, le choc du souvenir.

Elle se souvenait. Elle savait qui j'étais à présent.

Ses premiers mots furent, comme je l'attendais, « je suis désolée ».

Elle eut le bon sens de ne pas me demander la raison de ma présence. Avoir découvert qui j'étais c'était savoir que si j'étais ici, c'était pour me venger. Elle sanglotait à présent, et ne cessait de répéter entre chaque plainte, « je suis désolée ».

Je m'approchai d'elle si brusquement, mon visage aussi proche du sien que possible, sans toutefois le toucher. Elle en sursauta violemment et cessa l'écoulement de ses larmes.

- Tu vois, tu as compris que je voulais que tu cesses de gémir et de t'excuser, sans même que j'ouvre la bouche, sans que je n'émette un seul son. C'est fou le pouvoir que peuvent générer un simple regard et un simple mouvement non ? Tu ne trouves pas ?

Regard perdu, totalement vidé de ses repères ou d'une quelconque possibilité de réconfort. Bien qu'elle ne m'ait jamais connu comme elle aurait dû chercher à le faire, je savais qu'elle avait conscience que je n'aurais pas pitié d'elle, qu'elle était allée trop loin et elle savait aussi qu'elle allait le regretter. Terriblement le regretter.

Après les excuses vinrent les supplications. Je m'y attendais aussi. Mais le volume des décibels émis par ses complaintes commençaient à prendre beaucoup trop d'ampleur et un voisin risquait à présent d'être alerté.

Je mis mon index devant ma bouche, lui lançait un regard plein de sens, et le silence reprit sa place. Je lui exposai alors le déroulement des heures à venir pour elle.

Je lui demandai tout d'abord de rester bien calme et surtout silencieuse, jusqu'à ce que je finisse mes explications. Elle prit peur en me voyant sortir d'un sac, dont elle ignorait l'existence puisque j'étais allé le chercher pendant son sommeil, tout un attirail plus ou moins électronique selon elle. Elle avait peur mais gardait le silence.

Je repris mon discours d'une voix monocorde, sans aucune émotion discernable.

- Vois-tu, le fait que tu sois désolée, désolée et encore désolée, le fait que tu pleures, que tu aies peur, que je te fasse peur, je m'en tape complètement. Mais que tu m'aies insulté, humilié, rabaissé, durant trois longues années, devant tout un parterre de collégiens avides de bizutage, que tu sois homophobe, que tu aies raconté à tort que je n'étais qu'un gros porc, un sale pédé, pour reprendre tes termes ignobles, et bien cela, tout cela, je ne m'en tape pas du tout en revanche.

Les pleurs reprirent de plus belle. Elle était maintenant envahie de spasmes. Elle n'avait pas bu depuis de longues heures, était en état de choc et totalement terrifiée. Mais malgré tout cela, on pouvait lire la honte sur son visage. La honte et le regret.

Je poursuivis :

- Mais sais-tu ce dont je me tape le moins ? Oh que oui tu le sais…! Tu ne le sais que trop bien…! Que tu aies raconté à tous tes p'tits potes musclés de l'équipe de foot, qu'en plus d'être un sale gros porc de pédé, je t'avais violée dans les douches des vestiaires après ton entraînement de gymnastique. Ca là, tu vois, ça, je m'en tape pas du tout !

Je hurlai à présent.

- Et que pour te venger, tes gentils amis footballeurs m'ont violé chacun leur tour, pensant te rendre justice et dignité ! Je m'en tape encore moins ! Je dirais même que ça me préoccupe un p'tit peu !

Elle tremblait de peur, et très certainement de froid aussi, mais elle ne dit pas un mot.

Je retrouvai le peu de calme qu'il me restait et repris :

- Maintenant, avant que je n'en vienne à t'expliquer le fonctionnement du matériel que j'ai transporté ici, je tiens à te dire que si j'avais voulu, et si j'étais une créature aussi pourrie, aussi néfaste que toi, je t'aurais violée. Et certainement plus d'une fois. Et oui, le gros porc a bien changé hein ? J'ai bien cru que tu ne me reconnaîtrais pas. Trente kilos en moins, des années de sport régulier, des lentilles de contact qui remplacent de grosses lunettes, ça change un homme. Je t'ai séduite. J'aurais pu profiter de toi. Mais je ne suis pas comme toi. Je veux seulement que justice soit faite.

Ses yeux étaient comme figés, incapables de ciller. Les larmes coulaient sans bruit. Son esprit semblait vouloir fuir, mais la réalité la rattrapa quand je repris la diction de mes directives.

- Je vais maintenant te relier à une partie de mon matériel, mais le plus important pour toi est de bien écouter ce que tu vas devoir faire. Ce dictaphone que tu vois là, est relié à une petite machine qui évalue le son de ta voix. Je ne vais donc pas te torturer à coups de couteaux ou autre technique barbare. Tu vas seulement devoir parler. Tu dois être contente, tu adores parler, raconter des tas de choses sur les gens… bla bla bla… bla bla bla… Et tu as tellement d'imagination… Ca va être formidable pour toi, tu vas voir !

Elle m'interrompit, me demandant innocemment :

- Vous voulez que j'enregistre mes excuses, que j'avoue tout, que je dise que j'ai tout inventé et que vous ne méritiez pas ça ?! Je vais le faire, je vais tout dire ! Je vais me dénoncer, c'est promis !

Je ne la laissai pas partir dans son délire, et ne la laissai pas croire qu'elle allait s'en sortir comme ça.

- Pas du tout, rassure-toi, tu peux raconter tout ce que tu veux, je ne te demande pas du tout de parler des horreurs que tu as commises. Tout ce que tu as à faire, c'est parler.

Je ne voulais pas qu'elle meure en ayant soulagé sa conscience à sa manière.

- Mais je… euh…

Incompréhension totale.

- Dernier petit détail avant que je ne parte, tout ce matériel est relié à une bombe.

Nouvelle interruption :

- Quoi ?!

Terreur et affolement dans ses yeux.

- Mais ne t'en fais pas, tant que tu parles tu ne crains rien. Mais ne te mets pas à crier ou tu déclencherais la bombe. J'ai programmé tout ce joli matériel afin qu'il déclenche la bombe si tu t'arrêtais de parler ou si tu parlais trop fort. N'espère donc pas prévenir qui que ce soit ou pouvoir te reposer. Il fallait y penser avant de trop l'ouvrir !

Dès que entendras le bip, tu auras dix secondes pour commencer à parler, et donc ne plus t'arrêter, sous peine de te faire exploser. »

 

 

 

Les supplications résonnent encore dans ma tête au moment où je rejoins ma femme et notre adorable petit bébé dans notre bel appartement.

Oui, je suis réellement quelqu'un de charmant, de civilisé, aimant et généreux. Et je suis véritablement pédiatre aussi. La douleur, l'injustice font seulement, que parfois, notre instinct animal a besoin de s'animer sous peine de devenir fou et de passer à côté du bonheur.

J'appris dans les journaux que la bombe avait explosé environ six heures après mon départ.

  • Tout simplement frissonnant ! J'ai adoré avaler ton histoire ! cependant, comme tu attends des "critiques", en voici une toute petite : lorsqu'un homme ressent un plaisir aussi conséquent que celui que tu décris, il a une érection, c'est naturel ^^^
    Pas que je sois moi-même un homme, mais disons que je le sais ^^^

    Sinon, cette histoire, pour une première, était vraiment super agréable à lire !

    · Il y a environ 13 ans ·
    Welc orig

    rena-circa-le-blanc

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