La petite.
Lielie Sellier
La petite.
Akae était agacée, elle ne trouvait pas son joli kimono à fleurs. La bonne Airi avait dû le ranger dans la mauvaise armoire, elle était tellement étourdie.
- Akae, es –tu bientôt prête ? Tu sais qu'ils ouvrent à dix heures et ferment tôt à 13 heures. Je ne pourrais pas prendre un nouveau jour de congés avant bien longtemps.
- J'arrive, je cherche mon nouveau kimono. Laisse-moi encore 10 petites minutes.
- Je t'attends dans le jardin, je vais lire un peu.
Hikaru et Akae avaient de la chance d'avoir hérité de cette grande demeure familiale en plein Tokyo. Elle possédait de grandes pièces claires et ensoleillées et comble du bonheur pour le couple, un jardin privatif intérieur avec une cascade d'eau, des nénuphars, des espèces végétales rares, des poissons. Akae y passait des heures, c'est elle qui l'avait créé et dessiné. Hikaru arrivait harassé chaque soir du centre des affaires de Tokyo où il dirigeait la multinationale familiale. Il en en appréciait le calme et l'harmonie. Leurs semblables s'entassaient dans d'étroits logements dans d'immenses tours dénuées de verdure.
- Je suis prête.
Hikaru admira la beauté de sa femme, son port de tête altier et son soyeux kimono. Ils se mirent en route, ils étaient un peu anxieux. La dernière fois, ils étaient arrivés trop tard. Aujourd'hui, ils arriveraient à temps, leur chauffeur les attendait. Ils entrèrent dans la voiture climatisée et traversèrent les rues bondées de Tokyo pour se diriger vers la campagne. Ils partaient adopter un petit ou une petite comme ils le disaient entre eux.
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Ils n'avaient pas eu d'enfants. Ils étaient très occupés tous les deux, HIKARU à assurer la pérennité de l'entreprise familiale et Akae à gérer sa fondation Hope pour les démunis. La présence d'un enfant leur manquait. Ils avaient donc pensé à l'adoption. Akae était songeuse, elle aimait la campagne, l'air y était plus sain et agréable. Elle espérait qu'ils reviendraient à trois. Le paysage défilait, Hikaru pianotait sur son écran d'ordinateur, il ne cessait jamais de travailler du lundi au dimanche midi. Il ne s'accordait que le dimanche après-midi, il jouait au golf. Cette activité lui calmait les nerfs. Akae nageait, elle appréciait le contact de l'eau, la liberté qu'elle ressentait à son contact.
Ils arrivèrent bientôt devant une grande bâtisse blanche entouré d'un grand parc ombragé. Ils furent reçus par la directrice qui était une des bénéficiaires de la fondation Hope. Elle leur parla chaleureusement et les fit rentrer dans son bureau. Après avoir échangé sur le quotidien et après avoir bu le thé, elle leur présenta plusieurs photos. Ils étaient tous mignons. Akae prit la parole :
-Nous ne pouvons pas choisir juste sur la base de photos. Il faut que nous allions les rencontrer. Et on verra lequel ou laquelle d'entre eux aura un coup de cœur pour nous. Il est préférable que l'un d'eux nous choisisse
-Je suis d'accord avec ma femme. Allons-y.
La directrice les précéda, ils la suivirent dans les longs couloirs
de l'orphelinat. Ils arrivèrent dans une grande pièce. Les regards se tournèrent vers le couple mais une seule petite se dirigea vers eux. Elle était très petite, elle devait être âgée d'un an, elle rampait sur le sol plus qu'elle ne marchait. Elle avait une drôle de petite bouille, toute ronde et des yeux pétillants. Elle s'arrêta devant Akae et Hikaru et les regarda en poussant de petits sons.
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Elle semblait contente, elle les avait choisis. Ses autres compagnons étaient retournés à leurs repas. Akae et Hikaru se regardèrent en hochant la tête. Ils retourneraient à trois à Tokyo.
Akae et Hikaru se baissèrent et l'embrassèrent. La petite leur sourit. Ils retournèrent dans le bureau de la directrice pour finaliser les papiers et l'adoption.
- Nous avons juste un petit souci, la petite n' a pas de prénom car elle a été déposée devant notre bâtisse. Nous ne savons rien sur son passé, nous pensons qu'elle est originaire d'Afrique : Sénégal, Mauritanie ou Ethiopie. Je suis désolée c'est un peu vague.
- Pas de soucis, nous avions déjà pensé à un prénom Chieko.
- Chieko, enfant de la sagesse.
- Oui à notre âge 40 ans, c'est vraiment l'enfant de la sagesse.
- J'inscris ce prénom sur les papiers.
Ils repartirent tous les trois vers Tokyo. Le couple était apaisé, tout s'était bien passé. La chambre de la petite était déjà prête, elle donnait directement sur le jardin. Akae et la bonne pourraient ainsi la surveiller quand elle ferait la sieste. Ils organisèrent une fête le dimanche suivant pour fêter l'arrivée de Chieko et la présentait à leur famille et amis. Tout le monde l'apprécia, elle était douce et calme. Elle avait une présence apaisante.
Dès les premières semaines, Hikaru changea ses habitudes, il partait plus tôt travailler le matin ce qui lui permettait de revenir chez lui avant la tombée de la nuit, il prit aussi tous ses dimanches après-midis. Il consacra plus de temps à sa famille. Chieko grandit. Chaque jour, Hikaru la promenait dans les rues avoisinantes. Il avait trouvé un moyen qui pouvait soulever certaines critiques pour ne pas perdre Chieko dans les rues de la ville, il lui attachait autour du corps une laisse ainsi ils pouvaient cheminer tranquillement ensemble et Chieko ne risquait pas de se faire écraser. Il réglait son pas sur celui de la petite afin de ne pas marcher trop vite. Les domestiques, les voisins, les commerçants, la famille, les amis, ses employés, Akae s'habituèrent à ce couple original : un homme de grande taille avec une toute petite. Tout le monde les saluait.
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Pendant la journée, le matin Chieko restait avec la gouvernante de la maison. Akae allait au bureau de sa fondation mais s'arrangeait désormais pour passer chaque après-midi auprès d'elle. Elle l'installait sous l'auvent du jardin pendant qu'elle jardinait, la petite faisait sa sieste. Parfois elle se réveillait et observait Akae en train de jardiner. La présence de Chieko la rendait d'humeur joyeuse, elle lui chantait des belles chansons et lui lisait des contes. La vie s'écoulait tout doucement . Chieko apportait beaucoup de joie à ses parents. Elle grandit rapidement et prit du poids. Elle n'aimait pas la viande et se nourrissait de légumes. La petite était végétarienne
Hikaru et Chieko continuaient chaque jour leur promenade, ils faisaient partie désormais du folklore du quartier. Hikaru l'emmenait au bureau, elle assistait à des réunions très importantes. Elle portait chance à son père. A chaque fois, l'atmosphère était apaisée et les contrats se signaient plus rapidement, en sa présence.
Leur agréable quotidien fut bientôt perturbé par une grave annonce. Akae était tombée malade, gravement malade. Elle consulta les meilleurs spécialistes mais ils lui apprirent que la maladie avait été détectée trop tard pour pouvoir la guérir. Akae accepta le diagnostic. Elle n'avait plus à s'inquiéter pour Hikaru, elle ne le laisserait pas seul. Elle savait qu'il ne se remarierait pas, ainsi en avait décidé la dynastie familiale il y a des siècles. Aucun membre n'aurait osé en briser la continuité. Chieko avait maintenant quatre ans, elle sembla comprendre le changement de santé d'Akae, elle restait sagement à ses côtés quand elle se reposait sur son fauteuil dans le jardin ou dans sa chambre quand elle alla plus mal.
Un matin, Akae demanda à sa gouvernante de l'emmener tôt dans le jardin. Elle lui fit signe de mettre son fauteuil près de la baie vitrée de la chambre de Chieko, elle avait vue à la fois sur la petite et le jardin.
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Elle vit des papillons multicolores éphémères volaient autour d'elle, elle regarda le ciel, l'eau, les poissons et sa petite une dernière fois. Elle s'éteint ainsi dans son havre préféré. Hikaru était déjà parti au bureau. En se réveillant, Cheiko vit sa mère derrière la baie de sa fenêtre, elle se leva, heureuse de la retrouver. C'était bizarre sa maman semblait dormir, elle ne lui caressa pas la tête comme à son habitude. Cheiko s'allongea sur le sol en bois et observa les poissons. Quelques heures après, la gouvernante les trouva ainsi. Elle comprit de suite qu'Akae était partie rejoindre ses ancêtres. Elle téléphona à Hikaru qui se précipita pour rentrer à la maison.
Après les funérailles, il engagea un jardinier pour perpétuer le jardin de sa femme, sa fille y passait la plupart de son temps. Elle avait encore grandi et grossi.
Hikaru lui dit un soir :
-Je partirais bien avant toi ma petite.
Dix ans s'étaient passés, ils venaient de rentrer du restaurant où ils avaient fêté l'anniversaire de Hikaru. Il venait d'avoir 50 ans. La petite s'était régalée de choux. Hikaru avait fait ses calculs, elle vait 10 ans lui 50 ans et l'espérance des vies des tortues de sa race avait une espérance de vie de 80 ans, il lui restait donc à vivre 70 ans et à Hikaru à peu près 30 ans si tout se passait bien. L'avenir de la petite était assuré, son papa avait fait tous les papiers. Elle pourrait rester jusque sa mort dans la demeure familiale entouré de fidèles serviteurs et elle les rejoindrait plus tard au pays de leurs ancêtres. Il lui enleva son manteau adapté à sa carapace car l'hiver, elle avait très froid. Toute petite, il pouvait la prendre dans sa paume mais désormais elle faisait un mètre de diamètre et pesait 60 kgs. Hikaru avait acheté une plus grande voiture et une plus grande laisse. Il ne savait pas qu'elle grandirait et grossirait autant. Elle était sa fille, son amie, sa confidente. Elle l'aidait toujours à prendre des décisions. Pour tous, elle était un symbole de longévité et d'amitié.
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