La petite boule
Joshua D.
“Hey !
Psst !
Hey, Nicolas !
Pssssst !”
Ses yeux s'ouvrent en grand. Il se redresse, sorti de son demi-sommeil puis les referme, la faute à ces néons que la SNCF juge bon pour ses voyageurs, même s'il s'agit de ceux qui se lèvent tôt, très tôt. Putain de néon. Il aimerait savoir où en est son train, regarde par la fenêtre du wagon mais c'est la nuit, la nuit noire.
Sa tête pivote, à droite, à gauche, il jette un coup d'oeil au dessus des sièges, devant et derrière lui. Encore un rêve se dit-il.
En se réajustant les écouteurs sur les oreilles, il calle son corps dans son fauteuil que seul un fonctionnaire a pu concevoir et obstrue ses yeux close d'un foulard noir, sans oublier de laisser son billet bien en évidence, pour que l'homme à képi zellé puisse le controller, sans le reveiller. Il est 6:56 et sa journée à lui, ne fait que commencer, elle s'achevera dans les tréfonds de la nuit à venir.
“Hey ! t'es dur de la feuille ou quoi !
JE TE PARLE, BORDEL !”
Brusquement, il se redresse, le foulard, le casque, le billet, tout vole.
“C'est quoi ces conneries ?” dit-il
“Putain, mais c'est moi”.
La voix était là. Dans le wagon, pas un mot en cette heure matutinal. Ca ne pouvait pas venir de son casque, qui gisait sur ses genoux.
“Mais qu'est-ce qui se passe, je deviens dingue ou quoi ?” se dit-il, dans sa tête.
“Mais non, mon vieux, t'es pas dingue, c'est moi !”
Les voyageurs ne pipent mots. Outre le rythmes du rail, aucun bruit. Elle est revenue.
Il ne savait pas vraiment lui donner un nom, tant elle se manifeste de manière diverse. Il avait eu affaire à elle, assez souvent quand il était plus jeune, quelques fois au début de sa vingtaine et une fois dans sa vie d'adulte. Il l'avait écarté définitivement, lui semblait-il, il y a un moment déjà.
“
- Hey ! Maintenant que tu m'écoutes, ça va ?
Tu m'emmerdes, je dormais, me faire chier en journée ne te suffit pas, il faut que tu pourrisses les fins de nuits que je me trouve ? Aller, fous moi la paix, va pourrir quelqu'un d'autre, tu n'as rien à me dire de toute façon.
Rien à te dire ? Tu plaisantes là ?, dit-elle, avec un sourire toxique
Va te faire foutre, t'entends ? VA-TE-FAIRE-FOUTRE ! Je ne suis pas de ces gens-là”
La joue écrasée contre la vitre froide, il ferme les yeux et feint le sommeil.
“- Nan, parce que, il t'ont bien niqué, quand même, sur ta prime, ils t'ont baisé la gueule, on peut le dire, nan, si, on peut le dire, hein ?
TA GEULE ! Je ne bosse pas pour l'argent.
Bah ouai, mais à deux milles euros, près, tu peux te la foutre au cul ta bagnole, ton appart, ou n'importe quoi. Tu t'es fais EN-CU-LER !
Putain, ta gueule, laisse moi tranquille.
Ben, pas tout de suite, je voudrais qu'on parle d'elle…”
Ses paupières s'ouvrent en grand, ses pupilles se resserrent. Vision oblique.
“- T'as vraiment décidé e me faire chier, c'est ça ?
Ben, c'est important non ?
C'est parce que plus important, crucial, vital, que je ne veux surtout pas en parler avec.
Non, mais quand même, il doit bien avoir des choses à me faire manger dans cette histoire...
… ça n'est pas une “histoire”, c'est la femme que j'ai…
Ouai, mais ça te fais quand même bien chier, t'as beau faire le fier à bras, ça te fait chier.
Oui, ça me fait chier. Ca va t'es contente, maintenant fous moi la paix. “
Silence. Le roue du wagon scandent le vide. Le sommeil revient.
“ - Bon, t'es au courant, t'es pas le seul sur la corde à linge et pour le coup, t'es pas trop bien plac…
Dit ! On s'était pas mis d'accord pour que tu la fermes, toi et moi ? Les trucs bouddhistes, la méditation, l'introspection, la réflexion et la compassion : ça suffisait pas pour te faire disparaître ?
Ah si ! Et pour le coup, je ne pensais pas te retrouver…
Alors qu'est-ce que tu fous là, dans ma tête, mon ventre, j'en sais rien, mais qu'est-ce que tu fous là ?
Ben… il se trouve… que je n'ai pas pus passer à côté de ta jalousie… Alors je me suis dit que … peut-être… On pourrait se revoir toi et moi. Tu vois, pas souvent, juste quelques soir, dans une rue… nan, à l'hôtel ! On pourrait apprendre à se connaitre un peu mieux…
…
On pourrait refaire ces trucs là, qu'on faisait avant et qui me plaisait tant… Tu t'en souvient, dit, mon Nicolas ?
Oui, je m'en souviens
Et alors ? On recommence ? Dit moi oui !
Non.
Tu sais qu'elle va te faire éjecter, hein ? Mais moi, je serais toujours là !
Ta gueule, répondit-il sèchement.
Pourquoi es-tu si méchant avec moi ? dit-elle d'une moue coquine.
Parce que tu me feras courir à ma perte. Parce que tu n'engendres rien. Parce que tu tues les gens. Et je n'ai pas envie de mourir.
Je ne tue pers…
Alors ouai, j'en ai assez dans les valises pour te faire grossir comme une grosse truie, que tu me remplisses le ventre jusqu'à me faire péter, mais je vais te le dire une dernière fois : je ne suis pas de ce bois là”
Ses yeux bleus s'injecte de sang et il continue.
“ - Sors de moi, dégage, crève, mais ne reviens plus, tu disparaitras comme ta copine S. et crèvera comme C., mais ne t'approche plus de moi. Je suis un dingue avec les choses comme toi. Je ne te le promets pas, je te le jure, je te ferais crever. Je t'ecartèlerai, te ferai péter en morceaux, si bien que tout le monde se demandera si tu as bien pu exister.
Je ne crois pas, tu sais, on ne...”
Silence. Le rythme du train. Quelque passagers qui papotent. Il a les yeux grands ouverts. Des larmes coulent sur ses joues velues.
Il murmure.
“Tu m'entends, l'angoisse ? Va t'faire enculer, j'ai d'autres belles choses à faire, d'autre belles choses à lui faire voir ...”