La petite fille à la loupe
celinero
Il était une fois un pays où l'hiver s'éternisait. Un vieillard vivait à l'orée d'une forêt crainte par les habitants du village voisin. Le vieil homme vivait avec une petite fille qu'il avait recueillie et élevée. Malheureusement, il était tombé gravement malade. Quand il sentit son heure arriver, il dévoila à Kiara le secret de la forêt. Les arbres et les plantes étaient organisés en un véritable labyrinthe de ronces et de racines invisible à l'œil du simplet aveuglé par ses superstitions. La nature protégeait en son sein un précieux trésor.
- Ma chère petite, lui dit-il, un ami vit dans ce labyrinthe. Il t'aidera quand je ne serais plus de ce monde. Va chercher ma besace. Regarde à l'intérieur.
Elle trouva une grosse loupe toute rouillée.
- Il faudra la prendre avec toi. Les loupes ordinaires grossissent ce que l'on voit, mais ce que l'on voit n'est pas toujours la réalité. Cette loupe te permettra de percevoir la réalité sans artifice…
Le vieil homme mourut peu de temps après. Elle décida de suivre les dernières volontés de son grand-père adoptif et de partir. Elle emporta un peu de nourriture et d'eau dans la besace du vieil homme, ainsi que la loupe qu'il lui avait confiée. Elle s'habilla chaudement et partit de bon matin, prête à affronter le labyrinthe.
Kiara réalisa bien vite qu'il ne lui avait jamais donné de direction à suivre, ni de carte pour se repérer. Elle essaya de revenir sur ses pas mais ne reconnut aucun arbre, aucune branche. C'était comme si la forêt bougeaient à mesure qu'elle s'enfonçait dans le labyrinthe. Il était trop tard pour faire demi-tour. Elle était perdue.
Epuisée et désespérée, elle s'assit au pied d'un chêne pour pleurer. Elle avait marché toute la journée, la lumière du jour faiblissait et elle n'avait même pas pensé à prendre une lanterne pour s'éclairer. Elle était trop petite et fragile pour un tel voyage. Après tout, pensa-t-elle, les villageois avaient peut-être raison, la forêt était hantée par des monstres qui allaient la dévorer pendant son sommeil. Ses sanglots redoublèrent et résonnèrent dans tout le labyrinthe.
- Pourquoi pleures-tu petite ? fit une voix grave et chaude.
Kiara ouvrit les yeux, il faisait nuit, elle ne voyait presque rien. Les quelques rayons de lune qui traversaient les branches ne trahissaient aucune présence.
- Qui est là ? Demanda-t-elle, tremblante.
- Je suis le maître de ces lieux.
La voix ne laissait paraître aucune émotion, elle suivait une logique implacable.
- Je ne vous vois pas… Pourquoi ? Hasarda-t-elle.
- Je ne le souhaite pas. Pourquoi pleures-tu petite ?
- Je suis seule au monde, et perdue.
- Tu n'es pas seule tant que tu as de la mémoire.
Une grande flamme jaillit de l'obscurité et fit fondre toute la neige sur son passage. Kiara prit peur et se recroquevilla sur elle-même. Quand elle réalisa qu'une chaleur douce l'enveloppait elle osa ouvrir les yeux. Un dragon se tenait devant elle. Il avait créé un brasier en crachant sur un buisson. Ses pattes avant étaient si proches de Kiara qu'elle put observer la taille de ses griffes monstrueuses. Les ailes déployées, il semblait aussi grand que les arbres, dont elle ne pouvait pas distinguer la cime en plein jour. Il respirait lourdement, de la fumée sortait de ses naseaux, et ses yeux brillaient de mille feux. Sa mâchoire puissante ne ferait qu'une bouchée de la petite et ses crocs immenses briseraient ses os en un clin d'œil. Elle prit peur. Elle chercha dans sa besace quelque chose qui puisse lui venir en aide et ne sentit que le manche de la loupe. Elle crut pouvoir s'en servir comme d'une arme et la sortit de sac. Le dragon ouvrit sa gueule fumante, elle plaça la loupe devant son visage pour se protéger et ferma les yeux. Kiara tremblait. Elle était persuadée que le vieillard l'avait envoyée dans la forêt pour lui assurer une mort rapide, lui éviter de mourir de faim ou de froid…
Pourtant le dragon ne fit rien. Kiara ouvrit un œil, puis deux, et ce qu'elle vit fut incroyable. Derrière la loupe, le dragon devenait un homme entre deux âges richement vêtu, comme un seigneur.
- Me crains-tu, petite ?
Kiara ne savait pas quoi répondre. Quand elle enlevait la loupe le dragon effrayant revenait et la fixait méchamment, mais dès qu'elle regardait à travers l'homme se tenait là, souriant.
- Qui… qui êtes-vous ? Bafouilla-t-elle ?
- Je suis le maître de ces lieux. Autrefois j'étais un seigneur respecté. Mon royaume s'étendait au-delà de ce labyrinthe mais une méchante sorcière m'a jeté un sort et m'a rendu effrayant aux yeux des hommes. Pour protéger ma vie j'ai dû me terrer ici. J'ai bâti ce labyrinthe pour fuir les chevaliers tueurs de dragons. Alfred m'a aidé au fil des ans. La sorcière avait fait de lui mon geôlier et lui avait donné cette loupe pour qu'il n'ait pas peur de moi. De geôlier il est devenu mon gardien, puis mon ami. Il m'a beaucoup parlé de toi. Il m'a fait promettre de m'assurer que tu ne manques jamais de rien. Veux-tu sécher tes larmes et partir en voyage ?
Kiara, abasourdie par ces révélations, ne sut que hocher la tête en signe de consentement.
- Bien petite, partons.
Alors le prince dragon l'attrapa délicatement et la serra entre ses griffes pour la protéger. Il ramena ses pattes vers son torse afin qu'elle bénéficiât de la chaleur qui s'en dégageait. Il déploya ses ailes et s'envola avec Kiara vers des contrées lointaines dans l'espoir de trouver un foyer où ils seraient acceptés de tous et heureux jusqu'à la fin de leur jours.