Bloody Feather / Chapitre 11: La petite fille aux cheveux noirs
Caïn Bates
Les années ont passées depuis que je me suis installé dans un appartement situé dans le quartier de Westminster, non loin de la frontière de Lambeth. En plus de la sécurité, la zone est un lieu de sophistication et de luxe, des privilèges que n'offrent plus les allées pavées de notre royale ville, que Dieu bénisse Victoria pour son maintien de l'ordre. Les écrivains sont nombreux et il n'est donc pas rare que je croise un confrère, qu'il soit sympathisant ou détracteur voire parfois les deux, au coin d'une rue ou dans un bouiboui, mêlé à la plèbe. Pour ma part, je suis plutôt solitaire et je vagabonde ci et là pour me dégourdir les cannes et m'aérer l'esprit.
Au fil du temps, je me suis mis à m'aventurer de plus en plus loin de mon précieux antre, vestige de la tranquillité et du repos, un abri pour les partisans du calme et de la réflexion. Je me dis que la City n'est pas si mal après tout, les rues larges et fréquentées sont tout de même propice à la marche tranquille et la populace n'y est pas trop appauvrie, bien que cela procure une sensation de tension palpable, chacun se sentant traqué par les voyous et autres pickpockets. Je ne peux m'empêcher de vérifier le contenu de mes poches lorsqu je croise un enfant. Je consulte ma montre, il est presque 18h, il commence à se faire tard. Je décide de finir ma marche à la Tour de Londres, là bas je prendrais un coche qui m'amènera chez moi.
J'approche peu à peu de la frontière de Whitechapel, le doute se met alors à me serrer les entrailles tandis que mes jambes deviennent lourdes. Je regarde autour de moi, la misère et l'indécence surplombent ces rues et toujours pas de voitures à l'horizon. Au loin, je vois un cortège d'enfants enchainés traverser l'allée la tête baissée, rythmé par le bruits des mailles de fer s'entrechoquant. Désormais tout peut m'arriver; le vol, le racket, le meurtre voire pire, l'esclavage. Qu'est ce qu'il m'a prit de m'aventurer si loin de mon confort pour m'émerveiller des joyaux de la ville, je suis maintenant condamné. Je sens une petite main tirer le bas de ma redingote, je l'attrape brutalement et tire sur le bras de la gamine quand son accompagnateur repousse mon épaule avec le pommeau de sa canne.
"Vous êtes perdu milord?!
-N... non, je bredouille, désemparé, mais votre fille m'a surpris, je m'excuse humblement.
-Vous n'êtes pas d'ici n'est ce pas?! Vous devriez éviter de trainer ici, les gens de votre classe sont mal vus dans les environs.
-Je cherchai justement un cab..."
L'homme me fait signe de le suivre, je m'exécute en maintenant une certaine distance, méfiant. La petite fille tourne légèrement la tête en arrière et me souris avant de se retourner vers son père et se met à lui parler. Après quelques minutes, nous arrivons devant un petit kiosque dans lequel s'est logée une compagnie de cab. L'homme demande alors une voiture pour trois et paye d'avance. Il me demande ensuite ma destination, qui semble être sur sa route. En chemin, il se présente sous le nom de Charles Dodgson et m'explique qu'il se ballade souvent avec sa jeune amie Alice. Nous parlons de poètes, d'écrivains, de styles d'écriture jusqu'à la porte de ma demeure. La discussion interrompue laissa place à des échanges passionnés de lettres et de ballades agrémentées de débats sur les mots, les émotions et les sensations de l'écriture et de la lecture. Alice l'accompagne souvent bien qu'elle ne prête que très peu une oreille attentive à nos discussions, mais sa bonne humeur nous met toujours d'entrain.