La Petite protestante

Michaël Frasse Mathon

En 1685, sous le règne de Louis XIV, après la révocation de l'édit de Nantes.
Il était minuit. La cloche du couvent retentissait au dehors, comme chaque soir à la même heure. Chaque coup, annonciateur du temps qui s'écoulait, rapprochait un peu plus Lison de sa tendre mère, à qui elle avait était si sauvagement arrachée lors des dragonnades. En son absence, la petite fille avait souvent du mal à s'endormir. Lorsque c'était le cas, Lison essayait de se remémorer les traits de ses proches, ses chers disparus. C'était, pour elle, une façon de les faire revivre. Parfois, elle se plaisait à les imaginer en train de l'observer, du haut du ciel.
Outre sa mère, pour qui elle vouait un amour sans borne, Lison pensait souvent à son père et à ses deux frères, dont les nuques avaient été brisées par la corde de la potence à laquelle ils avaient été condamnés, pour des crimes qu'ils n'avaient pas commis, hormis le fait d'être nés avec un croyance différente.
Au couvent, du fait qu'elle était protestante, Lison souffrait de la sévérité de l'enseignement des soeurs catholiques, de l'injustice de leur comportement, vis à vis d'elle. L'enfant devait se plier à la moindre de leurs injonctions, remplir toutes les corvées. A leurs yeux, elle n'était qu'une moins-que-rien. Pourtant, Lison possédait de nobles qualités. Des qualités qu'elle tenait de sa famille, mais notamment de sa mère : son endurance face aux épreuves, sa force morale face à la méchanceté d'autrui et sa tenacité à l'encontre d'idées qui n'étaient pas les siennes. La petite Lison, fidèle à sa religion, refusait catégoriquement de faire sa communion, sauf chez les protestants.
- Tu feras ta communion, de gré ou de force, lui répétait la Mère Supérieure.
Finalement, Lison y fut obligée, parce que cette Maison de propagation de la Foi était pire que l'Enfer. La petite fille eut le sentiment d'avoir trahi les siens mais aussitôt devenue une catholique, les soeurs cessèrent de la tourmenter. Lison eut donc droit à un peu de tranquillité. Dorénavant, son nouveau prénom serait Blanche.
Un soir, victime d'une violente poussée de fièvre, Lison eut droit à la visite de sa mère, dans son austère dortoir. La petite fille n'en crut pas ses yeux de se retrouver nez-à-nez avec sa mère bien aimée. En la voyant, elle en oublia momentanément sa souffrance et se jeta dans ses bras. La mère et la fille restèrent plusieurs minutes ainsi, couchées l'une près de l'autre, enlacées, sans dire un mot.
Lison finit par lever les yeux vers sa mère.
- Vais-je bientôt quitter cet endroit ? demanda-telle.
Sa mère lui sourit tendrement.
- Dieu t'avait sous sa garde, dit-elle en carressant les cheveux de sa fille, mais il m'a promis qu'un jour, il te rendrait à nous. L'heure est venue.
Alors, la petite Lison se blottit de nouveau dans les bras de sa mère et ferma les yeux, pour ne plus jamais les rouvrir.

Eté 2001 – Hiver 2015




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