La Picador

- Jusqu'à quand les méchants ô éternel ! jusqu'à quand les méchants triompheront-ils ? (Bible- psaume 94) Tout ce qui brille trop est pie de malheur. Elle est née en écrasant les autres par sa puissance et sa beauté insolente. Telle est aujourd'hui Cap Olympe, la déesse dominante la Méditerranée. Drapée de béton blanc laqué et de bois exotique, colorée en permanence de couleurs chaudes d'été et d'anthracite satinée. Elle est chapeautée de tuiles bleues et de toits végétalisés qui donnent une parfaite touche écolo. De sa hauteur, des pyramides de verre éblouissant et des chalets ronds sur pilotis étincellent à des lieux à la ronde, comme des rubis au fond des fontaines de granit. S'étalant au milieu de la station le lac artificiel et des parcs verdoyants sont en face des îlots futuristes posés dans la mer. Le port de plaisance accueille les marins du monde entier. Sortie dix ans plutôt du bureau d'architecte parisien : Cosman et Liesse. La nouvelle station balnéaire high-tech est la plus prisée par des gens aisés. Juin 2020. Au plus profond de la nuit étoilée les sirènes hurlaient au danger de tous les côtés de la ville. Le bleu phosphorescent des gyrophares clignotait par un interminable spectacle de sons et de lumières à faire plisser méchamment les yeux. Un mercredi de carnage au Démon de Minuit. La bombe avait fait beaucoup de dégâts par son souffle dévastateur. D'un swing de boxeur poids lourd, la terre avait tremblé sous les pieds. K.O. Dans l'air flottait une puissante odeur nauséabonde de poudre brûlée, on distinguait mal la chaleur naturelle étouffante de ce début d'été de celle de l'explosion. Ça toussait et ça grattait les gosiers. À l'ouest de la station, le bruit de guerre urbaine avait réveillé en sursaut les résidents paisibles du quartier dit le « village » naturiste, pourtant sécurisé par un système technologique et humain à la pointe du progrès. Sous les décombres, les premiers secours, masque de protection sur le nez, constatèrent impuissants des membres mutilés, des têtes esseulées, des viscères en charpie s'étalaient sur un monceau de gravas ou projetées sur le reste de l'ossature métallique entortillée. Un linceul d'une épaisse poussière blanchâtre recouvrait l'ensemble de l'établissement en ruine. Les dernières flammes dansèrent encore un peu avant de disparaître sous l'épaisse mousse savonneuse des lances d'incendies. Les officiers des pompiers, rigoureux, en sportifs accomplis, balancèrent en l'air des ordres de manœuvres, des cris claquèrent, des cris résonnèrent. Dépêchés du Central, les flics en uniformes et en civils, brassard orange au bras, étaient en première ligne du spectacle de désolation. Notes dans les mains. Le processus d'enquête commençait. Les fantômes de la nuit investissaient les lieux, combinaisons blanches, cagoulés, gants en latex, la police Scientifique fouinaient méticuleusement chaque centimètre carré de la scène de crime. Les clients du Démon de Minuit étaient des Européens. En vacances à Cap Olympe ils pimentaient leur vie terne, voulant absolument oublier la grisaille quotidienne du nord, sous les lumières tamisées du club privé de Katia Bohnoff. Le malheur frappera la maîtresse des lieux, la belle quinquagénaire décédera dans l'attentat, le corps coupé en deux, d'après les premières constatations de la police et du médecin responsable de la levée des corps. Un défilé silencieux d'ambulances se serraient de près. L'identifications des victimes, par le coordinateur de la Scientifique, étaient les suivantes : Nadège Orsi 46 ans professeur de français et d'anglais à Paris, Hanz Kern 60 ans directeur à la Deutsche Bank, Nelson Du Plessis 52ans psychiatre normand dans un trou. La soie et le cuir de leur tenue de soirée avaient fondu en même temps que leur peau. Plus tard, le légiste aurait un mal de tous les diables pour remettre les morceaux dans le bon ordre au frigo, ensuite sur la table de charcutage. Katia Bohnoff était la compagne du maire de Cap Olympe, Victor Campoléone. Une dizaine de corps et d'âmes resteraient estropiés ad vitam aeternam.