La piscine

Hervé Lénervé

Romance à l’eau d’iode.

Je n'aime pas la piscine.

Pour quelles raisons, alors, ai-je voulu y aller?

Peu importe, je suis décidé, je vais à la piscine ! Serviettes, maillot, bonnet, tout y est, j'y vais.

Si, comme moi, cela fait quelques siècles que vous avez négligé les  piscines municipales, sachez qu'elles ont beaucoup changées. Pas de guichet derrière lequel, un beau blond style nageur, pas camionneur, une belle blonde style maîtresse nageuse à espérer se noyer, ne vous disent d'une intonation chantante ; « Bonjour ! » Non rien de tout cela. Rien en vue, sinon un gus qui traîne un tuyau derrière lui. Je lui demande naïf.

-         Bonjour ! Pour payer comment fait-on ?

-         Distributeur !

Grogne-t-il en me pointant du doigt le distributeur qui ne se formalise pas plus que cela d'être ainsi, goujatement, pointé.

Interdit devant l'engin. Je lis : « introduire le ticket. » Quel ticket ? Moi je viens pour nager, je ne savais pas qu'il fallait un ticket pour nager. Bon j'attends un peu, je suis venu jusqu'à là, je ne vais pas renoncer si vite.

Une femme, une jeune femme, une fille, quoi ! Arrive. Je lui demande.

-         Vous savez comment faire pour payer ?

-         On paye à la sortie.

-         Ah, bon ! Mais le distributeur ?

-         Non ! C'est pour le parking.

Je lance mon regard le plus noir à l'homme au tuyau qui ne me calcule pas une seconde. Il est en pleine discussion avec son serpent constrictor en plastique qui tente de l'étouffer dans ses spires. La jeune fille reprend.

-         Suivez-moi je vais vous montrer.

-         Merci, c'est gentil.

Elle ne répond rien, mais me lance en pleine figure un sourire made in soleil qui réduit de cinq ans mon capital de vrai soleil. Mon bronzage est tomate. Je suis (pas le verbe être, mais suivre) ma chaperonne dans un couloir sordide et je ressens une oppression m'oppresser expressément. On finit par déboucher sur un tas de clapiers métalliques. Encore une fois, je reste pantois et non putois comme l'on dit souvent, mais à tort, car ça pue. Elle me guide dans les procédures.

-         Tu dois taper un code, il n'y a pas de clef ici.

J'aime bien le tutoiement de la gamine, cela fait peut-être partie de la familiarité de la confrérie des nageurs-baigneurs.

-         J'introduis ma pièce et tape comme un sourd le numéro de ma carte bancaire en l'épelant à haute voix, autrement je me trompe : « 2-6-1-3 » (Ne le répétez à personne.)

-         Tu n'es pas obligé de le dire, le tout est de ne pas l'oublier, si tu ne veux pas renter à poil. A plus ! A bientôt ! A tout d'suite !

Elle est déjà partie avec son cintre, je l'imite et me dirige vers les vestiaires. Cabine minuscule et je ne suis pas gros, ouf ! De la flotte partout par terre et pas de Crochet pour épargner nos fringues. Bon, avec des efforts de contorsionniste j'arrive à enfiler mon maillot, en ayant ruiné que mon tee shirt au passage et coincé un nerf dans l'exercice.

Direction les douches. Je m'égare un peu dans le labyrinthe, je vous épargne l'égarement et j'arrive aux douches hommes ou femmes, je ne sais pas, c'est peut-être mixte. De toute façon, je suis le seul. J'actionne, toujours dans la candeur qui me caractérise, le jet en appuyant sur un poussoir. Ok ça marche ! Mais pas du tout dans la direction que j'envisageais, visage sec, corps aussi, je suis sec, pas une goutte, par contre ma serviette que j'avais posée sur le banc ne s'en est pas si bien sortie, elle est liquide et grelotte. Tant pis, je ne m'essuierai pas. Je me déplace d'un mètre et recommence. Pareillement, raté à bout portant, le jet est parti se perdre sur une autre partie du banc qui n'avait même pas de serviette à noyer. Ça commence bien mon histoire, pas grave je change de douche, il y en a d'autres. Et celle que j'ai choisi fonctionne droit, j'aurais préféré qu'elle n'ait pas fonctionné. C'EST BOUILLANT ET TROP DE PRESSION que je recule de trois mètres sous l'effet de l'un ou de l'autre. Je regarde mes abdominaux, il m'en manque deux, ils doivent se voir de dos, maintenant. J'ai des ab dos minables.

Brûlé au troisième degré, je me dirige vers l'endroit où je suppose être les bassins, Je m'égare un peu et je vous épargne, encore, mes errances. Nous y voilà et je retrouve la petite qui m'avait aidé, elle m'attendait, semble-t-il, amusée par mes déboires de profane, non initié au meurs de la natation piscinistique. Dès qu'elle me voit, elle me sourit de nouveau franchement, à me faire retourner pour vérifier qu'il n'y ait pas un bellâtre bodybuildé derrière moi. Non, derrière moi, il n'y a que le vide d'où j'ai émergé et je n'ai aucune envie d'y retourner.

Je lui rends son sourire à la gamine, ça ne coute rien et j'ai remarqué que cela faisait plaisir.

-         T'en as mis du temps ! Bon, on y va !

-         On va où ?

-         Se baigner, pardi !

-         Ah bon, tant pis !

-         Hi, hi, hi ! Rit-elle, d'un rire de souris.

Alors, les douches sont brulantes, ok, mais elles ont dû prendre toutes les calories de la chaufferie, car l'eau du bassin est glaciale. Ma copine sirène est déjà dans l'eau, quand j'en suis (être et non suivre) encore à craindre des engelures pour mes pieds immergés.

-         Tu viens !

-         J'arrive, une minute !

Dix fois, une minute plus tard, je suis bleui jusqu'aux testicules.

-         Vas-y d'un seul coup, c'est mieux.

-         Mieux pour qui ?

-         Hi, hi, hi ! Décidemment, je l'amuse la souris.

Bien sûr, ça l'amuse la sirène, elle est dans son élément, elle ! Bon allez, j'y vais ! Je ne tiens pas à passer pour plus frileux qu'elle ne le sait déjà.

-         Et hop, voilà le travail !

-         Champion ! Allez, une petite longueur, je te laisse cinq mètres d'avance.

-         Ha, ha, ha ! Gamine va ! Je serai de l'autre côté que tu n'en seras qu'à prendre ta première inspiration.

Elle aurait dû me laisser vingt mètres. Ce n'était pas une sirène, c'était un poisson nucléaire. Quand j'arrivais enfin en soufflant comme un bœuf, non un phoque, c'est mieux, elle m'attendait dans la pose lascive de ceux qui ne sont même pas essoufflés avec toujours ce sourire craquant, mais comme je commençais à le connaître celui-là, je ne me suis pas fait avoir, j'ai fermé les yeux. Malheureusement comme elle me manquait déjà, je les ai rouverts. Paf ! En pleine tronche et en pleine cible, une flèche me transperça le cœur. Elle sortait de l'eau à la force des bras et j'avoue que mon regard l'a scanné de haut en bas dans ce mouvement. L'eau ruisselait en perle sur sa peau d'albâtre, elle était fine, élancée et légère comme une fée, je n'ai pas trop vu de fée dans ma vie, mais j'imagine que toutes les fées soient ainsi faites… éthérée. Puis elle partit de sa fougue de celles qui se savent belles, mais s'en foutent.

A partir de ce jour, je n'ai pas vu la piscine du même œil. J'y retourne régulièrement. Certains se donnent rendez-vous dans des restaurants pour déjeuner, dans des cafés pour boire un dring, nous, on va à la piscine pour boire des tasses. Bon, certes j'ai quelques dizaines d'années de plus qu'elle et alors ! Quelle importance ? L'amour comme la natation se foutent bien de ces détails de mensuration. La piscine est devenue notre havre de liberté, un endroit hors des conventions, hors du temps, hors de tout sauf de l'Amour.

A partir de ce jour, j'ai aimé la piscine.

  • [Mode rabat-joie ON] Sympa. J’avais comme toi.. avant. Jusqu’au jour où avec un entraînement de plongée hivernal j’ai vu ce qu’on ne voit jamais au niveau du filtre immergé : pansements, tampax (si…), cheveux… et autres délicatesses indéfinissables… + les gamins (quoi que) qui se soulagent… (bois pas la tasse !) Et puis j’ai commencé à regarder les gens qui venaient. Si moi après une journée de taf je prenais la peine de me changer et d’enfiler un maillot propre certains eux l’avaient porté toute la journée… ça doit bien macérer là-dedans, mais peut-être que pour draguer tes sirènes c’est ce qui les attire… et d’autres encore soit, évitent le douche et le pédiluve, soit c’est le contraire, viennent se doucher pour économiser l’eau chez eux… Et enfin un entretien de piscine coute cher à une commune ou un regroupement de communes, il devrait y avoir 4 vidanges par an (non exploitation 3-4 jours) et donc ils en font 3, voir 2 seulement et ils rajoutent du chlore. Résultat, je fais une allergie au chlore… Snif.[Mode rabat-joie OFF]

    · Il y a plus de 7 ans ·
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    Marcus Volk

    • Rassure-toi mon texte n’est qu’une fiction. Je ne mets jamais les pieds ou plus dans une piscine municipale. De toute façon, je n’aime pas l’eau, je n’en bois jamais.

      · Il y a plus de 7 ans ·
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      Hervé Lénervé

    • Tu m'as eu, tu as rangé ton texte dans "Nouvelle · Amour et romance" ; sinon pour l'eau, tu es comme le capitaine Haddock "pas d'eau dans mon whisky"

      · Il y a plus de 7 ans ·
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      Marcus Volk

    • Moi, je mets des glaçons quand même, pour casser l'amertume et me donner bonne conscience. autrement je me soucie peu des classements, je mets un peu n'importe quoi.

      · Il y a plus de 7 ans ·
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      Hervé Lénervé

    • Arf. Pas sur un single malt écossais ou japonais les glaçons. Scotch américain oui

      · Il y a plus de 7 ans ·
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      Marcus Volk

    • :)

      · Il y a plus de 7 ans ·
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      Hervé Lénervé

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