LA PLAGE… LA MARGE… L’AGE

Hervé Lénervé

Mon âme ? Je ne la connais pas, mon âme sœur qui est-elle ?

J'étais jeune, dans les trente ans et des poussières d'éphémères, je vivais au bord de la mer. J'avais pris l'habitude d'aller tous les matins m'adosser à une baraque de pêcheurs sur une plage où jamais personne ne venait s'y noyer. Je restais là, les yeux dans le vague des vagues en essayant de ne penser à rien, mais comme on le sait bien, la pensée ne peut s'arrêter de penser et quand on croit enfin y être arrivé, on s'aperçoit qu'on pensait encore, mais sans écouter. Merde, mais où est donc ce bouton OFF ?

J'étais donc là, sans y être vraiment, quand je fus tiré de ma fausse méditation transcendantale par un léger bruit, un petit grattement contre la paroi de la bicoque. Je sursautais, on sursaute toujours quand on n'est pas dans un film. Je commençais à me redresser par peur, bien sûr, on a toujours peur d'un rien quand on n'est pas dans un livre. Ce fut alors que je l'entendis… une petite voix enjouée, féminine et mutine.

-         Tu viens souvent ici, mon Robinson ?

Ouf ! Un être humain, c'était rassurant, la situation prenait un sens commun et la peur s'envolait vers d'autres croquemitaines imaginaires. Pourquoi l'imagination est-elle plus effrayante que la réalité ? Alors que c'est dans cette dernière que surviennent tous les dangers.

-         Oui ! Je viens tous les matins, sauf les jours où il n'y a pas de matin.

-         Ça existe ça ?

-         Oui ! le lendemain des soirs de bacchanals.

-         Ha, bon ???

Pourquoi étant jeune alors, j'utilisais déjà des mots de vieux ? Je pensais qu'elle ne connaissait pas le terme.

-         Quand j'ai trop bu le soir, je dors le matin.

-         Attend ! Tu me prends pour une enfant, mon grand.

-         Quel âge as-tu ?

-         Celui qui te plaira.

-         Tu as raison, c'est bien de rester dans le flou, mais dis-moi, quand même, tu es… es-tu jolie ?

-         Plus que cela, je suis la quintessence de ton idéal féminin.

-         Rien que cela ?

-         Pas moins !

-         Je m'en doutais un peu, ma souris.

-         A plus, mon chat !

Et ainsi de suite, furent les jours qui suivirent. Chaque matin, que Dieu fait et chaque matin, que je me levasse, (Je sais, c'est moche, mais seul Dieu peut se passer du subjonctif, c'est un abus de pouvoir à la Big Brother) j'allais papoter avec la fille derrière la cloison. Nous n'apprîmes pas à nous connaître vraiment, car de rien d'intimes nous ne discutions. On avait adopté une conversation légère, faite de sous-entendus, de métaphores et des mots des gentils animaux. Combien de matin me fallut-il pour en tomber amoureux ? Je ne saurais le dire vraiment, mais un jour je le sus, comme l'évidence d'une certitude. La jeune femme derrière la cloison avec qui j'échangeais matin après matin, était la femme qui mettait destinée, moi à elle, elle à moi, la seule femme de ma vie. Elle avait dû toujours l'être, tous devaient le savoir sur cette Terre, pourtant moi, je l'ignorais, je l'ignorais jusqu'à cette révélation. J'arrivais donc ce matin-là en courant à mon rendez-vous quotidien, j'étais exalté, j'étais confus, j'avais beaucoup de mal à conserver des idées claires. A peine Arrivé je lançais.

-         Bonjour ma sirène ! Je t'aime… Je t'aiME… JE T'AIME ! Hurlè-je au vent.

-         Eh bé ! Il était temps de t'en apercevoir, je commençais à douter de mon pouvoir de séduction, mon ouistiti. Tu peux répéter les derniers mots de ta phrase, je ne les ai pas bien entendus.

Je ne répétais rien du tout, mais je poussais exalté la porte de la cabane pour y découvrir mon Amour fou.

 

Je ne découvris rien. Des filets sur un mur, trois nasses sur le sol fait de planches grossières et rien d'autre. La cabane était vide de vie.

J'avais déjà eu quelques indices avant, mais je n'en avais jamais tenu compte sérieusement. Je me disais, la fatigue, trop bu hier. Mon visage dans la glace qui réfléchissait un jeune homme de trente ans aux cheveux blancs, aux rides profondes… la fatigue ! Des soliloques durant des heures… la fatigue ! Des images mentales sans image, juste une peur brute, une frayeur immonde, une terreur inimaginable qui me laissait exsangue et trempé de sueur… rien, juste de la fatigue !

Je ne découvris pas mon Amour Fou dans la cabane, je découvris seulement ma propre Folie.

Ce matin-là, je sus ce que tous devaient savoir sur cette Terre, pourtant moi, je l'ignorais, je l'ignorais jusqu'à cette révélation.

J'étais fou depuis bien longtemps déjà.

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