La poignée de porte.
jireoparadi
— Entre !
Il se tient debout dans l'entrée de son bureau, referme la porte derrière moi et garde la main sur la poignée…
— Ecoute, je voulais juste revenir 2 minutes sur la réunion d'hier.
Merde…
— Euh, oui, dis-moi, Je réponds. Il tient toujours la poignée…
La fin de la réunion…
Pas tout à fait un désastre. Entre Munich et Festen…
Charlotte a introduit le tour de table en proposant un débriefing préalable à un brainstorming.
Poncifs, textos d'Eric - Pas mal question de « péter des gueules » et de l'anatomie des chefs de pub -, reformulations de Jérôme, sourires de Victoire, silence de Denis et Sandra, je ne sais pas ce qui m'a pris...
— Juste une chose, vous connaissez tous la situation et les équipes de notre réseau. Je me pose réellement la question du déploiement de ce projet de manière qualitative à aujourd'hui.
— …/…
— …/…
— …/…
Jérôme (Viril) — Attends c'est ton problème ça !
Je rougis. Merde, Victoire me regarde, sûr qu'elle le voit. Honte, Colère, Peur, tout est bien en place docteur. Vous pouvez y aller.
Embarras et yeux baissés. C'est Eric qui m'offre une perche.
— Ouais, c'est notre probl…
— Attends Eric, excuse moi. Je voudrais juste reprendre les choses, je ne voulais blesser personne, pas plus que laisser à nos invités de l'agence, à l'équipe de Charlotte les responsabilités qui sont les nôtres. J'avais juste cette question. Désolé si c'était maladroit. Maintenant si ça semble OK pour tout le monde, pas de problème et on s'en reparlera en réunion commerciale.
Silence de Denis et Sandra.
Et reprise des Ferrero roche d'or.
— OK, merci à tous pour votre participation à cette journée, je crois que nous avons tous pas mal de boulot en ce moment, Je vous propose qu'on en reste là pour aujourd'hui, Victoire et son équipe nous représenterons leurs travaux de calage dans quelques semaines, a fini par conclure Charlotte.
— Ecoute Lucas, ça fait un moment que je voulais te voir, mais là, on doit vraiment faire un point.
Je fais mine de me diriger vers son bureau, il reste debout, la poignée de porte commence à chauffer. OK, pense à Anconina[1], surtout n'aies pas l'air surpris !
— Il y a bien sûr ton comportement pendant la réunion que je n'ai pas apprécié mais plus globalement, tu as une attitude générale négative.
Ah…
— Oui, tu vois là encore, quelque chose dans le regard, on sent que tu n'es pas dedans. J'ai l'impression que tu n'acceptes pas ma nomination, je sais que tu voulais ce poste mais aujourd'hui c'est moi qui suis à cette place et je te sens hostile au changement et au PROJET (Prô-Jé) d'Henri.
— Euh,… Non. On en a déjà parlé ensemble et je t'ai clairement dit que…
— Oui, je sais tu me l'a dit mais j'ai vraiment l'impression que tu n'adhères pas. Tu vois, Denis lui me parle, il n'est parfois pas d'accord mais il reste positif et n'est pas systématiquement contre ce qui est proposé.
Putain ! Je rêve ! Denis serait capable de trouver que l'occupation c'était pas si mal si un nazi lui posait la question.
Bon, faut que je me sorte vite de là. En gage de bonne volonté, je note en tout cas de penser à acheter un gros rouleau de scotch en sortant ce soir. Ce sera déjà ça...
Je suis toujours debout.
Lui aussi, il n'a pas lâché la poignée.
— Comment ça ? Contre ? En quoi j'ai été contre hier, puisque tu es parti de là ?
— Non mais ce n'est pas forcément qu'hier, mais c'est vrai que je n'ai pas apprécié ta critique du projet de com, on est le comité opérationnel de la boite, j'en ai parlé avec Charlotte et elle n'a pas compris non plus ton attitude.
La salope... Elle crache sur Jérôme et son QI dès qu'elle en a l'occasion. Je lui dis ?
Respiration. Mais doucement. J'ai affaire à un spécialiste des signaux faibles, s'agit pas qu'il me découvre une tendance à l'hyperventilation.
— Je t'assure Jérôme, je ne comprends pas. J'ai bien senti que ma question avait posé problème et je m'en suis excusé tout de suite. Mais enfin quand même, tu viens de le dire on a charge de responsabilité dans cette boite. Je veux croire que si tu nous fais venir ce n'est pas que pour faire de la figuration… »
— Non. Mais j'attends autre chose de mes gars. La boite va mal et on est charge de la redresser. Je me bats tous les jours pour vous. J'attends que vous soyez dans la même attitude.
Regard sur la ligne bleue des Vosges, main sur la poignée de porte et en gras : « On est des Putains De Cadres ! Ça veut dire quelque chose non ? »
La vache ! Nick Nolte dans La Ligne Rouge.
Honte, mon père dès qu'une femme est assise à coté de nous au restaurant, la lettre que cette salope de Sophie avait lu à tout le bahut, le pull marin que ma mère m'obligeait à porter le jour de la rentrée.
Colère, je me mords les joues et m'observe de loin relever la tête vers lui et lui répondre avec la voix et l'accent de Sean Penn d'aller juste « se faire enculer ».
Je choisis la Soumission, baisse les yeux, me tais, regarde la poignée de porte.
Qui s'abaisse doucement.
C'est fini.
Aie ! J'ai oublié la dernière étape de la formation MANAGER PAR LE SENS qu'a offert Le Visionnaire à Jérôme.
— En tout cas, c'est bien qu'on ait eu cette discussion, je pense que les choses sont claires maintenant.
Vision d'une batte de base-ball sur le coté gauche de son visage. Il me semble que c'est moi qui la tenait.
Je sors de son bureau.
Et le le laisse fermer la porte.
Au moins je garde les mains sèches...
[1]Dans le film de Claude Lelouch « Itinéraire d'un enfant gâté », une séquence met en scène Richard Anconina et Jean-Paul Belmondo, ce dernier apprenant au premier les règles de survie en entreprise.
Hello Zabzab,
· Il y a presque 9 ans ·Oui c'est le cas.
Mais il y a aussi pas mal de bons moments à vivre qd on a qqs collègues à la Eric...
Et puis, ça aide à poser un certain nombre de choses dans sa vie, à prendre du recul quoi.
Merci pour le bravo.
Mais pas de mérite, j'adore Terence Mallick.
jireoparadi
Les errances du cerveau de Lucas... Ça part dans tous les sens... Encore une fois j'ai l'impression d'entendre Emma, tu m'as fait sourire de bon matin après une nuit bien pourrie,
· Il y a presque 9 ans ·Merci.
joanandmom